Patricia Rochès est maire de la commune de Coren-les-Eaux dans le Cantal. Elle se distingue par son engagement indéfectible pour la revitalisation du train en Auvergne et dans le Massif Central. Passionnée par l’héritage patrimonial du viaduc de Garabit, elle a joué un rôle clé dans sa sauvegarde et dans la promotion de la ligne Paris-Clermont-Ferrand-Béziers. Son histoire est un témoignage éloquent de l’impact de la transformation d’une passion individuelle devenue une action collective en faveur de l’intérêt général et de l’avenir du ferroviaire en région.
Avant d’aborder l’enjeu du train en Auvergne, parlez-nous de votre parcours ?
Je suis issue d’une famille d’agriculteurs, très visionnaires pour l’époque et peut-être trop en avance sur leur temps. À la fin des années 60, mes parents se sont convertis à la méthode Lemaire, refusant l’agriculture intensive. Ils militaient pour une agriculture biologique, ayant compris que si les hormones, les engrais et les antibiotiques étaient nocifs pour les animaux, ils l’étaient également pour le reste de la chaîne alimentaire.
Je suis la petite dernière d’une famille de six enfants. Quand je suis née, mon père était maire de la commune de Coren-les-Eaux et il l’est resté pendant 18 ans.
Depuis que je suis très jeune, j’ai toujours eu envie de voyager, d’aller découvrir le monde. Au cours de mes études de langues étrangères appliquées à Clermont-Ferrand, j’ai passé un an dans le Palatinat en Allemagne grâce au programme Erasmus puis 6 mois en Irlande.
Après l’obtention de ma maîtrise LEA, j’ai fait un bref passage à Paris pour être sûre de ne pas regretter la capitale. Après 4 mois de travail chez un équipementier automobile, je suis rentrée à Saint-Flour dans le Cantal.
Et c’est là que vous faites vos premiers pas en politique….
En 2001, la première loi sur la parité dans les villes de plus de 5000 habitants est promulguée. Saint-Flour est concerné.
On m’a proposé d’intégrer les deux listes de ma commune. Au début, j’étais réticente, j’avais connu l’expérience de mon père en politique et pu constater à quel point c’est une mission ingrate et difficile. J’avais 25 ans, j’étais jeune et très naïve. Après mûre réflexion, je me suis dit ‘pourquoi pas’.
J’ai réalisé un premier mandat entre 2001 et 2008 comme conseillère déléguée à la jeunesse et au jumelage. C’est au cours de ce mandat que j’ai eu l’occasion de m’intéresser au viaduc de Garabit. Une équipe de la ZDF (télé allemande) réalisait quatre émissions sur les ponts du monde, dont le viaduc de Garabit. C’est là que j’ai découvert que cet ouvrage a marqué significativement le monde à la fin du 19ème siècle et que la plupart des habitants de notre territoire l’ignorait.
Pendant quatre ans, j’ai effectué des recherches, consulté des archives et j’ai publié aux éditions du rail deux ouvrages sur le viaduc de Garabit.
J’ai effectué un deuxième mandat en tant qu’adjointe à la culture, au patrimoine, à la jeunesse et au tourisme à Saint-Flour. En 2014, je souhaitais arrêter mais lorsque j’ai découvert la liste qui se présentait pour ma commune de Coren-les-Eaux, j’ai décidé de me présenter. Mon équipe a été élue dès le premier tour, même chose en 2020. Pendant cette période, j’ai également été candidate à différentes élections comme les sénatoriales partielles de 2015 ou encore les législatives de 2017. J’étais persuadée que la seule manière de faire bouger les choses était d’être élue au niveau national.
Vous êtes la fondatrice des Amis du viaduc de Garabit, pourquoi avoir fondé cette association ?
Lorsque j’ai découvert l’incroyable histoire du viaduc de Garabit, je me suis dit qu’il fallait trouver un moyen de diffuser notre histoire patrimoniale. C’est pour cela que j’ai créé la maison d’édition jeunesse ‘La Vache qui Lit’ en 2008. Nous travaillons à l’échelle du massif central et nous publions des ouvrages sur le patrimoine culturel de ce massif montagneux. Un des premiers combats des défenseurs de Garabit dont je faisais partie a été de le faire reconnaître comme monument historique, ce qui fut le cas en 2017.
