Mehdi Mounsif est ingénieur et docteur en apprentissage par renforcement. Après un passage par le génie civil puis la robotique, il travaille aujourd’hui chez Akkodis, une ESN spécialisée dans l’intégration de l’IA dans l’industrie. Il pilote la R&D interne, conçoit des prototypes et accompagne les entreprises dans leurs choix technologiques.
>Il est aussi “ambassadeur IA”, un programme public qui vise à aider les TPE et PME à franchir la fracture numérique grâce à une information fiable, débarrassée des effets de mode. Et justement, c’était le sens de son intervention sur la mode « agents IA » lors du Café IA n°2 organisé par la French Tech Clermont Auvergne. Son titre : Systèmes IA : Construire une stratégie pragmatique et efficace pour dégager de la valeur à long-terme.
Une IA façonnée par le ‘scaling’
Depuis une dizaine d’années, l’écosystème de l’IA s’est concentré sur une seule approche : le deep learning, devenu la norme à mesure que les modèles ont grandi. Cette domination s’explique par une propriété simple : plus on lui donne de données et de puissance de calcul, meilleurs sont les résultats.
Cet avantage a créé une illusion rassurante pour les investisseurs, celle d’une proportionnalité : si l’on dépense beaucoup, on obtiendra beaucoup. Cela a entraîné une standardisation rapide des techniques, la diffusion massive de l’architecture « Transformer« , et une course mondiale financée à coups de milliards.
Pour soutenir ce modèle économique, il faut maintenir un récit ambitieux : celui d’agents IA capables d’autonomie, voire d’intelligence supérieure. Un discours utile pour justifier les investissements, mais déconnecté des réalités opérationnelles des entreprises.
Recentrer l’IA sur les problèmes réels
Pour Mehdi Mounsif, la valeur industrielle ne se trouve pas dans les agents, mais dans la capacité des organisations à comprendre ce qu’elles veulent réellement automatiser. Beaucoup d’entreprises rêvent d’un système qui “devine” leur besoin, alors que leur performance dépend d’abord de la formalisation du problème.
>C’est ce qui différencie un usage utile d’un usage gadget : reconnaître la structure d’une tâche, choisir la bonne méthode, et savoir où l’IA est pertinente.
L’IA a un rôle limité et très précis
Loin du récit d’autonomie, l’IA générative excelle surtout dans une seule chose : convertir des données non structurées en données structurées.
Un slide, un PDF, une image, un texte long deviennent des informations exploitables par un système. Le reste – décisions, arbitrages, contraintes métier – doit rester entre les mains de l’expertise humaine.
Penser en systèmes plutôt qu’en agents
Plutôt que d’empiler des agents capables de tout faire, Mehdi Mounsif défend une approche système. Il s’agit de construire des modules simples, réutilisables, et d’insérer l’IA seulement là où elle apporte une valeur nette.
Cette approche rend les outils plus fiables, plus maintenables et plus faciles à adapter aux cas d’usage réels.
L’expertise comme condition de performance
Le point central de son intervention reste la place de l’expertise. Une organisation performante est une organisation où les équipes savent analyser leurs tâches, comprendre les structures et distinguer ce qui relève de l’algorithme, du code ou de l’IA.
>Ce n’est pas l’IA qui fait gagner du temps, c’est la manière dont on la place dans un système pensé par des personnes compétentes.
Former à la technique, pas seulement au prompt
L’effort de formation doit se décaler. L’enjeu n’est pas d’apprendre à “bien parler à un modèle”, mais d’apprendre à structurer un processus, reconnaître une ambiguïté, identifier les étapes systématiques et les points de décision.
Le prompt engineering ne remplace pas l’expertise métier ni la compréhension des logiques techniques.
L’IA utile est souvent minimaliste
Les exemples présentés vont tous dans le même sens. Qu’il s’agisse d’extraction de données financières ou d’optimisation industrielle, la solution n’est jamais un agent autonome. Ce sont des systèmes où l’IA intervient de manière chirurgicale pour traiter la partie non structurée, avant que des méthodes éprouvées prennent le relais.
Ce sont ces approches sobres qui permettent des gains réels : fiabilité, rapidité, maintenance simple et réduction du coût de traitement.
Le risque d’un mauvais alignement
L’écosystème technologique a intérêt à favoriser l’utilisation massive de l’IA. Les entreprises, elles, ont besoin de systèmes fiables et de gains concrets.
Cette divergence explique pourquoi tant de projets IA échouent ou déçoivent. Les attentes viennent du marketing. Alors que la performance vient de la structuration du travail et de la compétence interne.
Pour résumer
La vraie performance industrielle repose sur :
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l’expertise métier,
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la capacité à formaliser le problème,
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des systèmes modulaires,
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et l’utilisation minimale mais ciblée de l’IA (souvent juste pour structurer des données).
C’est donc bien l’expertise humaine sur son coeur de métier qu’il faut continuer de renforcer.
