Par Damien Caillard
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A l’ESC Clermont, il n’y a pas que des étudiants, il y a aussi des créateurs d’entreprises. Ils sont dans le SquareLab, l’incubateur de start-ups dans cette magnifique salle voûtée côté rue Bansac. Au milieu de ces entrepreneurs, Fabrice Cailloux pilote l’initiative, conseille et accompagne les projets, tout en enseignant dans le cursus Création d’Entreprise. A travers les Afterworks réguliers*, les journées “Culture Start-up” ou la première École Éphémère de la Start-up, il promeut la notion d’innovation d’usage et d’état d’esprit entrepreneurial dans l’écosystème.
Dans ton parcours, tu t’es aperçu que l’innovation d’usage en France n’était pas considérée à sa juste valeur …
Je viens de la biologie cellulaire et moléculaire. J’ai un doctorat en neurosciences. J’ai donc été formé par la recherche et pour la recherche … mais j’avais envie d’entreprendre. J’ai toujours été un bricoleur, un couteau suisse : un entrepreneur, c’est d’abord ça. Avec l’avancée de mes études, j’avais plus envie de développer des solutions directes pour le public, plutôt que d’être dans des logiques long terme de la recherche avec une thèse, une maîtrise de conf, un laboratoire … donc, être plus proche de l’économie, dans le sens utilisateurs. Idéalement, accélérer les fruits de la recherche pour le public.
Un constat : la France était [encore au début des années 2010] très axée sur l’innovation technologique, avec des financements importants (Oséo puis BPI, allègements fiscaux …), et très peu de place pour les projets proches du marché comme ceux du numérique. L’écosystème français était fortement structuré par [cet] accompagnement, sur des temps longs, des montants de R&D importants, et de forts liens avec le monde de la recherche. L’innovation d’usage n’a pas besoin de brevets, elle a des temps d’accès marché très courts et doit surtout correspondre aux besoins utilisateurs. [Heureusement], elle est aujourd’hui reconnue et ouvre à des possibilités de financements.
Ton métier et ta vocation sont désormais d’accompagner ce type d’innovation. Avais-tu déjà créé des entreprises ?
Ma première boîte [en 1999] visait à appliquer des techniques développées aux USA pour dépister des maladies génétiques de façon très rapide : elle s’appelait Nucléica. Mais elle nécessitait beaucoup de fonds privés, car elle génère de la valeur tout en étant en déficit chronique – comme toutes les biotech.
« L’innovation d’usage n’a pas besoin de brevets, elle a des temps d’accès marché très courts et doit surtout correspondre aux besoins utilisateurs. «
[Quand Nucléica s’est arrêtée pour des raisons financières], une partie des actifs a permis de créer Neuronax, que j’ai co-fondée avec Stéphane Gobron. C’est une belle boîte, mais son activité est compliquée, car tu dépends de fonds spéculatifs sur le très long terme – 10 à 15 ans. J’en suis parti en 2005 quand Neuronax a pris un tournant plus pharmaceutique. Je voulais m’orienter davantage vers l’entrepreneuriat, car je préfère les logiques de création aux logiques de gestion.
J’ai ensuite eu l’opportunité de rejoindre Eurobiobiz, un cabinet de conseil en valorisation de travaux de recherche par la création d’entreprise ou le transfert industriel. Une de mes premières missions était pour le Conseil Régional [d’Auvergne] : faire un état des lieux de la valorisation de la recherche sur le territoire. Ça a donné naissance à Innovergne et à certains clusters. J’ai toujours aimé la dimension “dev éco” … je suis finalement resté 7 ans dans ce cabinet, dont 5 à la tête, jusqu’en 2013.
Enfin, en parallèle, j’avais créé en 2011 une société de pharmaceutique, Galactis Pharma, pour développer des principes actifs anti-stress issus du lait. La logique était de développer rapidement un produit, sur une base alimentaire, et de le revendre à un groupe industriel. Le modèle économique de la biotech est forcément de l’open innovation : soit tu te fais racheter, soit tu finis par entrer en bourse ce qui est beaucoup plus rare. La grande majorité du temps, il faut s’adosser à un groupe industriel.
Comment es-tu entré à l’ESC Clermont ?
J’étais en parallèle professeur à l’ESC sur l’entrepreneuriat. Cet univers m’a bien plu, d’autant plus que (…) j’estimais avoir fait le tour du secteur [des biotech]. En même temps, plusieurs grands noms américains comme Eric Ries, Steve Blank ou Alexander Osterwalder structuraient la pensée entrepreneuriale. Je m’y retrouvais beaucoup, et j’ai voulu apporter cette connaissance de la création d’entreprise à des jeunes. Je suis finalement entré en septembre 2013 à l’ESC Clermont pour monter l’incubateur “nouvelle génération” SquareLab, mais aussi enseigner l’entrepreneuriat.
