Biomimétisme…Et si la nature nous chuchotait des solutions ?

Biomimétisme…Et si la nature nous chuchotait des solutions ?

Le monde de la R&D s’enthousiasme de plus en plus pour le biomimétisme. En simplifiant, il s’agit de s’inspirer du vivant pour trouver de nouvelles solutions. Pourtant, ce serait réducteur de le limiter à cela. Cette approche pourrait bien révolutionner l’innovation dans les prochaines années. On vous dit tout.

A chaque fois que vous parlez de biomimétisme, on voit votre regard scintiller. Je me suis dit que vous seriez la bonne personne pour poser les bases de ce nouveau dossier spécial. De quoi parle-t-on exactement ?

Le biomimétisme est une notion qui a été formalisée par l’Américaine Janine M. Benyus en 1997. Pour autant, ce concept existe depuis des millénaires. L’Homme s’est toujours inspiré du vivant pour innover ou pour trouver des systèmes qui répondent aux besoins humains. Léonard de Vinci disait d’ailleurs “ Va prendre tes leçons dans la nature, c’est là qu’est notre futur”.

Pour résumer, le biomimétisme s’ancre sur notre capacité à nous inspirer du vivant : une éco-conception inspirée du vivant.

Pendant très longtemps, nous avons pensé que la technique pouvait résoudre tous les problèmes. Finalement, on (re) découvre que l’observation de la nature peut être riche d’enseignements. Le vivant est en constante évolution depuis 3,8 milliards d’années. Même s’il n’est pas parfait, on peut en tirer quelque chose. Mais attention, le faire est rapidement addictif tellement on découvre des choses merveilleuses et incroyables. Qui, par exemple, aurait imaginé qu’il existe des bactéries qui fixent le calcaire et qui peuvent être utilisées pour réparer des ouvrages bâtis comme des digues.

Très bien. Mais concrètement à quoi ressemble une approche basée sur le biomimétisme ?

Le biomimétisme est ancré dans une démarche systémique. On regarde les choses dans leur globalité en étant conscient que l’on ne maîtrise pas tous les éléments du système. Cela diffère de l’approche analytique qui est au cœur de notre apprentissage scolaire et académique.

Pour vous l’illustrer, je vais m’appuyer sur un exemple concret.

Voici le problème : des personnes doivent régulièrement recevoir des injections d’un liquide, comme l’insuline. Les systèmes actuels ne permettent pas d’écouler suffisamment de liquide en peu de temps.

Une fois le problème posé, il faut en faire l’analyse fonctionnelle et le conceptualiser. « Existe-t-il dans le vivant des systèmes qui permettent de pénétrer facilement une membrane souple pour injecter facilement un fluide ? »

Là, vient alors la recherche de modèles biologiques, puis leur étude et leur sélection. Ensuite, on regarde une transposition totale ou partielle dans un dispositif qui est applicable à l’humain. On teste et si cela ne fonctionne pas, on repart dans la recherche d’autres modèles biologiques.

En 2005, deux sociétés japonaises, Terumo et Okano, se sont inspirées de la trompe des moustiques ou “proboscis” pour élaborer des aiguilles médicales indolores. Ils ont roulé une feuille d’acier inoxydable très fine. Cela a permis de créer un minuscule cylindre conique, plutôt que de percer un trou dans un cylindre à diamètre constant ; la forme conique, avec affinage du diamètre, à mesure que l’on s’approche de l’extrémité permet un meilleur écoulement des liquides pour les injections.

Le biomimétisme est une approche de plus en plus plébiscitée dans le monde de l’innovation. Où en est-on aujourd’hui ? Est-ce qu’il existe un écosystème professionnel et scientifique sur ce sujet ?

Depuis 1997, les chercheurs du monde entier développent des banques de données et des centres de ressources Par exemple, Asknature.org est une plateforme en ligne accessible à toutes et tous qui référence plus de 2 000 modèles. Bien sûr, elle n’est pas exhaustive, mais cela représente déjà un travail colossal.

En France, nous avons un centre de ressources basé à Senlis (Oise) et dédié au biomimétisme : le Ceebios – Centre d’études et d’expertise en biomimétisme. On y trouve des spécialistes du sujet et des ressources en ligne très intéressantes. Par exemple, vous pouvez parcourir une synthèse sur les matériaux bio inspirés, le biomimétisme marin, ou encore des projets urbains bio inspirés. Un autre très grand vulgarisateur du sujet est Alain Renaudin, fondateur de NewCorp Conseil et surtout du salon Biomim’expo. La prochaine édition sera le 25 et 26 octobre 2022 à La Cité des Sciences et de l’Industrie à La Vilette – Paris. J’y serai d’ailleurs exposant, avec 80 autres acteurs du biomimétisme.

Enfin, s’il s’agit de se former au sujet, je recommande vivement la Focus-Lab Biomimétisme organisée trois fois par an sur 5 jours par l’Institut des Futurs Souhaitables.

Localement, je suis en train de monter un événement pour 2023 sur le sujet, avec certainement une focalisation sur les arbres et la forêt, car nous avons localement une vraie expertise sur le sujet. Je serais ravi si des personnes, localement, ont envie de nous rejoindre sur ce sujet. 

