Par Damien Caillard
Open Innovation … presque un pléonasme. Peut-on encore aujourd’hui concevoir l’innovation comme un processus uniquement fermé sur l’entreprise ? Au contraire, l’innovation « ouverte » devient peu à peu la norme pour tout acteur économique en phase avec le monde actuel. Le principe: faire confiance à des partenaires « non conventionnels » – différents des laboratoires ou services de R&D – pour faire émerger et développer l’innovation. L’Open Innovation, c’est donc s’ouvrir à ses collaborateurs – surtout ceux aux prises avec l’opérationnel -, ses partenaires, ses clients, son écosystème de proximité pour imaginer ensemble les solutions de demain, sur un mode de co-création. C’est aussi croire qu’on a fondamentalement plus à gagner à partager ses problématiques avec d’autres qu’à les garder pour soi: l’enrichissement par les points de vue d’autrui et les éventuelles synergies vont décupler le potentiel de l’innovation.
Ni orgueuil, ni préjugés
Car le succès d’un rapprochement en Open Innovation est d’abord lié aux hommes, à leurs échanges et à la confiance qu’ils peuvent se porter. Même entre acteurs radicalement différents, comme une PME industrielle de 50 personnes et une start-up numérique de 3 associés et un stagiaire. C’est dans ces échanges, dans ces rencontres, que l’écosystème local joue un rôle déterminant. « Au fond, il faut des gens qui collaborent ensemble. Pour cela, il faut se connaître, se faire confiance, et (…) habiter à proximité l’un de l’autre. » précise Antoine de Leudeville, partner chez All You Need For Growth. On comprend ainsi que, dans un écosystème dense et dynamique, la faculté des acteurs à se rencontrer, à se connaître et à se respecter – à travers des événements ou des initiatives territoriales – est un préalable à la réussite de l’Open Innovation.
« Il faut se connaître, se faire confiance, et habiter à proximité l’un de l’autre » – Antoine de Leudeville, All You Need For Growth
A peu de choses près, c’est ce qui est arrivé à Guillaume Blanc. Son entreprise, Exotic Systems, a annoncé en septembre une prise de participation par Limagrain et Michelin pour développer ensemble des objets connectés dédiés à l’agriculture. Un beau partenariat d’Open Innovation, mais qui n’a pu voir le jour que grâce à deux préalables:
- Un travail de positionnement stratégique déjà lancé au sein d’Exotic Systems. L’entreprise vieille de 10 ans était spécialisée dans les objets connectés, sans s’être pour autant diversifiée vers l’agriculture. « On a une maîtrise de la chaîne de valeur complexe, en tant qu’intégrateur de techno » résume Guillaume Blanc. « On se posait la question de notre positionnemment, sur quel secteur d’activité on était légitime et où il y avait des besoins et des enjeux: l’agriculture a émergé. On [n’y] avait jamais travaillé, mais on maîtrisait les spécificités techniques attendues par les objets connectés dans ce domaine. » L’environnement économique direct a aussi beaucoup joué dans ce positionnement: « autour, un écosystème avec le 4ème semencier mondial, des centres de recherche, un laboratoire d’innovation territorial, des agriculteurs référents … et tous les collaborateurs d’Exotic ont, à titre personnel, des liens forts avec le monde rural. » conclut le fondateur.
