Frédéric Priore, et Les Vaches Rouges. « Le média, pour moi, c’est avant tout un créateur de liens »

Frédéric Priore, et Les Vaches Rouges. « Le média, pour moi, c’est avant tout un créateur de liens »

Frédéric Priore est cantalou d’adoption et un citoyen engagé pour son territoire. Après une première expérience média, il propose aujourd’hui « Les Vaches Rouges », une newsletter hyperlocale destinée à informer les habitants du Carladès dans le Cantal. Pour lui, ce média est un moyen au service d’un projet plus large. Rencontre.

Avant de débuter cette interview, au Connecteur, on aime bien savoir “d’où les gens parlent”. Quelle est ton histoire de vie ? Celle qui t’amène aujourd’hui à créer la newsletter “Les Vaches Rouges”.

Je suis arrivé dans le Cantal avec ma femme et mes enfants il y a 6 ans. Nous venons du monde de la solidarité internationale. Nous avons travaillé en France et à l’étranger notamment pour venir en aide aux enfants des rues au Népal. Afin de financer les maisons d’accueil, nous avons conçu une activité d’agence de voyages. Avant cela, nous étions tous les deux éducateurs spécialisés. 

Après le tremblement de terre au Népal, nous avons cessé notre activité d’agence. À ce moment-là, on recherchait le calme et une meilleure qualité de vie. C’est comme cela que nous sommes arrivés dans le Cantal.

Rapidement, nous avons monté le magazine papier So Cantal afin de mettre en lumière tous les projets et toutes les initiatives au niveau départemental. Au bout de deux ans, nous avons stoppé la parution. Depuis, j’ai travaillé sur un projet de développement d’une Maison Nature et maintenant, j’accompagne le projet de tiers-lieu du Carladès, “les Granges”. Et, en plus de cela, je mène des activités de communication  (sites internet, application mobiles, magazines touristiques) et j’ai lancé les Vaches Rouges, un média newsletter.

Le premier projet « So Cantal ». Source : Ulule

Alors en effet, aujourd’hui on est là pour parler média. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur les Vaches Rouges ?

Alors déjà, pourquoi les Vaches Rouges. Tout simplement parce que le de la société qui portait So Cantal s’appelait : “RedCows”. Je n’avais pas envie d’utiliser un autre anglicisme et c’est lors d’un échange avec Raphaël et Adeline que l’idée est venue (ndlr : Frédéric est accompagné par la Compagnie Rotative, incubateur du Groupe Centre France). C’est le fameux cliché des Cantaliens avec la vache rouge et les montagnes derrière. Pourtant, derrière le cliché, on retrouve aussi la notion de communauté, un enjeu très important pour moi.

A la différence de So Cantal, il n’y a pas de modèle économique derrière les Vaches Rouges. J’ai voulu m’affranchir de la notion de rentabilité parce que ce média n’est pas une fin en soi, mais un outil d’une démarche plus large.
On est aussi sur une zone géographique beaucoup plus restreinte. Il n’y a pas de délimitations administratives, mais plutôt l’idée d’un bassin de vie.

source : Newsletter Les Vaches Rouges

Qu’est-ce que tu as pensé du traitement médiatique de cette année 2020 hors du commun ?

Je ne suis pas vraiment la presse, ni l’actualité comme elle est aujourd’hui proposée, même si elle s’impose à moi inévitablement. Je choisis de ne pas subir l’actualité, d’une part, pour me protéger, et d’autre part, parce que j’ai l’impression que tous les médias traitent des mêmes sujets de la même manière : le décompte macabre du nombre de morts ou les feuilletons juridiques ne m’intéressent pas. C’est extrêmement éloigné de ma vie. 

Je pense que le principal défi aujourd’hui, est d’abord de mieux connaître ce qui se passe juste à côté de chez nous, de comprendre ce que vivent nos voisins, d’être connectés aux autres pour pouvoir agir et interagir au niveau local.

On a l’impression que la société est de plus en plus clivée et fragmentée. Est-ce que tu le ressens aussi depuis Vic-sur-Cère ?

Je ne sais pas si c’est plus le cas aujourd’hui qu’hier, en revanche, on nous sert une information très uniformisée. “On”, nous impose presque de ressentir tous la même chose. Pourtant, nous vivons sur des territoires très différents et il existe « des » réalités et « des » quotidiens. On ne peut parler de la même manière à un trader et à un agriculteur. Je ne les oppose pas, je dis simplement qu’ils n’éprouvent pas forcément le besoin de connaître les mêmes choses. Je m’agace du discours admis ambiant, cette tendance à vouloir effacer les autres modes de pensées.

source : www.vicsurcere.fr

C’est la question que l’on pose à tous nos invités. Comment bien s’informer aujourd’hui?