A partir de ce moment-là, nous nous sommes interrogés sur la manière de le valoriser pour le faire perdurer. Il y avait deux manières d’envisager son avenir. La première : développer un produit touristique avec plusieurs activités comme la via ferrata, le saut à l’élastique. La seconde, celle que j’ai toujours défendue : maintenir et développer l’activité ferroviaire. Ça me semblait être un enjeu majeur pour la mobilité dans notre territoire.
Pouvez-vous nous expliquer les enjeux de la ligne de train Paris-Clermont-Ferrand-Béziers pour la mobilité en Auvergne et dans le Massif Central ?
Le viaduc est utilisé par la ligne Paris-Béziers qui traverse toute la France. Elle a commencé à être construite en 1858 par les vignerons du sud. En effet, ils voulaient un moyen de transport rapide et efficace pour transporter leur vin vers la capitale. En effet, la SNCF n’existait pas et c’étaient des intérêts privés qui finançaient le rail à l’époque.
C’est une ligne remarquable à plusieurs titres. Les ingénieurs de l’époque devaient développer le chemin le plus plat et droit possible à travers le Massif Central, qui a un relief tourmenté. Ils ont dû creuser des tunnels dans les montagnes, jeter des ponts ou des viaducs au-dessus des rivières et des vallées. La vallée des gorges de la Truyère, est la plus spectaculaire de cette ligne exceptionnelle. D’ailleurs, le magazine britannique “the Guardian” a élu cette ligne comme l’une des 10 plus belles lignes d’Europe et cela à deux reprises.
Pourtant, celle ligne de train est aujourd’hui menacée ?
Jusque dans les années 2000, il y avait un train direct. Il a ensuite été tronçonné avec un Paris-Clermont-Ferrand et Clermont-Ferrand Béziers. Aujourd’hui, le trajet se fait de Paris à Clermont, puis de Clermont à Neussargues, et enfin de Neussargues à Béziers.
Au fil des années, la ligne a été délaissée. Elle est devenue vétuste, moins rentable, alors on a réduit la fréquence, ce qui l’a rendu encore moins rentable. Ces dernières années, elle a même été fermée tous les étés pour des travaux coûteux de “rafistolage”… Si elle existe encore aujourd’hui c’est uniquement grâce à la présence d’Arcelor-Mittal à Saint-Chély d’Apcher en Lozère qui l’utilise en fret pour ses approvisionnements.
On a un exemple criant avec cette ligne d’une France à deux vitesses mais également d’une région à deux vitesses. Alors que les combats pour la portion Paris-Clermont-Ferrand sont bien connus, on ne parle pas assez du Clermont-Béziers. Pourtant, les habitants du Puy-de-Dôme, de la Haute-Loire, du Cantal, et de la Lozère ont aussi besoin d’être transportés et d’avoir une offre de mobilité adaptée… »
Qu’est-ce qui pose problème sur cette ligne de train ?
Juste que là, le problème était le remplacement des rails double champignon. Ce sont des rails qui datent de 1932 et que la SNCF sait devoir remplacer depuis plus de 20 ans !
C’est désormais acté, ces travaux vont avoir lieu même si nous n’avons toujours pas eu de communiqué officiel de la part de l’Etat ni de la SNCF. Ces travaux d’envergure vont débuter prochainement et s’étaler sur l’année 2024. Ce sont 40 millions d’euros, entièrement financés entièrement par l’État, qui vont être investis dans cette ligne. Ce qui est véritablement exceptionnel et qui signifie que notre ligne va vivre !