Pendant la préparation de cet entretien, vous avez évoqué les leçons que l’on peut tirer du vivant. Est-ce que vous pouvez nous les synthétiser, pour une meilleure compréhension de l’intérêt du biomimétisme dans le monde de l’innovation ?

Il existe trois grands domaines d’inspiration du vivant. 

On peut apprendre des résultats de l’évolution. C’est-à-dire comprendre les relations entre les formes et les fonctions. Par exemple, les ailes d’une coccinelle sont devenues un modèle pour le pliage de structures complexes en formes compactes, ou le lierre pour l’adhérence très forte qu’il développe.

Ensuite, on peut apprendre des processus évolutifs où les êtres vivants sont parvenus à s’adapter à leur milieu pour plus d’efficacité. Par exemple, on peut étudier la façon dont les fourmis cherchent leur nourriture et voir comment on peut s’en inspirer dans nos activités. Des chercheurs ont mis au point un petit programme qui le modélise. C’est assez fascinant. 

Enfin, on peut apprendre des recettes de l’évolution. La vie utilise les déchets comme ressources, rien ne se perd tout se transforme. La vie mise sur la diversité et elle ne surexploite pas ses ressources. La vie adapte la forme à la fonction. Par ailleurs, elle mise sur la symbiose et la coopération. Enfin, la vie fixe le carbone et ne le diffuse pas…

Ces principes du vivant peuvent alimenter un champ très large de réflexions. Par exemple, on peut appliquer le principe du biomimétisme dans les organisations. C’est d’ailleurs ce que je fais dans le cadre de mes activités professionnelles avec le sylvomimétisme.

Très bonne transition. Comment êtes-vous venu à vous intéresser à ce sujet ?

Je pense que je suis fainéant, qui travaille beaucoup. En effet, je me dis que si ça a déjà été inventé et que ne, je n’ai plus qu’à le transposer, c’est beaucoup plus facile que de partir de zéro. Je suis un adepte de l’hybridation, c’est-à-dire, aller chercher des bouts de solution d’un côté et de l’autre et les assembler pour proposer quelque chose d’innovant.

J’ai également un ancrage biologique, avec parcours d’études agricoles. J’ai passé beaucoup de temps à observer le vivant. Et aujourd’hui, j’ai créée un tiers-lieu atypique à Beaumont, le Potager Créatif et Culturel où je cultive des fruits et légumes, qui est en même temps qu’il est un lieu de rencontres professionnelles ou culturelles

Et c’est comme cela que vous avez développé le biomimétisme dans les entreprises ?

Oui. Aujourd’hui, j’utilise essentiellement le biomimétisme pour faire bouger les organisations, pour les rendre plus efficientes, avec deux autres co-aventuriers du Sylvomimétisme, Charles-Etienne Dupont et Catherine Redelsperger. 

Ce qui m’importe, c’est d’améliorer le fonctionnement de groupes humains au service d’un futur souhaité et d’une prospérité renouvelée.

Comment coopérer avec d’autres équipes et se relier à d’autres métiers ? Comment je crée des dialogues qualitatifs entre les différents départements de mon organisation, de ma collectivité, de mon entreprise ? 

Je vais aller m’inspirer du fonctionnement systémique de la forêt et quels sont les processus et les modèles biologiques qui pourraient être appliqués à une certaine problématique organisationnelle. 

Par exemple, nous avons emmené le comité de direction du Coq Sportif en forêt. À travers cette expérience, on leur a présenté le fonctionnement biologique de la forêt, mais également de l’impact de l’action humaine sur cette dernière. 

Charles-Etienne Dupont est reconnu comme un formidable gestionnaire de forêt dans la France entière. Il a mis en évidence l’importance de son travail pour favoriser la coopération entre les arbres. Moi, je me suis ancré dans le fonctionnement biologique des arbres et sa transposition au sujet. Catherine, spécialiste de l’intelligence collective et de la dynamique des systèmes a ancré cela chez les membres du Coq Sportif qu’elle suit depuis des années. 

À partir de cette nouvelle compréhension des processus de coopération, les membres du comité de direction ont travaillé à un nouvel organigramme d’entreprise. Plutôt qu’une approche verticale, ils ont développé une approche concentrique, comme les tranches d’un arbre.

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?

Je crois beaucoup au biomimétisme appliqué aux organisations. Le fait de passer par des modèles biologiques et des fonctionnements du vivant permet de défixer les imaginaires et d’inventer de nouveaux possibles. . 

Ça se rapproche d’ailleurs d’une autre méthode que j’utilise avec Catherine Redelsperger, qui est aussi auteur de science-fiction : la fiction écologique. En proposant une autre réalité, on peut plus facilement prendre conscience et ouvrir de nouveaux champs de réflexion ou d’exploration.  Ces méthodes innovantes permettent de changer de voie. 

Pour moi, les organisations sont sur des rails, elles les consolident avec leur culture d’entreprise et leur expérience. Un jour, elles se retrouvent face à un contexte qui demande d’ouvrir d’autres voies. Avec le biomimétisme, on va fabriquer de nouveaux aiguillages pour les aider à se métamorphoser, à changer de cap, comme un papillon naît de sa chrysalide. 

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.