par Pauline Rivière
Jean-Claude Mairal a un parcours de militant politique communiste. Élu en 1983 à Moulins-sur-Allier et 2008 à Creuzier-le-Vieux, il fut aussi Président du conseil général de l’Allier (1998-2001) et,en 2004, vice-président du conseil régional d’Auvergne.
De ses propres mots, il s’est beaucoup investi sur la thématique des territoires, de la démocratie participative, et de la mobilisation des acteurs. Il s’est aussi engagé dans la coopération internationale notamment en Afrique et depuis 2012, il est le Président de l’association Planète jeunes reporters – Sur les pas d’Albert Londres qui promeut l’éducation aux médias. Il se résume à travers cette phrase «Mon parti, c’est le parti du territoire, et de la citoyenneté».
Avant de parler de la place de l’innovation sur nos territoires, il nous semble important de te laisser expliquer ce que tu mets derrière ce mot. En effet, il existe autant de visions que d’individus. Quelle est ta définition du mot ?
De mon point de vue, l’innovation part des citoyens, des individus. Par expérience, je sais que chacun, a une part de créativité en lui. Pourtant, cette créativité a
été étouffée, car notre société française, mais c’est aussi ce que l’on retrouve dans les sociétés communistes, attend tout d’un État central et de ses collectivités.
Je porte plutôt l’idée qu’en tant qu’individu, nous avons une responsabilité, celle de faire face à notre propre vie. D’ailleurs, la crise que nous venons de vivre a montré qu’il fallait se prendre en main. Des femmes (principalement) se sont mises à fabriquer des masques, les agriculteurs se sont organisés pour mettre en place des drive pour écouler leurs marchandises, etc. Ces expériences-là, loin d’être anodines, reflètent une prise en mains des citoyens de leurs destins. Cette dynamique ne pourra être balayée d’un revers de main.
L’innovation n’existe pas sans les individus. Pour qu’un territoire puisse innover, il faut permettre à chacun de libérer sa créativité. Nous devons mettre en place les conditions favorables et ainsi devenir des “créateurs de potentiels”.
Pour y arriver, il faut développer une approche territoriale. C’est seulement si nous coopérons et que nous nous mobilisons que l’on peut favoriser la confiance de l’individu dans ses capacités. Par exemple, la Mission locale de Vichy, qui accompagne des jeunes en difficulté par rapport à l’emploi, a initié Nov’Events. C’est une démarche d’entreprises qui permet de faire naître de vrais projets et qui redonne aux jeunes la confiance dans leur capacité à agir.
Pourtant, cette créativité a été étouffée, car notre société française, mais c’est aussi ce que l’on retrouve dans les sociétés communistes, attend tout d’un État central et de ses collectivités.
Tu as un parcours politique, tu viens de relier le sujet de l’innovation à l’individu, c’est-à-dire au social. Pourtant sur les territoires, le principal enjeu est l’économie et plus largement, le développement économique. Alors que nous faisons face à une crise que l’on annonce sans précédent, comment pouvons-nous innover pour assurer la survie de nos entreprises ?
Cette crise a plongé des PME et PMI dans de grandes difficultés, et ceci, dans de nombreux secteurs économiques. Prenons l’exemple des vignerons de Saint-Pourçain, qui pour certains, ont perdu 40 % de leur chiffre d’affaires.
Dans l’approche économique “classique”, on se dit qu’il faut que l’État apporte des financements. C’est nécessaire, certes, mais parallèlement, nous pourrions imaginer d’autres démarches à mettre en oeuvre. Pourquoi ne pas développer des fondations avec des financements publics, privés et associatifs ? On pourrait également très bien envisager le financement solidaire. Nous ne sommes pas obligés de réduire les habitants d’un territoire à leur rôle unique d’acheteur et de consommateur. Ils peuvent être aussi acteurs.
Prendre le problème uniquement par le prisme de l’économie et de la finance me semble être une erreur. Le vignoble de Saint-Pourçain est bien plus qu’un pan de l’économie locale. Le vin, c’est un enjeu multisectoriel, qui touche aussi au tourisme, à l’agriculture et l’alimentation.
Un autre défi sur nos territoires est la transmission et la reprise des entreprises. Le développement des SCOP et SCIC me semble être un sujet intéressant, pourtant, aujourd’hui, les cas où les salariés se positionnent pour la reprise de l’entreprise [qu’elle soit en difficulté ou non] est l’exception plutôt que la règle. Ce n’est pas dans notre mentalité, pourtant cela ouvre de nouvelles possibilités qui rejoignent cette idée que l’on peut être acteur de sa vie plutôt que de la subir.
Une entreprise n’est pas juste économique. Il faut intégrer tous les liens qu’elle peut avoir avec le territoire. Elle joue un rôle dans l’attractivité de ce territoire et c’est un maillon indispensable pour l’emploi et la cohésion sociale.
