Quand il évoque les sujets qui le passionnent, il a l’oeil qui pétille. Il est du genre à vous expliquer le théorème de Thalès, à la terrasse d’un café, à l’aide d’un avant-bras, de deux doigts et d’un bâtiment gris au loin. Passionné par l’éducation et l’orientation, ce touche-à-tout nous livre ici ses réflexions sur l’école du XXI ème siècle et ses nécessaires redirections.
On te connaît pour tes nombreux projets autour de l’éducation, notamment le dernier en date, l’outil Futur. Peux-tu nous expliquer ce que tu fais, et pourquoi cet engouement autour de ce sujet.
Mon métier principal, aujourd’hui, c’est « prof de maths et de physique». Je travaille à l’école de design ESDAC, à Clermont-Ferrand. J’enseigne des matières que j’aime beaucoup, à des gens qui n’aiment pas ça. C’était d’ailleurs le premier défi de mon engagement dans l’enseignement : instruire et sensibiliser à la beauté des maths et de la physique….. Concernant Futur, j’ai un emploi du temps très chargé cette année et donc un peu moins de temps à me consacrer à ce projet. C’est un processus d’accompagnement qui peut être long et qui s’adresse principalement à des collégiens. Ce sont les moins soutenus aujourd’hui.
Tu nous parles de ton outil, mais c’est quoi concrètement ?
Aujourd’hui on trouve une multitude d’outils digitaux pour l’orientation. Je
me suis dit que c’était un sujet suffisamment important pour en parler en face à face avec les gens. Du coup, j’ai créé un outil qui tient sur une feuille A4, divisé en 5 étapes : “Qui es-tu ? Qu’est-ce que tu aimes faire dans la vie, qu’est-ce qui t’émerveilles ou te donnes de la joie?” etc… Et je déroule mon outil jusqu’à leur faire rencontrer des personnes qui font leur futur métier. C’est une passerelle entre les rêves des collégiens et le monde du travail.
On est donc sur de la low tech. Tu dis que les collégiens sont mal accompagnés et peu orientés. Aujourd’hui il y a un grand débat sur l’efficacité de notre système éducatif. Quelle est ta perception sur le sujet?
Mon orientation a été complètement chaotique. J’ai redoublé ma terminale car je ne savais pas trop quoi faire. J’aimais les maths mais j’avais une très mauvaise image de la fac. Avec le recul, j’aurais aimé pouvoir rencontrer des chercheurs, c’est la belle image qui m’a manquée dans mon parcours. Alors, j’ai fait une prépa puis en école d’ingénieurs et j’ai détesté. D’ailleurs je me suis fait virer.
Aujourd’hui on construit la scolarité à l’envers. On s’oriente un peu au « pif », on fait pas à pas. En voyant l’objectif, c’est beaucoup plus simple et plus motivant. Si toi par exemple ta passion c’est l’agriculture, je vais te faire découvrir plein de métiers différents dans ce secteur. C’est ce qui va te permettre de rencontrer des personnes qui vont connaître les formations pour y accéder. Ça va te guider, et tu sauras quoi faire.
Aujourd’hui on construit la scolarité à l’envers. On s’oriente un peu au « pif », on fait pas à pas.
Que s’est il passé après « l’échec de l’école d’ingénieurs » ? Quelle est la suite de ton parcours ?
En février 2010, je reviens à Clermont. J’avais fait quatre ans de sciences mais au final je n’avais que le bac. Mais je n’ai rien lâché. Je suis parvenu à convaincre la fac de Clermont de me prendre en Licence 3 Physiques Fondamentales. J’ai fait ma rentrée au mois de mars, j’ai rattrapé un semestre, et deux mois plus tard je validais ma licence.
J’ai ensuite intégré un Master de Physique des Matériaux à Poitiers. Pour résumer mes études, j’aime dire que j’ai vu les atomes avec les yeux – j’en ai manipulé sur d’énormes microscopes à plusieurs millions d’euros, c’était assez dingue.
Tu côtoies des lycéens au quotidien. Est-ce que tu as l’impression que les jeunes d’aujourd’hui sont différents des jeunes d’hier?
Ouh je ne m’aventurerai pas sur cette comparaison. Personnellement je suis très optimiste. Un exemple très simple : l’année dernière à l’ESDAC, j’ai décidé de faire deux mois de cours sur l’écologie. Je suis très branché entrepreneuriat alors je leur ai proposé d’imaginer un projet qui ait un impact positif pour l’environnement. C’était la seule consigne.
Au début, certains n’étaient clairement pas intéressés, mais au final il y a eu de vraies belles choses. L’organisation d’une marche de ramassage des déchets, une “clean walk” notamment. A travers cette expérience je leur ai montré ce qu’était la gestion de projet tout en les sensibilisant à l’écologie, un sujet qui m’est cher.
Il faut savoir les intéresser. Aujourd’hui encore, les cours fonctionnent sur de vieux formats. Il existe de nombreuses approches originales et ludiques pour transmettre le savoir.