« On accompagne, on apprend et on fait en même temps. »
C’était une rencontre entre moi et la direction de l’école, plus BPIFrance qui ouvrait ses financements à tous les champs d’innovation. Ça a matché très vite. Mon expérience apportait aux étudiants du contenu, mais aussi une approche opérationnelle : on accompagne, on apprend et on fait en même temps – le learning and doing, plutôt que learning by doing. Je leur ai aussi mis à disposition mon réseau.
De nombreux projets ont émergé depuis 2013 du SquareLab. Desquels es-tu fier ?
On peut citer les Ateliers d’Aubusson, pour lequel Sylvain et Guillaume** se sont posés la question de l’innovation dans la production de tapis. Dur de percer dans ce secteur ! Également, je pense à Clémence Petit d’Equimov*** : elle a une énergie hallucinante, elle travaille pour cinq, elle est passionnée. Mais ce ne sont que deux exemples de projets dans des phases d’accélération, et il ne faut pas oublier tous ceux qui progressent plus en amont … finalement, ceux qui réussiront sont ceux dont l’équipe est très soudée et à fond sur son projet, avec de l’écoute et de l’empathie.
Comment fonctionne SquareLab par rapport aux autres incubateurs de l’écosystème clermontois ?
Il y a BUSI sur l’incubation techno, Cocoshaker sur l’entrepreneuriat social et nous sur l’innovation Nouvelle Génération : ces trois incubateurs suffisent largement, avec le Bivouac en aval. Aujourd’hui, on veut attirer des talents sur notre territoire … mais nous ne sommes ni Paris, ni Lyon, ni Bordeaux ! Il faut aussi mobiliser beaucoup de ressources pour accompagner les projets locaux. Tous ceux qui veulent entreprendre et ont des idées doivent être aidés ! C’est pour ça que je milite pour des formations à l’entrepreneuriat “nouvelle génération”. C’est ce qu’on essaye de développer ici, on est référencé comme organisme formateur pour la création d’entreprise par la Région. On veut apporter le savoir, l’environnement et le réseau pour que ces projets se développent.
Mon dada, c’est de créer des binômes entre des compétences techniques et managériales. Je pense que c’est le meilleur moyen pour susciter des envies et créer une dynamique sur la région. Mais c’est compliqué : il y a les écoles d’ingénieur d’un côté, l’école de commerce de l’autre, mais cela reste trop compartimenté. Une solution pourrait être une école mixte, comme sur du code. J’ai l’impression que les étudiants demandent cela, mais il y a une vraie complexité politique.
Ton projet phare est symbolisé par la notion de “Culture Start-Up” que tu développes depuis bientôt 2 ans. De quoi s’agit-il ?
Il ne faut pas relier l’entrepreneuriat que à la création d’entreprise. C’est surtout une mentalité, qui fait souvent défaut dans les grands groupes. C’est cette notion de “Culture Start-Up”, même si le mot “start-up” est galvaudé. Néanmoins, développer cet état d’esprit dans les TPE et PME est un gage de réussite.
« La culture d’innovation est d’abord une problématique interne. »
Le problème racine est souvent que les managers des entreprises ne prennent pas la dimension que le numérique a bouleversé le marketing et la vente. Ils ont un besoin d’innover, mais il s’agit surtout de structuration et de culture d’entreprise : ne plus marcher en silo, partir du problème racine. La culture d’innovation est d’abord une problématique interne.
Le 1er mars dernier, tu as présenté avec Emmanuel Bonnet et Manon Capitant ***** l’approche dite “d’ambidextrie entrepreneuriale” du SquareLab …
C’était un moment charnière pour l’incubateur. Nous sommes – je pense – les premiers à mettre en pratique cette méthode, qui mélange les phases d’exploitation et d’exploration. Michelin et Limagrain sont intéressés cette approche. Je pense que ça nous permet de poser des bases saines pour se questionner sur ce qu’est la création d’entreprise aujourd’hui. On est « nouvelle génération » parce qu’on est simplement parti du besoin du client – de nos partenaires en l’occurrence, et avec une logique itérative.
Un des points difficiles en création d’entreprise est que tu dois gérer l’incertitude. Il peut se passer tellement de choses imprévisibles ! La difficulté, par rapport à l’apprentissage, est d’avoir cette vision structurée. Et on espère que ce parcours aidera les porteurs de projet. Notre méthode d’ambidextrie entrepreneuriale est d’ailleurs en accès libre, sous licence Creative Commons*****.