Une entreprise n’est pas juste économique. Il faut intégrer tous les liens qu’elle peut avoir avec le territoire.
Ces idées semblent intéressantes, alors pourquoi ne prennent-elles pas forme ou ne se développent-elles pas plus ? Où sont les freins ?
En France, nous ne sommes pas dans une logique transversale. Prenons l’exemple de la santé qui est un sujet actuel. La santé, c’est l’hôpital, oui, mais c’est aussi l’usager, les élus, le secteur privé et les professions libérales, les pompiers, le SAMU. Il y a tout un écosystème qui travaille sur la question de la santé. Alors oui, l’hôpital public doit avoir des moyens pour fonctionner, mais il ne faut pas réduire le sujet à cela. Si on ne crée pas les conditions pour travailler et réfléchir ensemble, tout cela est vain.
Je plaide pour une charte de la santé pour les territoires. Aujourd’hui tout est beaucoup trop compartimenté tant au niveau sectoriel qu’administratif. À mon sens, la vraie innovation de demain pour le système de santé, c’est dans la coopération et la mutualisation. Malheureusement, à l’heure actuelle, ce mode de gestion n’est pas du tout dans l’ADN de notre pays. Pour un développement harmonieux et dynamique des territoires, il faut que les acteurs publics, parapublics et privés collaborent ou plutôt coopèrent.
On peut tout de même souligner que la première phase du déconfinement a été organisée entre le Préfet et le maire. C’est assez nouveau et unique en son genre. Normalement, c’est l’État qui décide, et les collectivités qui appliquent.
Alors justement, tu parles de nouvelles manières de faire. À ton avis quels sont les principaux défis ou chantiers suite à la crise ? Sur quoi doit travailler le monde d’après ?
En premier lieu, la Jeunesse. On s’aperçoit que la jeunesse n’a pas été la priorité pendant cette crise. Il faut nous interroger sur la situation de ces jeunes pour qu’ils ne soient pas les grands perdants. C’est important de se soucier du sort des personnes âgées dans les EHPAD, mais aujourd’hui, on a des milliers de jeunes complètement déboussolés, dans les territoires.
Ensuite, si l’on parle des territoires, il faut sortir pleinement des logiques partisanes. Nous devons développer sur chaque bassin de vie et, avec l’ensemble des acteurs, une approche territoriale afin de redonner confiance à nos concitoyens. D’ailleurs, il est absolument indispensable de les associer. On a trop tendance à les oublier. C’est comme cela que l’on mettra en place une bonne dynamique économique qui nous permettra de faire face aux défis qui nous attendent dans les prochaines années.
Enfin, je pense qu’il est aussi primordial de valoriser toutes les initiatives qui ont été développées ces trois derniers mois, pour qu’elles puissent perdurer dans le temps et ne soient pas considérées comme des parenthèses enchantées. Quand je vois toutes ces expériences positives qui ont été menées pour permettre la continuité pédagogique, je me dis qu’il faut en parler. On a vu naître des web télés, des web radios, c’est une richesse inouïe sur laquelle il faut capitaliser.
Je pense que le numérique fait partie intégrante de notre société, et l’intelligence artificielle va ouvrir le champ des possibilités. C’est incontestable et c’est une bonne chose.
En France, nous avons pris un retard considérable sur ces sujets-là.
Très bonne transition. Cette crise a permis de faire émerger sur le volet du numérique des tendances qui restaient confidentielles, le télétravail, la télémédecine, les outils de mise en relation. Est-ce que ce sont des solutions, des alternatives ou des palliatifs ?
Je pense que le numérique fait partie intégrante de notre société, et l’intelligence artificielle va ouvrir le champ des possibilités. C’est incontestable et c’est une bonne chose.
En France, nous avons pris un retard considérable sur ces sujets-là. En 2000, j’ai fait partie de la première promotion de l’Institut des Hautes Études de l’Aménagement du Territoire. Nous sommes partis en Suède pour découvrir comment ces territoires peu peuplés parvenaient à faire face aux attentes des citoyens, notamment dans le domaine de la santé. Leur réponse a été le développement de la télémédecine, c’était très positif et c’était il y a 20 ans ! Nous, on a mis du temps à le découvrir, et pourtant, c’est une solution d’avenir. D’ailleurs, c’est ce que la crise nous a démontré.
Le numérique est aussi un élément intéressant au niveau éducatif. Par exemple, la webradio qui était active pendant le confinement a servi de plateforme pour mettre les cours en ligne et ainsi permettre l’enseignement à distance. D’ailleurs, cela a été validé par l’Inspection Générale. Cependant attention, on ne va pas remplacer la présence des élèves dans les salles par des cours en ligne, mais il va falloir apprendre à conjuguer les deux.
Pour ce faire, l’Éducation Nationale va devoir modifier sa façon de faire. Un certain nombre d’enseignants ont fait le job pendant le confinement, mais il est indispensable d’intégrer de manière beaucoup plus poussée le numérique dans le parcours de formation du corps enseignant, mais aussi de l’encadrement administratif.