Nous ne sommes pas tous égaux dans l’accès à l’éducation et la formation. Comment pourrait-on pallier à ces inégalités ou du moins les réduire ?
D’une manière générale, les lycéens sont perdus, ils sont peu nombreux à avoir une vocation. Je milite pour l’intérêt de se créer un réseau professionnel dès l’âge de dix ans. Dans la culture française, on sépare le monde du travail du monde scolaire, le premier étant “pour les grands”.
C’est d’ailleurs ce qui m’a donné envie de m’impliquer dans le milieu associatif. Par exemple l’association “Entreprendre pour apprendre” fait monter des projets d’entreprises à des primaires et collégiens. Je fais aussi partie de l’équipe organisatrice des startups week-ends sur Clermont. Et enfin, pour le côté écologique et scientifique je travaille avec les Petits Débrouillards et bientôt le Collectif des Possibles.
Je milite pour l’intérêt de se créer un réseau professionnel dès l’âge de dix ans. Dans la culture française, on sépare le monde du travail du monde scolaire, le premier étant “pour les grands”.
Pour toi, quels sont les grands défis qui te semblent importants de relever dans les années à venir ?
C’est tout simple. Je crois que le meilleur moyen de faire changer la société, notamment dans la tête, c’est d’éduquer les plus jeunes. Quand ces jeunes seront des patrons de boîte avec cette conscience là, ils agiront différemment. Pour moi, ça ne sert à rien de changer quelque chose qui est déjà ancré dans les mentalités actuelles. En tout cas ce n’est pas le combat que j’ai choisi.
Nous sommes en 2038 et l’on a repensé le modèle de l’éducation. À quoi ressemble t-il pour que chacun ait une chance?
D’abord, maintenons l’école obligatoire, Jules Ferry avait raison là-dessus. N’oublions pas qu’un élève de terminal en 2019 a plus de savoir qu’un savant d’il y a cent ans par exemple.
Il faudrait aussi une école plus modulaire en fonction des intérêts. D’où la place beaucoup plus importante de l’orientation.
Comment ouvre-t-on le champ des possibles à toutes et tous dans ton monde idéal ?
Avant dix ans, il n’y aurait pas d’instruction, uniquement des activités : apprendre à construire un mur, faire du foot, des activités non genrées. Il n’y aurait pas de cours, tu testerais tellement de choses qu’elle te mèneraient naturellement vers ce qui te correspond le mieux.
Autre point. Il faudrait aussi que le professeur cesse d’être le transmetteur du savoir, mais devienne un animateur des savoirs.
Il faudrait aussi que le professeur cesse d’être le transmetteur du savoir, mais devienne un animateur des savoirs.
Ça c’est le côté utopique ; et la dystopie en 2038 alors, à quoi ressemble-t-elle ? Les pires décisions qui pourraient être prises?
Pour moi l’utopie c’est de favoriser au maximum la cohésion entre les élèves, et la dystopie.. et bien ce serait de créer un maximum de tensions : compétition, sélection, lynchage public pour ceux qui n’y arrivent pas. Plus de récréations, plus rien.
Notre système actuel date du siècle dernier, c’est l’école à l’ancienne. Pour moi, on doit clairement repenser notre approche au niveau public : le professeur n’est plus au-dessus des élèves.
On est plus sur de la compréhension que de l’apprentissage. En tant que professeur mes missions aujourd’hui sont : instruire, apprendre, comprendre et sensibiliser.
Tu parles de modèles pour inspirer les jeunes. Quelle est la personne qui t’inspire le plus?
Alexandre Astier. Il est brillant et j’adore son humour. Il est à la fois comédien, musicien et scientifique. Il fait tout un tas de belles choses. J’ai
adoré son spectacle “L’exoconférence”. Il apparaît aussi dans les vidéos d’Axolot sur YouTube. Ça traite de la découverte des mondes et de l’univers. Cet homme m’inspire énormément. Il est comme les savants de l’époque, il est polymathe. Ça signifie qu’il connaît beaucoup de choses sur de nombreux sujets.
Qu’est-ce qui existe aujourd’hui dans l’innovation autour de l’éducation?
Un des points forts des dix dernières années, c’est YouTube. C’est un accès à la connaissance qui est beaucoup plus simple qu’avant. La forme du savoir a changé.
Tu as mentionné Axolot, quelles sont tes recommandations YouTube pour un néophyte qui souhaite découvrir les sciences?
Pour débuter l’astronomie, ce serait 12 Parsecs. Il y a aussi le numéro un de la vulgarisation scientifique en France, c’est « e-penser ». Ou encore L’Esprit Sorcier, c’est comme C’est pas sorcier mais en version web, plus moderne.
Dernière question. Est-ce que tu as une citation, un leitmotiv qui te portes?
Au niveau professionnel, je pense que ce serait : “Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait”, de Mark Twain.