Par Damien Caillard
A l’occasion des 10 ans de la société de conseil patrimonial Axyne Finance, nous avons eu la possibilité d’interviewer le spationaute Patrick Baudry, invité d’honneur. Second Français dans l’espace après Jean-Loup Chrétien, Patrick Baudry a participé à la formation des cosmonautes en ex-Union Soviétique, puis a volé pendant 7 jours dans la navette Discovery en juin 1985. Depuis, il est consultant et conférencier – le 28 juin dernier, il était au château de Saint-Saturnin pour parler de hauteur de vue.
Pourquoi « prendre de la hauteur » est-il si important pour vous ?
C’est fondamental dans l’entreprise d’avoir cet esprit de conquête, cette volonté d’entreprendre, d’être tourné vers l’avenir. Ce soir, [la conférence], c’est « prendre de la hauteur »: voir au-delà de l’horizon immédiat. Gérer une entreprise, c’est avoir une vision, un objectif, définir un cap, des modalités, et acquérir le consentement des gens autour de soi.
Pour résumer, je vois trois points principaux pour entreprendre :
- avoir un objectif qui corresponde à un rêve, une vocation, un idéal, une idée … cela doit se concrétiser par un but clairement défini;
- arriver à prendre de la hauteur, pour mieux définir la voie qui permette d’atteindre cet objectif. Cela implique de prendre du recul, de savoir s’abstraire de certains obstacles qui sont faussement importants, et savoir aller au-delà ;
- savoir prendre des risques. Il n’y a aucune avancée qui ne se fasse sans prise de risque. Cela peut être accepter la part d’inconnu, et la maîtriser le mieux possible en fonction de la manière de définir les problèmes.
Vous parlez de prise de risque. Comment votre expérience de spationaute vous a-t-elle fait évoluer sur ce point ?
Toute part d’inconnu enferme une notion d’hostilité, donc de risque. L’inconnu, par définition est quelque chose que l’on ne connaît pas, et qu’on ne maîtrise pas. [Et c’était vrai] dans toutes les professions que j’ai exercées, que ce soit pilote de chasse, astronaute, cosmonaute ou entrepreneur.
Prenons le métier de cosmonaute : [au début des années 80], j’étais installé dans le métier de pilote d’essai, je m’occupais des commandes de prototypes électriques. Quand la possibilité s’est offerte d’aller dans l’espace, il a fallu faire un choix : [étais-je prêt à] laisser tomber tout ce que je maîtrisais pour [me] lancer sur une voie plutôt inconnue ? On revient ici au côté « hostile », où la sélection était une première inconnue, l’entraînement et la vie de cosmonaute chez les Russes (ou chez les Américains également) en était une autre. Sans oublier que la navette en était à ses premiers vols et présentait de nombreux problèmes.
« La vie est une prise de risque quotidienne. »
C’est pour cela que j’insiste sur la prise de risque, aujourd’hui on vit dans un contexte qui dévalorise la prise de risque, la rend un peu contre-nature. C’est complètement faux : la vie est une prise de risque quotidienne.
La conquête spatiale génère de nombreuses innovations. Quel lien voyez-vous avec l’univers des start-ups aujourd’hui ?
Les start-ups ont un rôle extrêmement important dans l’innovation de demain. Il est [cependant] plus facile et possible de faire croître une start-up dans le milieu entrepreneurial et industriel aux USA qu’en France. Elon Musk est pour moi la personne que j’admire le plus, c’est une personne incroyable, mais il n’aurait jamais pu faire ce qu’il a fait en France ! Aux USA, le contexte est très différent. C’est pour cela que j’insiste sur l’objectif, même [s’il s’agit d’]aller sur Mars : la dimension de l’objectif dépend de nombreux facteurs, [en particulier] de la position de celui qui s’y attaque. Elon Musk a commencé par des choses remarquables mais pas de la dimension d’aller sur Mars, ce qui lui a permis d’investir ses propres deniers par la suite dans d’autres entreprises plus ambitieuses, SpaceX comme Tesla.
« Nos ambitions ont-elles les dimensions de l’avenir dans lequel on s’engage ? »
Il y a 10 ans, les Français ne connaissaient pas Elon Musk, la presse l’avait quasiment blacklisté. Les officiels, le CNES, en disaient pis que pendre, le traitaient au mieux de doux rêveur. Ils ne comprenaient pas que le projet Ariane 6 étaient loin d’être assez ambitieux. Il eut mieux valu se demander si nos ambitions à nous ont les dimensions de l’avenir dans lequel on s’engage. Je suis aujourd’hui heureux que Elon Musk ne soit plus ignoré, mais chacun voit le monde à son échelle.
Vous êtes également engagé dans l’éducation des enfants, notamment comme Ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO …
Le spatial m’a permis d’avoir une écoute de la part des enfants et des autorités, et notamment en Afrique – mon continent d’origine* – et de mener à bien des missions de plus grande dimensions, pour l’éducation des enfants. Je pense que c’est quelque chose de fondamental pour préparer l’avenir, et hélas je ne crois pas à ce que feront les gouvernements africains. La seule chance pour émerger dans le monde tel qu’il évolue est d’avoir un accès à l’éducation. Je ne me bats pas contre la faim, la maladie ou la guerre, mais pour créer des structures qui donnent un accès à l’éducation.
Entreprendre, là-dedans, fait partie de la vie. Dans l’éducation, il y a un aspect humain : l’homme se façonne en constatant l’hostilité d’une partie du monde, et nous devons prendre notre courage à deux mains et tracer notre chemin. L’entreprise est une des plus belles façons d’avancer dans la vie.
*Patrick Baudry est né au Cameroun, le 6 mars 1946 à Douala
Pour en savoir plus :
le site de Patrick Baudry, conférencier
Crédit photo : Fanny Reynaud, photographe professionnelle ; Patrick Baudry pour l’image d’illustration