Cultiver sans posséder, le pari de la Ferme du Rebond

Cultiver sans posséder, le pari de la Ferme du Rebond

Face aux défis du changement climatique et de l’accès au foncier, de nouvelles approches émergent. La Ceinture Verte, soutenue par la Chambre d’Agriculture et la Métropole Clermont Auvergne, offre une alternative à l’installation classique. Elle permet aux maraîchers de produire sans s’endetter lourdement ni posséder de terres.
Simon Demolin, avec la Ferme du Rebond, est quant à lui, le premier maraîcher installé par La Ceinture Verte. Pour lui, le bio-intensif permet d’optimiser l’espace et les ressources pour cultiver sur de petites surfaces tout en respectant les principes du vivant.

Ton parcours est atypique, comment es-tu passé du tennis au maraîchage ?

Je m’appelle Simon Demolin, j’ai 27 ans et je suis originaire du Nord-Pas-de-Calais, mais j’ai grandi en Creuse. Après un lycée à Montluçon, j’ai poursuivi en faculté de sport à Clermont, ou j’ai obtenu une licence en entraînement sportif. Déjà impliqué dans l’enseignement du tennis, j’ai complété ma formation à Lyon, puis exercé trois ans comme professeur.

Le Covid a été un tournant. J’ai réfléchi à mon engagement. Pendant cette période, j’ai beaucoup lu sur l’éducation, sur l’agriculture, et j’ai fini par réaliser que l’éducation était un levier essentiel pour faire évoluer les choses, notamment chez les jeunes.  Je me suis donc orienté vers l’éducation. J’ai intégré l’INSPE pour devenir professeur des écoles et je suis également devenu bénévole à l’AMAP de Chamalières.

Pourtant à un moment tu as le déclic, n’est ce pas ?

C’est en intégrant le bureau de l’AMAP que j’ai pu véritablement entrer en contact avec les producteurs locaux et le sujet m’a intéressé. J’ai aussi pris conscience de la complexité du milieu, notamment en ce qui concerne l’installation agricole.

Il faut non seulement trouver un terrain, mais aussi s’assurer qu’il soit adapté. En maraîchage, par exemple, il faut un accès à l’eau, un sol de bonne qualité, un terrain pas trop en pente… Toutes ces contraintes rendent l’installation compliquée. Ça m’a un peu freiné dans mon envie de me lancer. 

Puis, j’ai rencontré Kevin Guerreiro, un maraîcher, ancien climatologue qui a monté les Jardins de Vinzelles ! Là-bas, j’ai découvert un système de production très structuré, ce qui, au début, m’a un peu perturbé. Par exemple, il y avait des bâches plastiques au sol – ce qu’on appelle des toiles tissées et on plante directement dedans. Il y avait aussi des serres, mais ce qui m’a surpris, c’est qu’il cultivait un seul légume par parcelle, alors que dans la permaculture, on parle plutôt d’associations de cultures. Et c’est là (dans cette même période) que j’ai découvert le concept du bio-intensif au travers de livres et de conférences. 

Tu as découvert le bio-intensif en observant d’autres maraîchers. Qu’est-ce qui t’a convaincu ? 

Le maraîchage bio-intensif repose sur une optimisation maximale de l’espace et des ressources, afin de produire plus sur de petites surfaces, tout en respectant les principes de l’agriculture biologique. 

Dans les modèles classiques, on espace les cultures pour permettre le passage des machines.  Ici, tout est pensé pour la production manuelle. On travaille sur des planches de culture avec des dimensions standardisées. Cela permet d’optimiser chaque intervention : préparation du sol, plantation, désherbage et récolte. On facilite également la mise en place d’outils adaptés, comme les filets anti-insectes ou les toiles de paillage.

Ce modèle a aussi une dimension économique forte. En standardisant les cultures il est plus facile d’anticiper les rendements et d’avoir une estimation claire. On sait, par exemple, qu’une planche de carottes peut rapporter un certain montant, ce qui permet d’établir des prévisions précises et d’assurer une rentabilité sur une surface réduite.

Le bio-intensif est très intéressant, notamment pour les agriculteurs en zones périurbaines, où l’accès au foncier est limité. Avec seulement 5 000 m², voire moins, il est possible de dégager un revenu viable, à condition d’optimiser chaque étape.

À ce moment-là, tu cherches un terrain pour la Ferme du Rebond… mais ça ne se passe pas comme prévu. Raconte-nous.

Je n’étais pas forcément dans l’optique de devenir propriétaire et d’acheter un terrain. Souvent, quand on achète du foncier agricole, il faut aussi trouver un endroit où vivre, acheter une maison en même temps… et ça complique les choses. Lorsque l’on en trouve, c’est souvent assez loin des villes. Or, j’avais envie de rester proche de Clermont-Ferrand. »

Entre les épreuves écrites et les oraux du concours de professeur des écoles, je tombe sur un article de Montagne qui parle de l’arrivée de la Ceinture Verte. C’est comme cela que je découvre que des initiatives similaires existent déjà ailleurs. En lisant la présentation du projet, je me rends compte qu’il répond à plusieurs des problématiques que je me posais. La rencontre avec Jérémy Alves a fini de me convaincre que je voulais tenter cette aventure. Entre 2022 et aujourd’hui, je me suis formé à Marmilhat et j’ai fait plusieurs stages et salariat dans différents types d’exploitations pour affiner mon projet. (notamment à La Ferme du Perche, qui est une référence en France sur le maraîchage bio-intensif) 

Aujourd’hui, tu es installé à la Ferme du Rebond qui fait partie du projet de la Ceinture Verte. C’est quoi, concrètement, ce projet ?