Au final, tu ne cesses de naviguer entre accompagnement et pratique de l’entrepreneuriat
Quand tu es dans une logique de transmettre ton expérience, il faut forcément pratiquer. L’entrepreneuriat, c’est plus facile d’en parler quand on a créé des entreprises. Quand tu es start-uppeur, tu es un gestionnaire d’incertitude. C’est la différence avec le risque : le risque, c’est statistiquement arrivé, tu peux faire des probabilités dessus. L’incertitude, tu n’as pas de référentiel … il faut développer une capacité à gérer des opportunités, bonnes comme mauvaises, et toujours en tirer profit, essayer d’avoir des coups d’avance.
*repris sur notre site dans la rubrique Compte-Rendus, par exemple celui-ci, ou encore celui-là.
**Sylvain Boyer et Guillaume Monnoie, les co-fondateurs des Ateliers d’Aubusson
***réservation en ligne de boxes, prés et paddocks pour chevaux
****collaborateurs de Fabrice à l’ESC Clermont et au SquareLab
*****pour obtenir ces documents, écrivez un petit mail au SquareLab
Pour en savoir plus :
Le site web du SquareLab
La présentation de l’ambidextrie entrepreneuriale via le parcours Culture Start-Up
Propos recueillis le 14 mars 2018, synthétisés et réorganisés pour des raisons de lisibilité, puis relus et corrigés par Fabrice.
Crédits photo : Damien Caillard pour la Une, ESC Clermont pour la photo du 1/3/18
Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)
- #InnovationUsage – Traditionnellement, la France a favorisé le soutien et le financement de l’innovation technologique, notamment par les allègements fiscaux. Depuis 2013, la notion d’innovation d’usage se développe néanmoins avec davantage de subventions. Ce type d’innovation est plus lié aux besoins et au timing du marché, et ne s’embarrasse pas de brevets et de financements lourds. C’est ce qui motive Fabrice dans sa démarche entrepreneuriale et pédagogique.
- #EntrepreneuriatBiotech – De formation scientifique (neurosciences), Fabrice a très vite souhaité entreprendre. Il a été à l’origine de plusieurs start-ups en biotech : Nucléica, Neuronax, Galactis Pharma, ainsi qu’une collaboration avec le cabinet EuroBioBiz. C’est ainsi qu’il a réalisé des missions de structuration de l’écosystème recherche et entrepreneuriat sur l’Auvergne, à l’origine de Innovergne.
- #ESCClermont – En 2013, Fabrice estime avoir « fait le tour » des biotech. Il rejoint l’ESC Clermont en septembre lors de la création de l’incubateur SquareLab dont il prend la tête. Il apporte ainsi sa vision et son expérience de l’entrepreneuriat, en l’orientant résolument vers l’innovation d’usage « nouvelle génération ».
- #ProjetsSquareLab – Parmi les projets issus du SquareLab dont Fabrice est fier, on peut citer les Ateliers d’Aubusson qui revisitent la tapisserie ancienne, ou encore Equimov qui propose de la location d’hébergements pour chevaux. Mais de nombreux projets sont moins visibles car plus en « amont ». La clé du succès est la cohésion de l’équipe, l’empathie et l’implication forte.
- #Ecosystème – SquareLab fait aujourd’hui partie des trois incubateurs clermontois, en complément du Bivouac, plus en aval. Néanmoins, Fabrice souhaiterait que les porteurs d’idée et de projets soient mieux accompagnés en amont, avec un plus fort travail de sensibilisation et de formation à l’entrepreneuriat « nouvelle génération ».
- #CultureStartup – C’est le principe du parcours « Culture Start-Up » développé au sein du SquareLab : ne pas obligatoirement lier entrepreneuriat et start-ups. Les TPE, les PME peuvent développer cette approche, mais il s’agit surtout d’une problématique d’état d’esprit, de culture interne.
- #AmbidextrieEntrepreneuriale – Le 1er mars 2018 a été présenté une approche très poussée pour ce parcours à l’ESC, basé sur la notion de « ambidextrie entrepreneuriale », mêlant exploration et exploitation. Fabrice a coordonné cette nouvelle offre avec Emmanuel Bonnet et Manon Capitant. Le contenu de cette approche est disponible gratuitement auprès du SquareLab.
- #Transmettre – Pour sensibiliser le plus tôt possible les porteurs de projet, et les aider au mieux, Fabrice croit avant tout qu’il faut avoir soi-même pratiqué l’entrepreneuriat. Au sein du SquareLab, il favorise le learning and doing : apprendre et faire en même temps. C’est un des meilleurs moyens de faire face à la notion d’incertitude, inhérente à l’innovation et aux start-ups.