Les jeunes, c’est un sujet qui vous passionne et qui vous a poussé à (créer en 2012 « sur les pas d’Albert Londres) vous impliquer dans cette association devenue l’an dernier l’association « Planète-jeunes reporters- sur les pas d’Albert Londres ». Tout d’abord, quelle est la raison d’être de cette association ?
Nous faisons de l’éducation aux médias. En octobre prochain auront lieu les 48 h du reportage au smartphone. Le smartphone est un formidable outil de démocratisation de l’accès aux médias. Il permet à chacun de créer des contenus, de manière simple et intuitive. Sur Youtube, on voit des jeunes qui ont leur propre chaîne et qui développent leurs contenus en toute autonomie. Aujourd’hui le numérique devient de plus en plus accessible. Il est tout à fait envisageable de mettre en place des web télés ou des web radios à l’échelle d’un quartier ou d’une commune pour mettre en lumière les initiatives et donner la parole aux habitants.
Être dans l’éducation aux médias, c’est avoir une vision transversale pour la jeunesse. À travers nos projets, on apprend à produire des contenus, mais c’est aussi l’importance des échanges et des rencontres : entre les habitants des différents quartiers, entre des pays européens comme avec les “itinérances” ou même encore plus loin. Si les conditions nous le permettent, nous allons envoyer quelques jeunes en Mongolie pour réaliser des reportages avec des jeunes de là-bas.
Pour résumer les trois ambitions de l’association sont : l’éducation aux médias, l’ouverture sur le monde et la mise en valeur des atouts du territoire.
Alors justement, les congés approchent et le tourisme enflamme les débats. Vous avez participé à la rédaction en 2009 de l’ouvrage « Tourisme responsable, clé d’entrée du développement territoriale durable, guide pour la réflexion et l’action ». Alors finalement, faut-il apprendre à « voyager » à côté de chez soi et ne plus prendre l’avion dans un souci écologique ?
Je me méfie des propos qui visent à dire “non à l’avion”. C’est évident que nous allons devoir modifier notre manière de nous déplacer, mais, le voyage “loin” per
met depuis toujours, une ouverture sur le monde et sur d’autres cultures. On ne peut pas dire stop, c’est terminé. En revanche, il nous faut penser à un tourisme durable, responsable et respectueux des cultures. Certains voyagistes ont déjà cette approche, mais il faut qu’elle se généralise. Il ne faut surtout pas se replier sur nous-mêmes ni fermer les portes et les frontières.
Quant au tourisme local, nous avons incontestablement des atouts à promouvoir. Cependant, il me semble que le premier enjeu est d’abord l’éducation au tourisme. Aujourd’hui, bon nombre d’élus, d’acteurs du tourisme et d’habitants, ne connaissent pas leurs territoires et ses richesses. Nous devons d’une part, apprendre à découvrir les petits patrimoines et le patrimoine immatériel et en être fiers. D’autre part, il est important de développer la qualité de l’accueil. Le contact que le touriste ou le voyageur de passage aura dans un gîte, dans un restaurant ou au guichet d’une gare, tout cela aura un impact sur son ressenti et sur l’expérience touristique et humaine.
Enfin (et toujours), il faut sortir des logiques de chapelle. Si l’on prend l’exemple de la thématique des Bourbons. Elle est extrêmement importante dans l’Allier et nous offre un rayonnement au niveau européen, voire mondial. Pour autant, si un touriste passe par Besson ou Moulins pour visiter un des châteaux, il faut aussi que les acteurs du tourisme des communes puissent promouvoir le thermalisme de Vichy. Il ne faut pas y voir une fuite de revenus potentiels pour les communes, mais plutôt, une opportunité pour l’Allier dans son ensemble.
il me semble que le premier enjeu est d’abord l’éducation au tourisme. Aujourd’hui, bon nombre d’élus, d’acteurs du tourisme et d’habitants, ne connaissent pas leurs territoires et ses richesses.
C’est l’instant carte blanche. Quelque chose à ajouter ?
Quand j’étais à Paris et que je prenais le métro, je regardais tous ces visages et je voyais en chacun d’entre eux une histoire. On peut tous se dire que notre vie est un roman même dans les pires difficultés. Nous sommes les héros de nos existences. L’individu est l’auteur et le responsable de sa propre vie. Si l’on pense que le bonheur va venir d’un chef suprême alors on est à côté de la plaque. Pour conclure, il ne faut jamais oublier, que chacun joue un rôle primordial pour lui-même et pour la collectivité.
Je conclurai par cette citation d’Edgar Morin dans son ouvrage « La Voie.Pour l’avenir de l’Humanité », P 277 : « C’est l’éthique du citoyen qui, dans une société au sein de laquelle il jouit de droits, doit assumer ses devoirs pour la collectivité ». C’est l’expression même de la responsabilité.