Le handicap reste souvent mal compris et mal intégré. L’innovation, dans le domaine du sport, joue un rôle crucial pour changer les mentalités. Christophe Pradelle partage son engagement pour l’inclusion des personnes en situation de handicap à travers des solutions sportives innovantes.
De la conception de fauteuils roulants adaptés au développement de nouvelles pratiques sportives, il nous dévoile comment ces initiatives contribuent à transformer le regard de la société sur le handicap. Découvrez comment le sport devient un vecteur de changement, d’inclusion et de performance pour tous.
Parlez-nous de votre parcours professionnel.
Christophe Pradelle : Je suis né en 1970 à Clermont-Ferrand. J’ai fait mes études à Clermont, et ensuite j’ai entamé une carrière en gendarmerie. J’étais gendarme mobile pendant 10 ans à Grenoble, où j’étais orienté vers les missions en montagne. Puis, j’ai passé 10 ans à l’Élysée à Paris. Ensuite, je suis revenu à Clermont-Ferrand pour m’occuper des convois de la Banque de France pendant encore 10 ans.
J’ai pris ma retraite, et Sébastien Passemard est un ami d’enfance. Il m’a parlé de son projet de fabrication de fauteuils roulants, d’inclusion et de sensibilisation au handicap. J’ai rejoint l’aventure en 2022, en tant que directeur technique.
Quelle est la philosophie de Playmoovin en matière d’inclusion et de sensibilisation au handicap ?
Christophe Pradelle : Nous sommes des partageurs d’émotions. Chez Playmoovin, nous concevons et développons des solutions innovantes pour changer le regard du monde sur le handicap. En France, il y a 850 000 personnes en situation de mobilité réduite et 430 000 enfants en situation de handicap qui sont scolarisés, mais privés de sport par manque de moyens. L’accessibilité est aujourd’hui la première cause de discriminations pour les personnes souffrant d’un handicap.
Il y a un vrai problème de formation et de sensibilisation. Prenons un exemple parmi tant d’autres. De nombreux hôtels et campings se déclarent accessibles aux personnes à mobilité réduite (PMR), mais ils ont des rampes impossibles à utiliser pour quelqu’un en fauteuil roulant ou des mobil-homes PMR avec des terrasses comprenant trois marches. Ce n’est pas par manque d’égards, mais simplement parce que la plupart des gens ne sont pas formés et sensibilisés à ces réalités.
Quelles solutions propose Playmoovin pour les personnes en situation de handicap ?
Christophe Pradelle : Notre fauteuil roulant a été développé en 2020. Nous l’avons conçu principalement pour le sport, afin de permettre aux clubs de sport d’avoir des fauteuils adaptés aussi bien pour les valides que pour les personnes en situation de handicap.
Le problème pour une personne en situation de handicap souhaitant faire du sport est qu’elle n’a souvent pas le choix du club. Elle doit se contenter de ce qui est disponible à proximité, souvent limité au basket et au rugby fauteuil. L’offre est donc très restreinte. Souvent, la personne doit essayer le sport avec un vieux fauteuil ou trouver un membre du club qui lui prête un fauteuil roulant, ce qui n’est pas évident compte tenu du coût élevé de ces équipements.
Notre fauteuil d’initiation a été très bien accueilli car il répondait à un besoin réel. Il est abordable, convient à un plus grand nombre de personnes, et peut être empilé et stocké facilement. Nous l’avons conçu pour nécessiter le moins d’entretien possible. Notre fauteuil est très ludique, en plastique, et non tubulaire, ce qui lui évite d’avoir un aspect médical.
Vous avez choisi de développer un fauteuil d’initiation au sport made in France ?
Christophe Pradelle : Oui, nous avons la certification Origine France. C’est dans l’ADN de notre entreprise de privilégier le made in France et l’éco-conception. Nous avons travaillé en local pour cela. Par exemple, notre procédé de rotomoulage, similaire à celui utilisé pour les canoës et kayaks, est extrêmement résistant et se fait en Auvergne. Le rotomoulage se fait à Saint-Éloy-les-Mines et la ceinture de sécurité est fabriquée par Joubert à Ambert. Les roulettes sont assemblées dans les ateliers protégés d’un l’ESAT.
En matière d’éco-conception, nos fauteuils d’initiation sont constitués uniquement de matériaux recyclables, tels que le polyéthylène, l’aluminium et l’inox. Nous avons intégré ces problématiques-là pour que les dimensions de nos fauteuils permettent de maximiser le remplissage des camions.Nous voulions être sûrs de notre produit car c’est une innovation. Pour cela, nous avons collaboré avec le Centre d’Étude et de Recherche pour l’Appareillage des Handicapés (CERAH), un organisme habilité pour les fauteuils
Qui sont les principaux clients de Playmoovin, et comment contribuent-ils à promouvoir l’inclusion ?
