Yannick Cartailler a passé une bonne partie de sa vie professionnelle à l’étranger. De retour en terres natales d’Auvergne, il a créé et développé plusieurs sociétés. Entrepreneur engagé, il est aujourd’hui le référent Auvergne du mouvement Les Forces Françaises de l’Industrie. Quel avenir pour les écosystèmes industriels français ? Peut-on vraiment réindustrialiser la France ? Rencontre avec un passionné de l’Auvergne et de ses richesses.
Avant de parler des Forces Françaises de l’Industrie et de la place de l’industrie en Auvergne, pouvez-vous nous raconter votre riche parcours professionnel ?
Je suis originaire de Saint-Dier d’Auvergne dans le Livradois-Forez. Je garde un excellent souvenir de ma jeunesse, entouré par la nature. Après une prépa HEC à Blaise Pascal à Clermont-Ferrand qui me permettait de poursuivre dans différentes villes de France, j’ai opté pour l’ESC Clermont Business School. À cette époque, je voulais rester étudier et vivre en Auvergne. Une fois diplômé en 92, j’ai eu l’opportunité de faire un VIE à Dubaï, au consulat français. J’avais pour mission d’aider les entreprises françaises à exporter dans cette zone.
Après cela, pendant plus de 20 ans, j’ai poursuivi mon parcours professionnel en faisant des allers-retours entre la France et le reste du monde. Encore à Dubaï, pendant trois ans, pour contribuer à la mise en place du premier hypermarché Continent du Moyen-Orient. Ensuite, vers Lyon pour le groupe Casino, puis toujours pour le même groupe, en Argentine, pour développer de nouveaux concepts commerciaux.
J’ai fini par rentrer à Paris pour prendre la responsabilité de la nouvelle direction des achats internationaux non-alimentaires de Casino. Je devais créer des gammes de produits pour ensuite aller négocier avec les industriels, chinois dans la très grande majorité. Avec mon équipe, nous avons passé plusieurs années à sillonner le monde, jusqu’en 2007.
A un moment donné, vous avez eu envie d’un retour aux sources, en Auvergne…
Oui, mais pas encore. J’ai démissionné du groupe Casino pour intégrer une PME française spécialisée dans les équipements de jardin. Ceci a conduit à cinq années supplémentaires à Hong-Kong, puis encore cinq autres à Shanghai.
En 2017, pour des raisons professionnelles et personnelles, j’ai décidé de revenir en Auvergne. J’ai eu envie de créer ma propre entreprise. Pour commencer, une société de consulting pour aider les entreprises étrangères à développer leurs réseaux de distribution en Europe. Assez rapidement, j’ai eu envie de monter de nouveaux projets sur ce territoire qui m’avait tant donné plus jeune.
J’ai mis en place sur Thiers, une unité de serres de jardin avec un associé, puis grâce à une nouvelle rencontre, une autre entreprise dans la coutellerie et les arts de la table. C’est à ce moment-là que j’ai découvert le mouvement les FFI, les Forces Françaises de l’Industrie. Par un concours de circonstances, je suis devenu référent Auvergne avec un autre entrepreneur local, il y a un peu plus d’un an.
Pouvez-vous pitcher les FFI, les Forces Françaises de l’Industrie ?
C’est un mouvement qui a trois ans et qui rassemble des professionnels autour de valeurs que je partage, notamment, la mise en avant des territoires. Ce mouvement est né de la volonté de trois entrepreneurs, dont un Cantalou, Laurent Moisson. Il était historien, mais avait créé et revendu plusieurs entreprises dans la tech. Il a constaté que la France est aujourd’hui très orientée sur les services et la tech et qu’elle a délaissé les écosystèmes industriels. Avec les FFI, il a voulu faire entendre la voix de l’industrie française.
L’association est composée d’entrepreneurs engagés, non-partisans et convaincus que l’industrie est avant tout une histoire de territoires.
Il existe aujourd’hui dix antennes FFI en France. Au niveau de l’Auvergne, nous avons débuté il y a peu de temps et nous comptons une trentaine d’adhérents. Nous organisons des événements auxquels une centaine de personnes participent, en moyenne.
En effet, quels sont les messages que vous portez pour les territoires industriels d’Auvergne ?
Nous sommes convaincus que pour réindustrialiser la France, il faut que les entreprises industrielles collaborent encore plus étroitement ensemble. Ce sont par les rencontres, que des opportunités se créent et que de nouveaux projets peuvent émerger. C’est pourquoi nous organisons des événements pour favoriser l’interconnaissance.
Nous portons aussi l’ambition de dupliquer le modèle d’accélérateur développé à Paris. Il accompagne les entreprises industrielles vers la levée de fonds, grâce au French Touch Fund, lié à l’organisation des FFI.
Il ne s’agit pas de développer dans notre coin quelque chose de similaire à tout prix, mais bien de nous appuyer sur les dynamiques locales. Si rien n’existe, alors on peut agir comme un catalyseur afin d’initier la mise en place d’une structure dédiée à l’accélération des industriels.
Quel est l’état des lieux de l’écosystème industriel auvergnat…Pour vous ?