- Une base de travail saine et équilibrée mise en place dès le début. Notamment parce que les premiers contacts « se sont fait avec les bonnes personnes » comme le résume Guillaume. Suite au travail de positionnemment, « on s’est insérés dans des groupes de travail de la S3 [la Stratégie régionale de Spécialisation Intelligente] sur l’agriculture, alors qu’on nous attendait sur l’usine du futur ou la cybersécurité: ça a commencé à étonner. (…) Puis c’est allé de rencontre en rencontre » avec les représentants des grands donneurs d’ordres participant à ces groupes de réflexion: Valérie Mazza puis Laurent Barthez pour Limagrain, François Pinet et Benoît Puel pour Michelin … « La confiance s’est installée dès le début, avec l’écoute, le respect mutuel, la considération. »
Le travail stratégique et la rencontre avec les bonnes personnes dès le début sont des facteurs-clé de succès de l’Open Innovation. Réfléchi et choisi, le positionnement stratégique permet au « petit » partenaire de garder le cap dans la négociation qui s’en suivra. Guillaume Blanc insiste sur ce point: « C’est un acte éminemment stratégique que de parler à des acteurs comme ça. Il faut se battre, tenir bon sur sa vision, et les [grands donneurs d’ordres] apprécient. » En même temps, mener la discussion avec des personnes de confiance permet à Exotic Systems de garder ce qui fait sa spécificité. C’est capital, car souvent l’opération d’Open Innovation sera pilotée par la plus petite structure, pour des raisons d’inventivité et d’agilité. « Ils investissent dans une start-up qui doit rester ‘elle' » précise Guillaume, « qui ne doit pas être ‘michelinisée’. Il faut être attentif à ce que ça ne t’arrive pas.« .
« La confiance s’est installée dès le début, avec l’écoute, le respect mutuel, la considération. » – Guillaume Blanc, Exotic Systems
L’opération proprement dite peut alors se mettre en place, quelle qu’en soit sa forme. Ce sera forcément du gagnant-gagnant, à condition que chacun sache ce qu’il a à en tirer, et puisse garder son individualité. Guillaume Blanc ne peut donner de détails sur le partenariat avec Michelin et Limagrain, mais résume ainsi l’état d’esprit: « Nous [Exotic] on compte sur eux pour qu’ils nous aident à structurer plus vite, à faire du développement commercial, à tester, à [nous aider à] rentrer vite sur les réseaux de distribution. Ils vont intervenir de manière opérationnelle, mais ce n’est pas leur rôle de piloter le projet. Exotic pilote et ils arrivent en tant que conseils/contributeurs, et ça marche quand il y a une grande écoute. » Au final, l’Open Innovation est un succès quand « tout le monde apprend quelque chose, même quand tu es un grand acteur. Mais il faut être ouvert d’esprit: c’est un des talents des grands groupes sur Clermont. »
Des opportunités croissantes en Auvergne
Grâce – en partie – à ces grands groups, le décollage de l’écosystème d’innovation clermontois s’accélère, et avec lui les opportunités en Open Innovation. Mais de tels partenariats ne s’improvisent pas, et un accompagnement y est souvent nécessaire. L’Open Innovation, née plutôt au sein des grands comptes, conquiert peu à peu le monde des « petites » structures économiques: ETI, PME, PMI … En Auvergne, ces structures sont largement majoritaires par rapport à de plus gros acteurs, même si ces derniers sont plus visibles. Les dispositifs d’accompagnement à l’Open Innovation doivent s’adapter aux besoins spécifiques des petites et moyennes entreprises, qui n’ont pas de service dédié à l’innovation participative. Cela dit, le potentiel est énorme: « une petite entreprise est moins complexe, moins structurée. » analyse Antoine de Ledeuville. « Il y a moins de gens et de moyens, et les individualités ont plus de place pour s’exprimer. Ces conditions sont plus favorables à la rencontre de plusieurs personnes autour d’un certain nombre d’idées pour générer des innovations. »
« C’est la culture des régions un peu isolées (…): quand il pousse quelque chose, on le valorise tout de suite. » – Sylvain Poisson, le Bivouac
Même son de cloche au Bivouac, où Sylvain Poisson est (notamment) en charge de développer une offre locale d’accompagnement à l’Open Innovation. Selon lui, la culture économique clermontoise est propice à l’émergence d’une innovation collaborative entre petits et grands acteurs: « Je pense qu’on est en avance sur Lyon sur certains points [car] on doit vraiment se bouger pour créer nos forces, et historiquement on n’est pas mauvais là-dessus. On défend son bifteck, un sou est un sou et on est capable de prendre des risques. C’est la culture des régions un peu isolées (…): quand il pousse quelque chose, on le valorise tout de suite. ».
