Par Damien Caillard
Avez-vous déjà participé à un événement de créativité entrepreneuriale ? Entre les hackathons thématisés et les Startup Week-ends, les formats sont nombreux. Mais celui de la WIN – Waoup Innovation Night – se distingue par son ampleur et par son dynamisme. C’est simple: le 15 décembre dernier, la seconde édition de la WIN a rassemblé 1000 participants dans le stade de l’Olympique Lyonnais. Et a réussi le challenge de leur faire concevoir une boîte en 2h30.
La WIN est l’événement phare de l’association Waoup Shaker. Cette structure, liée à l’incubateur de start-ups Waoup (basé à côté de Fourvière, à Lyon), a une mission: faire bouger les gens. « Que d’énergie perdue avec tous ces gens qui s’ennuient au boulot, les jeunes qui n’arrivent pas à rentrer dans le monde du travail, les vieux qui en sont partis trop tôt » résume Hervé Kleczewski, directeur de Waoup. « Et si on les convainquait qu’ils peuvent changer les choses, mettre en oeuvre des projets imaginés ensemble et créer leurs propres structures ? » L’ambition de Waoup Shaker est donc de pousser tout un chacun, jeune, vieux, actif, chômeur, étudiant … à se lancer dans l’aventure entrepreneuriale et à agir pour créer des emplois dans leur bassin de vie.
La WIN 2017, un parcours surprenant
Comment ? Par une série d’événements et d’animations principalement dans l’écosystème lyonnais, dont le vaisseau amiral est la WIN. Cette immense soirée de créativité en est à sa seconde édition sous cette forme (1000 participants), mais elle avait existé de manière plus réduite auparavant. Le principe cardinal: surprendre. Emmanuel Gonon, co-fondateur de Waoup, le présente ainsi: « On déteste faire deux fois la même chose. Pour innover, pour être créatif, il faut surprendre. » Si la précédente soirée WIN a eu lieu en juin 2015 à la Halle Girard (à Lyon Confluence), la suivante a mis un an et demi pour « mûrir » … simplement parce que ni le concept ni le lieu initiaux ne pouvaient être reproduits tels quels.
« Pour innover, il faut surprendre » – Emmanuel Gonon
Le rapprochement avec le Parc OL, énorme stade de 60000 places à l’est de Lyon, a été l’opportunité déclencheuse de la seconde WIN. Si l’objectif de créativité entrepreneuriale n’avait pas changé, il fallait réinventer une nouvelle soirée autour de ce nouveau site. « On ne peut pas mettre 1000 personnes dans une pièce [au Parc OL] » précise Emmanuel Gonon. D’où l’idée de créer un parcours de l’entrepreneur: « Innover, c’est in-novare, introduire de la nouveauté. Il y a la notion de mouvement. »
Le 15 décembre dernier, nous sommes donc allé expérimenter ce parcours de l’innovation au Parc OL. Logistique impeccable (1000 participants + médias + partenaires, tout de même), parking guidé, une petite rampe en béton … et tout de suite, les équipes sont formées. A la chaîne. Mickaël Roussel, entrepreneur clermontois, a été notre participant témoin: « Tu rentres, tu es très vite dans le bain. L’ambiance Waoup est là, mégaphone, musique à fond. » Les gens sont associés aléatoirement dans des équipes, le but étant de favoriser la diversité. Dès qu’une équipe de 6 est constituée – indépendamment des éventuels groupes arrivants – elle se lance sur le parcours.
Juste avant le début des sprints – les principales étapes de la soirée – l’équipe doit choisir sa thématique. Enfin, « choisir », c’est vite dit: après un échauffement gymnastique pour le corps et l’esprit, on descend dans l’immense garage – glacial – du stade. Et là, on lance un gros dé en mousse: il donne la thématique (commerce, alimentaire, services …). Juste à côté, un petit jeu de fléchette précise le périmètre (à la maison, en ville, à la campagne …). Enfin, on tire une carte comme au tarot pour récupérer une contrainte ou une opportunité (sans internet, gratuitement, en économie collaborative …). Ces données encadreront la créativité de l’équipe, elles sont apposées sur une roadmap, sorte de plan du parcours sur un papier A3 qui va résumer l’idée à venir.
Trois sprints pour une boîte
Et c’est le premier sprint: 45 minutes dans une grande salle attenante au parking souterrain, entre les piliers de béton, avec une cinquantaine de mange-debout. Le brouhaha est indescriptible, mais on sent que c’est de la bonne énergie créative. Les coaches, sous leurs bonnets de Noël, expliquent à chaque équipe entrante (toutes les 2 minutes) le déroulé de cette étape. « C’est là qu’on commence à bosser pour faire émerger une problématique » résume Mickaël. Le sujet tiré au sort juste avant doit être transformé en customer pain, puis l’équipe se scinde en 2 sous-groupes pour brainstormer sur les solutions. Pour Mickaël et son équipe: « Nous, c’était ‘Comment se faire aider à la maison quand on n’a pas un rond et qu’on a du bricolage à faire' ». On jette des idées sur les post-it, on en colle dans les 3 colonnes « solutions » du support papier fourni (les plus folles – auxquelles on n’a jamais pensé; les plus impactantes – qui créeront le plus d’emplois; les plus simples – qu’on peut activer dès demain). Au bout de 15 minutes, il faut commencer à élaguer: choisir une solution par sous-groupe, puis se réunir en équipe complète pour trancher et recentrer. Le rythme est intense, les coaches veillent au timing. On note la solution retenue sur le support et on file.