Le fait d’avoir passé une grande partie de ma vie à l’étranger me donne peut-être un “œil neuf” sur le sujet. Mon ressenti premier est que nous avons un écosystème riche, ce qui est une force. La position de Michelin a permis de faire grandir les sous-traitants au même rythme que le développement de Michelin.
Par ailleurs, en Auvergne, nous sommes plutôt organisés par bassins industriels : Thiers, Riom, Issoire, Ambert. On retrouve le même type d’écosystème dans le Cantal et dans l’Allier. C’est une spécificité qui a ses avantages et ses inconvénients.
Enfin, je dirais qu’il y a une identité forte des Auvergnats. Ils sont globalement fiers de leur région et de ses activités. Lorsque nous avons commencé à organiser des événements, c’est ce que nous avons ressenti très rapidement. Les entrepreneurs sont ancrés dans leur territoire.
Pourtant, aujourd’hui on entend autant parler de désindustrialisation que de réindustrialisation….
En effet, nous avons un tissu riche, mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de risques. Si je prends l’exemple de la coutellerie que je maîtrise plus, on assiste tout de même à une érosion de la filière. Chacun travaille un peu de son côté, il n’existe pas de consortium qui rassemble plusieurs acteurs.
Pour moi, cet éclatement peut être un vrai risque. Je défends l’idée que nous devons nous regrouper pour être plus forts. C’est ce que l’on essaye de véhiculer avec les FFI.
Par exemple, la Chine fonctionne avec une approche « chaîne de valeurs intégrées“, c’est ce qui fait sa force aujourd’hui.
Il existe un autre risque, plus conjoncturel. Avec la flambée des prix de l’énergie en Europe, qui entraîne une baisse de la compétitivité par rapport à d’autres régions du monde, on peut craindre des délocalisations industrielles.
Comment voyez-vous l’avenir industriel de la France ?
Avec les crises, l’Etat français a pris conscience de nos fragilités. Pour y répondre, il a mis en place France Relance et France 2030.
Pour l’industrie, cela signifie l’arrivée de nouveaux fonds pour financer le développement de projets industriels. Pour autant, l’État ne peut pas tout faire.
Depuis quelques années, on a vu naître un certain nombre d’initiatives citoyennes portées par des entrepreneurs pour défendre l’industrie française. Ce sont des maillons indispensables si on veut vraiment parler de relocalisation et de réindustrialisation.
Pour aller vite, l’Etat doit s’appuyer sur ces dynamiques portées par des professionnels engagés. Cela permet de réellement prendre le pouls des différents écosystèmes.
Pourtant, aujourd’hui l’industrie française doit composer avec les enjeux environnementaux et sociétaux, comment réindustrialiser en tenant compte de ces impératifs ?
C’est un mot à la mode, mais je vais tout de même l’utiliser “il faut remettre du sens”. Lors des délocalisations à outrance vers la Chine, il y a 20 ans, il n’y avait pas de sens. Du moins, c’était seulement une vision économique court-termiste. Je l’ai vu, puisque d’une certaine manière, j’y ai participé.
Je crois qu’aujourd’hui les projets doivent s’inscrire dans une dynamique locale. Je vois dans l’économie circulaire une vraie opportunité, mais avec une approche peut-être un peu différente. Les entreprises industrielles doivent s’intégrer dans une boucle locale, elles doivent petit à petit se construire et se développer en filière. Pour moi, c’est une vision durable de l’industrie, qui permet de penser la production de sa conception jusqu’à sa fin de vie.
Mais pourtant, est-ce que nous avons le temps de prendre le temps de transformer l’industrie ?
Nous devons faire preuve d’humilité, et je pense que cela vaut pour de nombreux sujets. Il est illusoire de penser que l’on va pouvoir tout produire localement du jour au lendemain. Se transformer n’est pas un processus automatique, il faut du temps.
Par exemple, avec mon entreprise de serres de jardin, nous avons pris la décision de relocaliser notre business il y a 4 ans.
C’est parfois très compliqué, car certains maillons sont inexistants, comme les tubes de métal qui maintiennent les serres de jardin. Aujourd’hui, le marché est en Espagne. Nous avons ainsi dû continuer à importer ces produits. Pourtant, depuis, nous avons vraiment avancé. Nous sommes passés de 10 % de production locale à 50 %.
C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter sur les Forces Françaises de l’Industrie ou un autre sujet ?
Je pense que l’on vit dans un pays fabuleux. J’ai beaucoup voyagé, et je crois sincèrement que l’on a une chance incroyable d’être né en France et de vivre en France. Pour moi, l’enjeu est justement d’employer nos forces, nos talents, nos compétences pour perpétuer ce qui fait que le France est unique dans le monde.
Je trouve qu’en France nous avons beaucoup de droits, mais que finalement nous avons un peu tendance à oublier nos devoirs. Nous devons nous engager, et ce, de manière collective, si nous souhaitons faire bouger les lignes. Peut-être que nous ne pourrons pas tout endiguer, mais nous devons, chacun à notre niveau, faire preuve de patriotisme, au sens noble du terme.