La clé du dispositif d’Open Innovation mis en place par le Bivouac est l’accompagnement à l’externalisation des projets innovants: quand une techno de rupture émerge, il vaut mieux constituer une équipe autonome, une « spin-off » et la sortir du cadre de l’entreprise. Elle ne doit cependant pas être lâchée dans la nature: c’est le principe du suivi proposé par le Bivouac. « Il faut accompagner, former, donner des ressources pour concevoir l’innovation [en interne] et ensuite avoir le courage de la sortir de son entreprise s’il est en confrontation avec la chaîne de valeur actuelle. » résume Sylvain. Même si le succès n’est pas garanti. « Cela reste des start-ups, il y a des taux d’échecs. Mais on a la méthodo et l’accompagnement qu’il faut pour minimiser ce risque. »
Trois exemples d’accompagnements possibles sur Clermont
Les partenariats en Open Innovation peuvent prendre des formes très variées, du simple prototype réalisé en commun à une prise de participation capitalistique, en passant par l’accord de distribution, l’ouverture d’un réseau ou encore la mise à disposition de données métiers. Dans tous les cas, plusieurs solutions d’accompagnement amont ou transversal existent sur notre écosystème, pour appliquer les bonnes pratiques et maximiser les chances de réussite de l’Open Innovation. En voici trois exemples:
Le Connecteur agit en amont des dispositifs « one-to-one » d’accompagnement, en misant sur la sensibilisation des acteurs économiques « classiques » (PME, ETI, collectivités …) à l’Open Innovation. Notre mission est de développer et d’enrichir les échanges entre les membres de l’écosystème, ce qui inclut favoriser l’entrée de nouveaux membres ! Pour ce faire, nous organisons régulièrement des événements d’introduction à l’Open Innovation, comme celui qui a eu lieu mercredi 9 novembre au salon Eurêka (en partenariat avec le Bivouac). Le public étant nécessairement large, il ne s’agit pas d’un accompagnement personnalisé, mais cela permet de voir ensemble les bonnes pratiques de l’innovation ouverte.
Fabien Marlin, co-fondateur du Connecteur et organisateur de la soirée de mercredi, insiste sur la nécessité de « colporter » ce message directement auprès des entreprises, et pas forcément celles qui viennent à des événements sur l’innovation. « Nous devons viser les clusters, les pôles de compétitivité, les institutionnels pour atteindre les entreprises en aval. » indique-t-il. L’idée est de proposer dès début 2017 une offre de présentations modulaires et interactives, à « délocaliser » auprès des acteurs fédérant des PME et des ETI, et visant à sensibiliser à l’Open Innovation – ce en plus des grands événements similaires à celui de mercredi, sponsorisés et ouverts à un public plus large.
La Maison Innovergne s’adresse aux TPE et PME plutôt industrielles. Son accompagnement consiste en des solutions pour externaliser l’innovation sans bousculer la culture d’entreprise. Cela est possible grâce aux nombreux contacts établis avec les écoles d’ingénieurs du bassin clermontois (Polytech, VetAgroSup, ISIMA, école de chimie …) et notamment leurs Junior Entreprises. Le principe, décrit par Nicolas Rigaud, animateur du RDT à la Maison Innovergne: « Si une TPE/PME veut mener une réflexion sur un projet, ou sur une problématique techno pas trop sensible, mais que le dirigeant n’a pas assez de temps pour le faire, on peut créer un projet d’étudiant ingénieur. » Deux solutions dans ce cas: soit le projet est mené dans le cadre des cursus d’ingénieurs, non facturé à l’entreprise, à raison d’un jour par semaine pendant 4 mois; soit il est confié à la Junior Entreprise qui va prester.
Selon Nicolas Rigaud – qui a présenté le dispositif mercredi à la soirée du Connecteur – les écoles d’ingénieur sont demandeuses de ce genre d’initiative en Open Innovation, car c’est un moyen de mettre les étudiants en contact avec le monde économique réel pendant leur cursus. Pour les entreprises bénéficiaires, « c’est une opportunité pour les petites structures peu organisées, réticentes à aller vers les cabinets de conseil. C’est une solution a minima en innovation collaborative. Il faut accepter l’approche d’un petit groupe d’étudiants: c’est moins calibré, ça ne délivre pas de produit final, mais ça déblaye bien la problématique. » Et les tarifs des J.E. défient toute concurrence !
