On ne se rend encore pas assez compte de la créativité foisonnante dans le monde du jeu vidéo. Trois auvergnats au parcours atypiques partagent avec nous leur aventure entrepreneuriale.
A travers leurs témoignages, on découvre la richesse de ce secteur où l’innovation et la passion sont au coeur de la démarche.
Benoit Bernay
Donc toi, tu es le fondateur du studio Gravenoire c’est ça ?
Alors oui, mais derrière le mot studio, on peut mettre plusieurs choses. Il y a d’un côté les studios indépendants qui développent des jeux puis cherchent un éditeur. Il existe d’autres possibilités. D’un côté, des éditeurs de jeux vidéo qui connaissent des personnes prêtes à financer des jeux vidéo. Ils vont ensuite contacter des studios pour “sous-traiter” la création du jeu en lui-même.
D’autre part, certains studios s’auto-éditent en utilisant des subventions. Ça reste très compliqué sur un marché très concurrentiel et surchargé.
Et enfin, il y a des salariés d’entreprises qui vont créer un studio et développer un jeu sur leur temps libre. C’est le cas de Gravenoire.
Il faut savoir que sortir un jeu, ça coûte cher. Par exemple, avec des copains, il y a quelques années nous avions monté un studio Aéronie. On avait réussi à sortir un jeu, mais il n’a pas marché …
C’est-à-dire ?
C’est-à-dire qu’il a trouvé un public, mais que l’on n’a pas réussi à rentabiliser la production qui aurait permis de développer un second jeu. Nous avons pu bénéficier de l’ACCRE ainsi que le maintien de l’ARE, l’Aide de Retour à l’Emploi, mais les aides ne sont pas éternelles !
Donc, maintenant vous le faites à la cool ?
Oui, on fait ça en dehors de notre travail, on avance très lentement, mais au moins, il n’y a pas d’enjeu financier, c’est moins stressant.
Ce qui nous rythme, c’est la Clermont Geek Convention qui nous permet de présenter l’avancée de notre projet chaque année. On donne un gros coup de collier pendant un mois et demi et après, on est un peu moins assidu. Là, avec le Covid, l’édition 2020 a été annulée, du coup, nous n’avons pas beaucoup avancé, mais on va s’y remettre.
Tu fais ça sur ton temps libre, ok ? Tu peux nous parler de ton parcours professionnel ?
J’ai fait l’ISIMA et ensuite, j’ai fait trois ans dans la recherche opérationnelle au LIMOS. Aujourd’hui, je travaille pour une entreprise chinoise spécialisée dans le SLAM (Simultaneous Localisation and Mapping). C’est une technologie qui permet de donner le sens de l’orientation à un robot par exemple. Ce sont des technologies que l’on retrouve dans les casques de réalités virtuelles. Avec cette techno, au lieu d’avoir des émetteurs infrarouges, on a des caméras, c’est une vraie innovation. Nous sommes six ingénieurs et chercheurs sur Clermont-Ferrand à travailler sur le sujet.
Tu fais ça sur ton temps libre, ok ? Tu peux nous parler de ton parcours professionnel ?
Depuis que je suis tout petit, je suis passionné par les jeux. J’ai toujours inventé des systèmes de jeux, que ce soit des jeux de rôle, des jeux de plateau, de société. J’ai même fait des compétitions de bridge.
Donc, un petit côté geek alors ?
Alors non, justement. Je ne suis pas issue d’un milieu de culture geek, mais je le suis de fait. Ma famille était un peu inquiète, elle voyait dans le jeu vidéo, une privation sociale. J’ai voulu leur montrer qu’au contraire, le jeu vidéo pouvait créer des liens. Je me suis mis à organiser des événements.
Par exemple, deux à trois fois par an, je réunis une quarantaine d’ingénieurs. On joue à des jeux vidéo, on regarde certains films, on parle politique. C’est un enjeu important pour moi de développer une conscience politique. J’essaye de faire venir des politiques pour échanger avec eux. C’est assez sympa comme format.
Antoine Gohin
Alors Antoine, Broke studio, c’est quoi ?
C’est un peu particulier. C’est un studio de jeu vidéo rétro indépendant qui développe des jeux pour des vieilles machines qui ont trente ans et plus, la NES ou la Megadrive, par exemple.