Christophe Pradelle : Nos clients sont principalement des clubs de sport handisport. Nous avons commencé par développer un fauteuil d’initiation pour le rugby fauteuil, car c’est un des sports les plus populaires. En effet, le handisport est en plein développement avec deux pratiques : le hand-fauteuil et le rugby-fauteuil. Il existe par exemple le “Hand Ensemble” qui permet à des hommes, femmes, des valides et des hands de s’entraîner ensemble.
Aujourd’hui, nous travaillons également avec des IME (Instituts Médico-Éducatifs) pour des handicaps physiques et psychologiques. Dans nos fauteuils, les enfants se sentent en sécurité, et nous pouvons faire jouer ensemble des enfants avec des handicaps psychologiques et des enfants valides.
Quelles sont les prochaines étapes ? Avez-vous des projets de fauteuils de compétition après les fauteuils d’initiation Playmoovin ?
Christophe Pradelle : Nous sommes très à l’écoute des besoins des personnes en situation de handicap. Nous travaillons avec des athlètes comme Adrien Chalmin et Nicolas Valentim de l’équipe de France de rugby fauteuil. Nous collaborons également avec le Stade Toulousain pour améliorer l’accessibilité et permettre la pratique de nouvelles activités. Par exemple, nous avons intégré notre fauteuil sur un paddle, ce qui s’est avéré très prometteur. Cécile Hernandez, championne olympique de snowboard, l’a même essayé en mer. Nous avons également développé une petite roue pour permettre aux fauteuils de naviguer sur des chemins plus difficiles.
Actuellement, nous cherchons à développer un nouveau fauteuil avec un dossier renforcé pour les personnes ayant des handicaps plus lourds, notamment celles qui n’ont pas de muscles abdominaux.
Notre objectif de développement est avant tout d’adapter nos fauteuils pour permettre la découverte de nouveaux sports.
Comment faire pour que les personnes souffrant d’un handicap soient perçus comme des sportifs à part entière ? Et d’une manière générale, comment gommer les a priori sur les handis dans le sport ?
Christophe Pradelle : Nous touchons du doigt ce problème, et nous voyons tous les retours dès qu’il y a des événements de sports en fauteuil. Quand un valide s’assoit dans un fauteuil, dans 95% des cas, il réalise que c’est un vrai sport. J’ai souvent entendu : « Je ne pensais pas que c’était si dur. » Cela change leur perception des personnes qui se déplacent en fauteuil. Cela fait comprendre que l’intérêt est dans le jeu et la performance.
Les personnes qui ne sont pas familiarisées avec handicap, ne savent souvent pas comment se comporter avec les handis. Je leur réponds, “par exemple, si une vieille dame porte une valise, on s’arrête et on propose de l’aider?” Et bien, avec une personne handicapée, on fait la même chose. On propose, et libre à eux d’accepter ou non le coup de main. Mais les gens n’osent pas. C’est un signe que nous avons encore du chemin à parcourir..
Enfin, il faut prendre conscience des difficultés dans la vie de tous les jours. Dans la vie quotidienne, une personne en fauteuil ne choisit pas un restaurant en fonction du menu mais en fonction de l’accessibilité des toilettes. Si tous les endroits étaient accessibles, on verrait plus de handis dans l’espace public et cela deviendrait complètement normal. Nous avons besoin d’être sensibilisés pour rendre notre société plus inclusive.
Alors certes, les Jeux Olympiques aident un peu à changer les perceptions, mais il y a encore du chemin à parcourir. En effet, les sportifs handis ne veulent pas seulement qu’on parle des Jeux Paralympiques, mais de leur sport en général, tout comme on le fait pour les Jeux Olympiques.
C’est l’instant carte blanche. Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Christophe Pradelle : Je veux insister sur une banalité, souvent entendue, côtoyer des personnes en situation de handicap est une expérience extrêmement enrichissante. Ils font preuve d’une grande résilience et je prends des leçons de vie à chaque rencontre.
D’ailleurs, l’association Handischool fait un travail extraordinaire qui va dans ce sens là. Des personnes handicapées vont à la rencontre des détenus. Il y a énormément de parallèles entre les accidents de la vie qui mènent à la vie en fauteuil et la vie en prison : le corps enfermé entre quatre murs et le corps enfermé dans un fauteuil. Ils sont toujours très bien accueillis et cela leur permet de partager cette résilience si spéciale qui les habitent et qui en fait des personnes fortes et lumineuses.
C’est l’acceptation de la différence et développer sa tolérance.