Le Bivouac a conçu l’offre « Innocamp« : une journée d’Open Innovation autour d’une entreprise commanditaire et de l’écosystème de start-ups locales. Ce dispositif a également été présenté mercredi soir à la soirée du Connecteur: l’entreprise vient avec ses problématiques d’innovation qui sont exposées aux start-ups participantes (hébergées au Bivouac ou non), et le Bivouac organise l’ensemble de la journée qui se passe dans ses murs. Au final, des réflexions collaboratives qui apportent la vision de nombreuses start-ups tout en bénéficiant à l’entreprise pilote, et l’émergence possible de projets sur le long-terme. C’est d’ailleurs là que la relation peut être plus compliquée: « Il faut qu’un crédit de temps soit alloué à chaque personne participant à un projet, pour ne pas être complètement rattrapé par le business as usual après [l’Innocamp]. », résume Sylvain Poisson.
L’Innocamp est le moyen qu’a choisi Didier Rembert, directeur de VVF Villages – tout de même la principale association française en ESS (Economie Sociale et Solidaire), basée à Clermont. La journée Open Innovation qu’il a commanditée a eu lieu au Bivouac le 15 septembre dernier. Deux objectifs pour cet Innocamp:
- Se faire connaître sur l’écosystème: « les start-ups clermontoises ne nous connaissaient pas, elles se tournaient trop vers les ‘gros' » estime Didier Rembert. « Le Bivouac était un bon intermédiaire pour montrer qu’on existait sur le marché local. »
- Faire émerger des idées nouvelles en impliquant vraiment les collaborateurs de VVF, tout en restant dans le cadre stratégique de l’association. Didier Rembert: « J’ai demandé à des gens de mes équipes de venir présenter leurs projets [aux start-uppeurs] pour que les autres comprennent ce qu’on fait, quel est notre métier (…) et notre président est venu donner le ‘la’. »
Faire attention au suivi des projets est aussi une clé de réussite pour Didier Rembert. Il faut aller relativement vite, garder le « moment inertiel » de l’événement. Pour ce faire, il a choisi de confier à un collaborateur la tâche de prendre les rendez-vous, suivre les contacts et les projets. Stratégie payante, puisque, deux mois après l’événement, au moins trois start-ups locales ont pu contractualiser avec VVF Villages. Quant à la proximité avec l’écosystème, « elle est importante: elle permet de travailler plus vite, d’avoir des gens qui peuvent être en direct avec les équipes du siège social. »
Ces dispositifs ne sont pas à prendre isolément, sans quoi ils n’auront qu’une efficacité limitée. Tous les acteurs insistent sur le fonctionnement en écosystème, à la fois pour la mise en relation mais aussi pour la chaîne de valeur de l’innovation. Comme le résume Sylvain Poisson: « en amont, il faut repérer les relais de créativité avec des outils comme Numélink ou CCI. Quand on a compris que c’est urgent de changer, il faut mettre en place la conduite du changement, et c’est plutôt Innovergne. Et quand on a fait ce travail amont, on est prêt pour venir au Bivouac, pitcher ses besoins, les confronter à l’écosystème. » Le Connecteur (en amont, sur la sensibilisation à l’Open Innovation) ou encore Epicentre Factory (en aval, sur des journées de réflexion collaborative) complètent ce tableau.
C’est en répétant et en approfondissant ce message que les acteurs économiques auvergnats, grands comme petits, passeront à l’Open Innovation. Et que notre écosystème en sera diversifié et renforcé, au bénéfice du territoire.
- Pour contacter Innovergne: Nicolas Rigaud, nrigaud@innovergne.fr
- Pour contacter le Bivouac: Sylvain Poisson, sylvain.poisson@lebivouac.com
- Pour contacter le Connecteur: via notre formulaire de contact
- Pour s’inscrire à la journée Open Inno / groupe la Poste organisée jeudi 17 novembre à Epicentre (gratuite et ouverte à tous), c’est par ici
Prochain focus: samedi 19 novembre sur l’Entrepreneuriat Social à Clermont