Maintenant, le problème qui va suivre reste la fréquence des lignes. A ce jour, la région Auvergne-Rhône-Alpes ne souhaite pas poursuivre les trains de région TER depuis Béziers par la région Occitanie pour offrir une continuité aux voyageurs. Pour ce faire, nous avons simplement besoin d’une validation de notre président de région AURA, Monsieur Wauquiez. Cela permettrait que le terminus des TER Occitanie ne soit plus St Chély d’Apcher en Lozère, mais Neussargues dans le Cantal. Nous parlons d’environ 40km…qui sont aujourd’hui effectués en car. Premièrement, cela pose des problèmes de correspondances. De plus, on perd l’occasion de valoriser le trajet en train sur le viaduc de Garabit. Ce qui est fort dommage, car c’est un produit touristique éprouvé qui fonctionne très bien.(cf la fréquentation de cet été 2023)
Il y a encore quelques années, nos revendications concernant le rail trouvaient peu d’échos. En effet, les élus du territoire considéraient que le train n’était pas l’avenir de la mobilité. Aujourd’hui, heureusement, les choses bougent. Le train est de nouveau plébiscité par les pouvoirs publics et des financements sont prévus pour les prochaines années.
Le train de nuit Paris-Aurillac vient d’être relancé, quel est l’intérêt pour l’Auvergne ?
Pour les territoires comme les nôtres c’est vraiment très important, cela permet d’économiser une à deux nuits d’hôtels, ici on parle autant d’argent que de temps. Si on souhaite aller à Paris pour des raisons professionnelles, il faut partir la veille. Si j’ai de la chance, je peux reprendre le train le lendemain soir, sinon c’est une nuit de plus à Paris. Ce train permet de desservir tout le Cantal et c’est un projet que tous les élus ont porté, quelque soit le bord politique.
Ce n’est pas seulement dans notre département, mais dans toute l’Europe que les trains de nuit sont relancés. D’ailleurs, le train de nuit est victime de son succès. En effet, ce type de wagons est aujourd’hui très demandés, mais beaucoup d’entre eux ont été déclassés.
Le train de nuit est une victoire, mais qu’en est-il de l’avenir du train en Auvergne ?
Nous avons eu la bonne nouvelle d’apprendre par la presse que les travaux allaient commencer sur la ligne de l’Aubrac. L’arrêt de la ligne Béziers-Neussargues aurait entraîné la fermeture d’Arcelor-Mittal à Saint-Chély. C’était un signal totalement contradictoire avec les objectifs affichés du gouvernement. qui sont, l’annonce d’un plan rail de 100 millions d’Euros et la volonté du gouvernement de réindustrialisation notre Pays. A ce jour, Arcelor-Mittal n’utilise le frêt que pour l’acheminement de ses matières premières mais pas de ses produits finis. Néanmoins, ils étudient en ce moment, la possibilité de renforcer la place du fret dans leur stratégie logistique. Ce projet a rendu la ligne plus facile à défendre ces derniers mois.
Ce ne sont pas les collectivités qui vont financer le rail mais bien l’État à hauteur de 40 millions d’euros. Ces trains d’équilibre du territoire, sont plus connus sous le nom d’Intercités. Ils sont normalement financés par l’Etat et gérés par la SNCF. Ils permettent de mailler le territoire. Pour réaliser une rénovation pérenne pour cette ligne, il faudra compter plusieurs dizaines d’années. Il était grand temps de débuter cet investissement pour l’avenir.
Il est important de noter que ces travaux sont un second signal positif qui marque un nouvel acte fort. Le premier avait été, il y a quelques années : la confirmation du statut TET pour l’Aubrac jusqu’à fin 2031.
C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?
Je pense qu’il est important de respecter le travail de nos ancêtres. Le réseau ferroviaire réalisé à la fin du 19ème siècle avec des moyens rudimentaires est assez incroyable. Il a été très bien pensé et on ne l’a pas assez bien considéré et préservé au cours de ces quarante dernières années.
Il faut offrir une seconde voire une troisième vie à notre rail. Pour ce faire, il faut rénover le installations des trains du quotidien. Alors oui, ça va coûter de l’argent de les remettre à niveau. Pour autant, c’est plus logique que de construire de nouvelles routes que l’on va devoir entretenir et rénover encore plus fréquemment !
Nous nous trouvons actuellement à un point crucial concernant les questions de mobilité. Ce qui m’inspire de l’espoir, c’est la prise de conscience des jeunes générations sur cette question. Ils sont particulièrement attentifs et espèrent vivement disposer d’un réseau ferroviaire de qualité, adapté à leurs besoins futurs.