Je suis tombé là-dedans un peu par hasard. En fait, en 2017, j’ai créé une démo pour une compétition sur un site dédié à la NES et j’ai gagné. Ça m’a permis d’aller au bout du projet et de sortir le jeu en format physique sur cartouche en 2018.
J’ai réalisé que pour sortir ce type de jeu, c’était très compliqué puisque la filière n’existe plus. Il a fallu trouver les cartes électroniques, les cartouches, les autocollants etc etc ..
J’ai acquis toute cette expérience et j’ai eu envie de la mettre au service d’autres studios. Je suis donc devenu éditeur de jeux. Je travaille principalement avec des développeurs, parfois, ils ont besoin d’être accompagnés avant de passer à la partie production et vente. Broke Studio est spécialisé dans ce que l’on appelle le jeu homebrew, c’est-à-dire fait maison.
C’est un marché de niche quand même ?
Oui, mais c’est surtout un manque de connaissances sur le sujet. Les gens ne sont pas au courant que ça existe. C’est un marché de niche certes, mais il est mondial. Les ventes se font principalement aux Etats-Unis. Il y a aussi un gros potentiel du côté du Japon avec la console Famicom, l’équivalent de la NES, mais avec un packaging spécifique. Nous avons donc adapté nos jeux NES pour la Famicom et nous sommes en contact avec des boutiques sur place.
Et c’est quoi ton parcours alors ?
J’ai un parcours un peu atypique. J’ai fait une formation développeur web, à l’AFPA de Nanterre. J’ai ensuite travaillé en entreprise pendant plusieurs années. Comme j’ai toujours été musicien, à un moment donné, j’ai décidé de m’y consacrer entièrement et j’ai monté un studio d’enregistrement. Ensuite, j’ai pris le statut d’intermittent du spectacle et j’ai tourné avec un groupe pendant un certain temps. C’est à cette époque que j’ai commencé avec le retrogaming pour ensuite m’y plonger à 100 %.
Benjamin Pitelet
Alors CatOnTree c’est un studio indépendant. Est-ce que toi aussi, tu as un parcours atypique parce qu’il semblerait que ce soit la règle pour créer un jeu ?
Haha ! Alors oui, c’est vrai. J’ai travaillé dans un laboratoire pharmaceutique à Riom pendant vingt ans et j’ai aussi toujours créé des petits jeux à gauche et à droite. Quand j’étais ado, je développais des jeux vidéo sur calculatrice, ça a toujours fait partie de moi.
Il y a récemment eu un plan de licenciements dans mon entreprise et c’est là que j’ai décidé de me lancer pleinement dans l’aventure de CatOnTree. J’avais commencé à développer un jeu pendant mon temps libre et maintenant, je m’y consacre à 100%.
Tu en es où aujourd’hui dans le développement du jeu ?
J’ai eu besoin de recruter pour faire avancer le jeu, ce qui m’a permis de rencontrer pas mal de monde. J’ai aussi réussi à intégrer l’incubateur de Game Only qui m’accompagne et me fait progresser sur tout un tas de sujets que je ne maîtrise pas.
Maintenant, je me consacre à la recherche de financement pour pouvoir rémunérer les professionnels dont je vais avoir besoin pour développer le jeu.
Aujourd’hui, nous sommes huit, mais nous sommes tous à temps partiel, comme freelance ou bénévoles. J’ai également deux stagiaires en alternance jusqu’en juillet. Ça rend difficile d’organiser des plannings de production. On a aussi décidé de prendre des bureaux dans la pépinière Pascalis, ça facilite l’organisation.
Mais donc… c’est quoi ce jeu ? Tu peux en parler ou alors c’est secret ?
C’est un jeu de course de bateaux sur PC, multi-joueurs. C’est un mix entre Mario Kart et le jeu Trackmania. Mario Kart, c’est pour le côté coloré, fun, et Trackmania, c’est parce que l’on souhaite mettre en avant les compétences de pilotage. On est orienté compétition.
Au départ, j’ai imaginé le jeu en 2D, parce que c’était ce que je maitrisais. Ensuite, on a basculé sur le logiciel Unity qui permet de faire de la 3D.
Unity, c’est vraiment un super logiciel pour les studios indépendants. Il est gratuit, et il existe une multitude de tutos en ligne très bien faits qui permettent de s’autoformer. C’est ce que j’ai fait, enfin, c’est ce que je fais parce que sur un projet comme ça, j’apprends tous les jours.