Christian Coelho est maître de conférence à Vetagrosup à Lempdes. Il travaille sur les sujets viticoles depuis de nombreuses années. Nous avons cherché à savoir quelles étaient les forces de nos terroirs et à quels défis nous devrons faire face. Une plongée entre le passé et le futur.
Avant de parler des vignobles d’Auvergne, racontez-nous votre parcours professionnel…
Je suis né à Riom et j’ai toujours été passionné par l’univers scientifique, notamment la physique et la chimie. Après mon bac, je me suis dirigé vers un DEUG en sciences de la matière à Clermont-Ferrand. Ensuite, j’ai poursuivi avec un master en chimie environnementale à Toulouse, pour terminer avec une thèse à Clermont-Ferrand sur les réductions de produits phytosanitaires par les matières organiques naturelles issues de sols et de composts.
A l’issue de ces trois années de thèse, j’ai poursuivi par un travail d’attaché d’enseignement et de recherche à l’école de Chimie de Clermont-Ferrand. Cela a conforté mon souhait de poursuivre dans le monde universitaire. Je suis alors devenu maître de conférences à Dijon pour travailler sur la physico-chimie des aliments et du vin.
Vous avez passé de nombreuses années à travailler dans l’univers viticole en Bourgogne …
J’ai intégré l’Institut Universitaire de la Vigne et du Vin de l’université Bourgogne en 2012. J’enseignais la chimie analytique et les procédés de transformation du raisin en vins. C’est comme cela que je suis entré dans le secteur viti-vinicole. Au sein de l’Institut, il y avait un domaine expérimental qui nous permettait avec les étudiants de faire les vendanges chaque année, de participer à la vinification et de mettre en place des expériences terrain avec les vignerons.
Pour des raisons personnelles et professionnelles, j’ai décidé après le covid de me rapprocher de ma famille. Je travaille depuis 2021 à Vetagro Sup à Lempdes, comme enseignant-chercheur en évaluation sensorielle et sciences des aliments. Je fais travailler les étudiants-ingénieurs de 1ère, 2ème et 3ème année sur la technologie alimentaire, la fonctionnalité santé et sensorielle des aliments et sur le lien au terroir de ces aliments.
Depuis votre retour, vous participez à plusieurs études dans le cadre du développement de Vinora, l’association qui fédère les producteurs de vins volcaniques.
En effet, j’ai eu la chance de rencontrer des professionnels passionnants lors du premier salon Vinora qui a eu lieu à Vulcania en 2020. Au cours des discussions, nous avons eu l’idée de lancer une expérimentation scientifique pour identifier les marqueurs propres aux vins volcaniques d’ici et d’ailleurs.
Il y a une vraie envie pour la filière vin volcanique de s’affirmer dans son unicité. Parfois, en tant que scientifiques, nous savons croiser des données multi-échelles et multidisciplinaires pour apporter de nouvelles connaissances à des professionnels.
Depuis, vous avez présenté les résultats de deux études sur les vins volcaniques
Finalement, la seconde étude n’est que l’approfondissement de la première. Au départ, nous avons cherché à mettre en évidence des caractéristiques communes aux vins volcaniques, sans prendre en considération les techniques de vinification. Pour la seconde, nous avons restreint nos recherches pour se concentrer sur des vins qui étaient vinifiés dans des conditions identiques.
Depuis que vous êtes de retour en territoire auvergnat, vous avez dû déguster de nombreux vins d’ici. Que pensez-vous des vins d’Auvergne d’une manière générale ?
Après de nombreuses années en Bourgogne, j’avais quelques a priori et finalement, j’ai été agréablement surpris. Pour moi, le vrai atout en Auvergne est la diversité des terroirs et la présence d’acteurs engagés. Un cépage comme le gamay, par exemple, est très ancré dans le territoire et va pouvoir s’exprimer de manières vraiment différentes. On peut trouver des terrains basaltiques près des anciens volcans, des sols argilo-calcaires un peu partout, de la marne et des ponces autour de Veyre-Monton et de Champeix, de la pépérite vers Châteauguay et des sols granitiques du côté du Forez et du Roannais. Cela va donner une typicité au Gamay, identitaire de ces différentes zones de production.
On entend beaucoup parler des enjeux du dérèglement thématique pour la viticulture. Comment est-ce que le monde du vin travaille cette question ?
Il existe plusieurs manières d’aborder la question.
Tout d’abord, une méthode classique appelée “verticale”. Au sein d’un même domaine, avec un historique des pratiques disponibles, on va pouvoir déguster plusieurs millésimes. Cela permet de remonter le temps et de regarder les années qui ressortent positivement ou négativement. Grâce aux marqueurs biochimiques, on peut identifier les perturbations climatiques subies par la vigne et observer comment cela affecte le vin.
Vous avez parlé de plusieurs manières d’étudier l’impact du réchauffement climatique sur les vignes…
On peut également travailler sur la maturité de la baie de raisin et de sa biochimie. On regarde comment le sucre va s’accumuler, quel est le degré de dégradation des acides organiques en fonction de la météo. C’est d’ailleurs pour ces raisons de décalage de maturité que l’on vendange entre deux à trois semaines plus tôt qu’il y a dix ou quinze ans. Il y a bien un réchauffement climatique observé, pour autant, le climat en Auvergne est en dents de scie. Ce n’est pas un réchauffement régulier et linéaire.
Comment anticiper ces mutations inéluctables et comment adapter le vignoble auvergnat dans le futur ?
Pour les vignerons, la question de la gestion des aléas climatiques est essentielle. Si on a une période avec des températures anormalement élevées pendant l’hiver, cela peut déclencher un bourgeonnement précoce de la vigne. Si pendant la phase de maturation du raisin, il y a un excès de chaleur, cela va induire un stress hydrique trop poussé qui nuira à la qualité des raisins. Un des moyens pour faire face à ces situations est de s’intéresser aux cépages plus tardifs, ou ceux plus résistants à la sécheresse.
Il existe un conservatoire des cépages, au sein de la fédération viticole du Puy de Dôme. On peut très bien imaginer des expérimentations avec différentes variétés et porte-greffes pour identifier des cépages porteurs pour le vignoble du futur. Par exemple, les vieux cépages comme “le Portugais bleu” et “l’Epinou”, présents au conservatoire, peuvent avoir un réel intérêt au niveau local. D’autres cépages septentrionaux comme le pinot noir ou le gewurztraminer sont tout aussi intéressants pour la filière vin en Auvergne.
Néanmoins, pour que d’autres cépages soient intégrés au cahier des charges des différentes AOC, il y a toute une procédure à respecter et ces demandes se font en concertation avec l’INAO.
C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?
De mon point de vue, la filière viticole devra répondre à deux grands enjeux majeurs dans les prochaines années. Tout d’abord, il faudra adapter les cultures et les vignes pour faire face à la multiplication des aléas climatiques. Par ailleurs, le secteur doit également poursuivre les travaux de recherche pour lutter contre les maladies de dépérissement du vignoble qui représentent un vrai risque pour nos cultures.