La Ceinture Verte est une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) dont l’objectif est de relocaliser le maraîchage au plus près des villes, en recréant des ceintures maraîchères autour des zones urbaines.

Concrètement, ça comprend l’installation du réseau d’irrigation, un bâtiment de stockage avec chambre froide et station de lavage sur dalle béton, un tunnel de stockage pour le matériel et une serre multichapelle de 1 500 m².

On vient, en effet, d’inaugurer “La Ferme du Rebond”, clin d’œil à mon passé de prof de tennis. La parcelle de 0,8 hectares sur un terrain de 1,5 hectares est  située au Cendre. Elle est intéressante par sa position stratégique, en plein cœur de ville, avec une bonne qualité de sol et un accès à l’eau.

Ton projet ne se limite pas à produire des légumes. Quel est l’objectif au-delà du maraîchage ?

Oui, complètement. Ce qui me motive, ce n’est pas seulement de produire des légumes, mais de faire en sorte que la ferme devienne un véritable lieu de vie, ancré dans son territoire.

L’idée c’est d’avoir une vraie production de légumes et que ce soit  également un espace convivial et d’échange. Un endroit où l’on prend le temps de discuter, d’apprendre et de s’intéresser à ce qui se passe dans les champs. J’ai envie de proposer des événements thématiques, en lien avec l’environnement et l’agriculture.
L’éducation est aussi un axe central du projet. Je veux mettre en place une visite mensuelle de la ferme, ouverte à tous, pour reconnecter les gens à l’agriculture.  Mon but, ce n’est pas d’avoir une ferme pédagogique classique avec des animaux et des visites formatées, mais d’intégrer la transmission et le partage des savoirs dans mon activité quotidienne.

Il y a aussi une dimension gastronomique qui m’intéresse. À la Ferme du Perche, j’ai découvert l’importance des partenariats avec les restaurateurs. J’aimerais développer ces liens avec des chefs locaux, pour valoriser la production et créer une dynamique autour du circuit court.
Finalement, je ne vois pas mon métier comme une simple production agricole. C’est un engagement global, une manière de partager une philosophie et de montrer qu’un autre modèle est possible.

Le changement climatique bouleverse l’agriculture. Comment est-ce que tu intègres cela à court et moyen terme ?

Grâce aux infrastructures mises en place par la Ceinture Verte, on dispose d’un système d’irrigation optimisé pour limiter la consommation. On utilise notamment la micro-aspersion, qui permet un arrosage plus précis avec moins de perte, ainsi que le goutte-à-goutte, qui apporte l’eau directement au pied des plantes. L’enjeu est d’alterner entre ces méthodes en fonction des besoins spécifiques de chaque culture.
Par ailleurs, le sol sur lequel je m’installe est très argileux et il a une bonne capacité de rétention d’eau. Bien sûr, ce type de sol a ses propres défis, mais sur cet aspect, c’est un vrai avantage.

Ensuite, il y a la question de sélectionner les cultures qui s’adaptent le mieux au contrainte du changement climatique ou de modifier les périodes de plantation. J’ai encore peu de recul sur ce terroir spécifique, mais le groupement maraîcher biologique d’Auvergne est un vrai atout. Une partie des maraîchers travaillent spécifiquement sur ces questions d’adaptations au changement climatique et les résultats seront des sources intéressantes à l’avenir. Des systèmes de voiles d’ombrage pourront aussi être mis en place dans les serres pour créer des conditions plus propices aux cultures. 

En réalité, c’est un processus d’adaptation permanent. Il faut tester, observer, ajuster… mais une chose est sûre : l’agriculture doit évoluer avec le climat.

(Ensuite, il y a la question des cultures adaptées au changement climatique. J’ai encore peu de recul sur ce terroir spécifique, mais on trouve des producteurs locaux qui proposent déja du melon ou de la pastèque. Il y a aussi des réflexions sur la culture d’agrumes, qui, avec des aménagements comme des voiles d’ombrage ou des serres adaptées, pourraient être envisageables.
En réalité, c’est un processus d’adaptation permanent. Il faut tester, observer, ajuster… mais une chose est sûre : l’agriculture doit évoluer avec le climat.)

La Ferme du Rebond, c’est une autre vision de l’agriculture, mais aussi une réflexion plus large sur notre avenir commun. Quel message veux-tu faire passer ?

Aujourd’hui, on vit dans un monde où les fractures s’accentuent. On pointe sans cesse nos différences alors qu’en réalité, on partage tous des préoccupations essentielles : bien manger, vivre dans un environnement sain, s’assurer que nos enfants grandissent dans de bonnes conditions. Je suis convaincu que l’agriculture peut être une réponse, plutôt qu’un problème. 

Mais au-delà de la production, la Ferme du Rebond incarne aussi une autre vision de l’installation agricole. L’idée qu’un agriculteur doit forcément posséder sa terre est encore très ancrée. Avec des modèles comme la Ceinture Verte, il devient possible d’expérimenter l’agriculture sans s’endetter à vie, d’y consacrer cinq ou dix ans, sans avoir à tout acheter et à tout assumer seul. Ce type d’alternative permet de fluidifier l’installation agricole et de la rendre plus accessible.

Finalement, le projet avec la Ferme du Rebond, c’est une manière de faire bouger les lignes. Montrer qu’un autre modèle est possible, que l’agriculture peut être une force de rapprochement, et qu’il existe des alternatives viables pour celles et ceux qui veulent s’engager, sans que la propriété soit une obligation.

 

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.