Personnellement, je ne cherche ni contradiction, ni vérité unique. Je cherche avant tout à me tenir informé de ce qui se passe ici, juste à côté de chez moi. C’est finalement bien plus complexe que d’être au courant de l’actualité à l’autre bout du monde.
Sur les sujets d’actualités, je vais plutôt utiliser Youtube ou les événements en ligne. Là où de véritables experts avec une réflexion approfondie débattent ou discutent autour d’un sujet avec rigueur et sans être dans l’émotion.

Oui, c’est vrai qu’en ce moment les débats sur les plateaux télés sont parfois houleux. Comment faire pour que les gens se parlent sans se hurler dessus ?

Haha bonne question. Personnellement, je me forme à la communication non-violente. C’est suite à un échange avec un manager de tiers-lieu que je me suis intéressé au sujet. Je pense que c’est le meilleur outil pour désamorcer les problèmes. On n’a plus l’habitude de cela. Aujourd’hui, on a plutôt l’impression que celui qui crie ou critique le plus fort sort gagnant. Intégrer dans les débats la notion de communication violente, voire même de méditation en amont pour apaiser les tensions, c’est un sujet à creuser pour les Granges du Numérique.

A l’inverse, parfois il y a des débats sans contradiction. On s’auto-congratule d’être tous d’accord. Comment faire en sorte de ne pas se retrouver enfermé dans sa bulle de filtres ?

Je me pose cette question tous les jours : « Si j’échange sur un sujet avec la communauté des Vaches Rouges et que les réponses vont toutes dans le même sens, est-ce une bonne chose? ». Le but n’est pas de faire adhérer les convaincus, mais plutôt de sensibiliser ceux qui ne le sont pas encore. C’est donc à eux qu’il faut s’adresser. Ce qui est intéressant, c’est lorsque certains d’entre viennent contredire ton propos. Ça crée le débat et enrichit la réflexion.

La newsletter permet de rassembler une communauté qui se rejoint sur des valeurs communes. Nous allons aussi organiser des rencontres pour mettre certains sujets sur le tapis. J’espère que des habitants avec des points de vue et des attentes différents viendront participer à l’échange.

La communication est un terme aujourd’hui mal perçu dans le monde des médias, pourtant tu l’utilises beaucoup ….

D’abord, je ne suis pas journaliste et je n’ai pas vocation à le devenir. Je suis un citoyen engagé et « Les Vaches Rouges » est un moyen et pas une fin en soi. Lorsque je parle de communication, il n’y a aucune connotation négative. Le problème aujourd’hui, ce n’est pas le “trop de communication”, c’est la forme de communication, une communication “marketing”. Lorsque je parle de communication, je veux dire, faire passer un message, partager un sentiment ou faire savoir quelque chose. Finalement, c’est apprendre à parler aux autres pour que notre message puisse les atteindre. Ça rejoint d’ailleurs la notion de communication non-violente.

On dit des médias parisiens qu’ils sont déconnectés de ce qui se passe sur les territoires, notamment en zones rurales. Est-ce que tu envisages des collaborations avec des médias nationaux pour mettre en lumière les initiatives autour de chez toi ?

Pour moi l’objectif des Vaches Rouges ce n’est pas que d’informer, ça va au-delà. Nous sommes des acteurs engagés sur leur territoire et le média “Les Vaches Rouges” n’est qu’une facette d’un projet plus global. Le média, pour moi, c’est avant tout un créateur de liens. A travers la newsletter, on fait passer une information. Ensuite, chacun la traite à sa manière. Certains vont souhaiter approfondir le sujet, d’autres contester l’idée, libre à eux. Je ne fais pas d’informations ou d’actualités, ce n’est pas du tout mon objectif. Il se passe plein de choses sur nos territoires alors avant de vouloir faire remonter tout ça à Paris, je préfère déjà essayer de le diffuser plus largement autour de moi aux principaux concernés.

source : Newsletter Les Vaches Rouges

2021 approche, quels sont tes projets ?

Comme je te le disais, je me forme à la communication non-violente. Parallèlement, je monte la plateforme “le marché du 15”, pour proposer des paniers de produits locaux. Ça peut paraître complètement contre-intuitif, mais c’est souvent dans les zones les plus rurales qu’il est le plus difficile de s’approvisionner localement. Il n’y a pas de filière organisée. 

Une initiative similaire a vu le jour dans l’Aveyron et ils fournissent aujourd’hui deux cents paniers par semaine. Je nous souhaite le même succès. Enfin, je vais continuer à peaufiner la newsletter pour qu’elle puisse répondre pleinement à l’objectif fixé. Informer, partager et fédérer.

Dans la tête de Frédéric

Le média qui monte : Le podcast
Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info ? J’utilise beaucoup Youtube. Je suis fasciné par toutes ces personnes inspirantes qui mettent gratuitement à disposition toutes leurs connaissances. 
Une livre à dévorer ? Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) / Initiation à la Communication Non Violente Marshall B. ROSENBERG
Un voeu pour 2021 : Soyons heureux, un peu plus de joie même si ça ne va pas…

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À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.