L’air chaud monte, et heureusement on le suit dans les étages supérieurs. On passe dans des couloirs tapissés de citations de Game of Thrones, on doit faire 20 mètres à cloche pied, on est accueilli par une fanfare tonitruante à l’arrivée d’un escalator (avec des musiciens déguisés en pastèques, notamment). Décaler, surprendre, innover … Un peu plus loin, autre grande salle pour le sprint 2, où on travaille sur la solution retenue. « Un tour de table pour te mettre dans la peau du client, définir la solution, l’impact social … » résume Mickaël. « C’est une simplification de la méthode de création d’entreprise, mais qui fonctionne bien dans cette dynamique. » A la fin du second sprint, l’équipe a créé un persona et se dirige vers la salle suivante.
« Avec des gens qu’on ne connaît pas, on peut très rapidement collaborer et imaginer. » – Hervé Kleczewski
Et là, surprise: un marché les attend. Un vrai marché, avec des stands, des allées, des auvents bariolés de bandes blanches, bleues ou rouge. « On a voulu mettre plus d’interaction dans la soirée » insiste Emmanuel Gonon. « Au lieu que les équipes soient toute la soirée entre elles, on a créé des petits kiosques avec des banquiers, des juristes, des vieux, des jeunes, des psys … et ils vont confronter les projets qu’on leur amène. » Concrètement, les équipes peuvent passer voir trois « stands » sur les huit, selon leur idée de départ, dans l’unique but de se faire challenger. Là, des financiers de la BNP Paribas vont faire pitcher puis appuyer sur les questions de business model; des « seniors » se mettront à la place des clients âgés pour questionner l’expérience utilisateur; des étudiants passeront au grill le concept proposé pour voir s’il leur convient. Le but est d’apporter un regard extérieur et de faire une « dernière passe » sur le projet avant le pitch final.
Ce pitch prend alors la forme d’une vidéo, tournée avec un smartphone et une perche à selfie et incluant toute l’équipe. Celle-ci présente à l’objectif sa boîte. Plus précisément, un cube en carton fourni par les organisateurs avec un kit de montage inspiré d’Ikea. « Monte ta boîte » proclame la notice, mais, surtout, réponds aux questions clé qu’il y a sur chacune des faces. Quel nom ? Quelle vision ? Quel marché ? La « boîte » résume les principaux aspects du projet, et les pitcheurs la font tournoyer devant la caméra, perchés en haut des gradins avec la pelouse du Parc OL en toile de fond. L’aventure se termine là, avant un cocktail de remerciement et de récompense pour les efforts accomplis.
Energie, tempo, encadrement
Autour des petits canapés et des flûtes à champagne, tout le monde a la banane, car l’expérience était intense, éreintante et exceptionnelle. Ce que les participants apprécient d’abord, c’est l’énergie qui se dégage de la WIN. C’était un des principaux enseignements de la première soirée, mi-2015, sur lequel Hervé Kleczewski voulait capitaliser: « Quelle énergie quand on bosse ensemble ! Et avec des gens qu’on ne connaît pas, on peut très rapidement collaborer et imaginer. C’est parce qu’il y a eu beaucoup de surprises que ça s’est bien passé. On jouait sur l’émerveillement de l’être humain. »
Ce côté surprenant, décalé (déjà cité par Emmanuel Gonon) et aussi ludique est une composante des WIN, et un ingrédient du succès de Waoup Shaker. Au Parc OL, la surprise était dans le déplacement de pièce en pièce. La concrétisation des sprints dans différents espaces du stade, séparés par des couloirs ou des escaliers faisait que les équipes découvraient petit à petit ce qui allait leur arriver. Le rythme de progression, le tempo des épreuves est le second facteur gagnant de la WIN. « La roadmap permet de voir tout le parcours, donc tu connais les étapes à venir » se rappelle Mickaël Roussel. « Mais comme tu es pris dans le timing, et que tu as envie de découvrir la suite, tu n’y penses pas forcément. Tu es dans le moment présent, tu te concentres sur la tâche en cours. » Les équipes sont prises dans un effet de bulle, où – malgré le froid, le monde, le brouhaha – elles sont à fond sur leur challenge et entretiennent cette dynamique de compétition créative et ludique.
« Non seulement on a la patate, mais aussi il y a la méthode derrière » – Mickaël Roussel
Mais cet allant ne fonctionnerait pas sans la méthode, développée depuis plusieurs années par l’équipe menée par Hervé Kleczewski et Emmanuel Gonon. Ces outils de création entrepreneuriale, adaptés à des événements fédérateurs de masse, sont un des fers de lance de Waoup Shaker – qui propose même de les exporter hors de Lyon, comme récemment dans le Jura. Au Parc OL, c’était l’application des principales étapes d’un business model à trois sprints de 2h30 au total, dans le cadre d’une problématique posée au départ et d’une équipe constituée aléatoirement. Même si on passe un super moment, le sujet est sérieux: au-delà de la création d’une éventuelle start-up, la mission de Waoup est bien de développer de l’activité et des emplois. Après la WIN de 2015, l’association Shaker a d’ailleurs mis en place une formation accélérée à l’entrepreneuriat: sur la base des idées qui avaient émergées lors de la soirée, 2 projets ont été concrétisés avec un vrai accompagnement. « Le fait de leur mettre entre les mains un parcours d’exploration accompagné, ça les a redynamisé » insiste Hervé Kleczewski « parce que ça les a remis au boulot, ça leur appris à se vendre. » Et de conclure: « Waoup Shaker est là pour faire bouger les gens, pas pour transformer tout en start-up. A la fin, on se dit qu’on a vraiment fait quelque chose. »