L’Économie Sociale et Solidaire (ESS) occupe une place centrale dans la vie économique et sociale du pays. On la décrit souvent comme une « troisième voie » : ni administration publique, ni entreprise lucrative classique, mais une manière différente d’entreprendre, fondée sur la coopération, la gouvernance partagée et la réinjection des bénéfices dans l’action. Un secteur massif, ancré dans les territoires, et aujourd’hui fragilisé.
Un pilier économique sous pression
En France, l’ESS représente 1,3 million d’associations, plus de 23 000 coopératives, 8 000 mutuelles, 5 300 fondations et 2,7 millions d’emplois. C’est un acteur majeur du réemploi, de la santé, de l’alimentation, de la culture et de l’insertion professionnelle. Les emplois y sont non délocalisables et majoritairement féminins (deux tiers). Le secteur est pourtant sous tension : l’Union des employeurs de l’ESS alerte sur un risque de suppression de 186 000 emplois en raison des baisses de financements. Sur Clermont Auvergne Métropole, l’ESS représente 15 % de l’activité économique et environ 15 000 emplois. Depuis 2020, la métropole a soutenu 89 structures, pour un total de 1,2 million d’euros, mais rappelle que l’accompagnement ne se limite plus au financement : prises de participation, plan ESS, appui au fonctionnement, articulation avec les politiques publiques locales.
Dans ce contexte, les Prix de l’Innovation Sociale mettent en lumière des projets qui répondent à des besoins concrets du territoire.
Coop’Art — Prix de la Coopération
Née il y a 17 ans en Haute Loire et devenue SCIC en 2021, Coop’Art fédère aujourd’hui 138 associés : compagnies artistiques, artistes individuels, techniciens, administrateurs, collectivités, médias, entreprises… Un écosystème qui reflète la diversité des pratiques culturelles du territoire.
L’ambition est simple à formuler, plus délicate à faire perdurer. Il s’agit de rassembler les acteurs pour identifier leurs besoins et y répondre collectivement. La SCIC agit en contribuant à la structuration du secteur culturel local, à l’accès, pour des artistes et techniciens, à l’animation de la vie territoriale. Elle permet surtout d’engager toutes les parties prenantes d’un territoire grâce notamment à une gouvernance partagée. En 2024, elle a obtenu le label Pôle Territorial de Coopération Économique (PTCE).
Concrètement, Coop’ Art
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Met en réseau : en facilitant le rapprochement des compagnies, associations, médias, collectivités et techniciens pour qu’ils puissent dialoguer, coopérer, mutualiser…
- comme la mise à disposition de matériel professionnel, avec conseil et formation à l’usage
- ou même la conception de projets collectifs entre structures culturelles, comme un cabaret itinérant ou des espaces mutualisés au Festival d’Aurillac.
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Soutient le développement économique : Soutenir les acteurs culturels dans leur modèle économique, leur donner des outils pour assurer leur activité durablement.
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Apporte expertise & conseil : Accompagner la structuration et la professionnalisation du secteur culturel (gestion, paie, technique, événements).
- par exemple un logiciel et une personne formée pour éditer des fiches de paie, ce qui constituait une problématique fréquemment rencontrée
Re Sources de Vie — Maison d’accompagnement et soins palliatifs
Créée récemment (2021–2023 selon les sources reconnues), l’association Re Sources de Vie veut ouvrir la première maison d’accompagnement et de soins palliatifs du Puy-de-Dôme. Un manque criant dans le département. Basée dans le Puy-de-Dôme, l’association Re Sources de Vie porte l’ambition de créer la toute première maison d’accompagnement et de soins palliatifs dans le département.
Ainsi, l’association a décidé de se lancer après avoir constaté qu’environ 50 % des patients ayant besoin de soins palliatifs n’y avaient pas accès, alors qu’une majorité de Français exprime le souhait de vivre ou mourir à domicile.
Le nom « Re Sources de Vie » a été choisi pour évoquer un pôle-ressource : « nous souhaitons être un pôle ressource pour toutes les personnes qui nous contactent. (…) Le jeu de mot avec les sources d’eau qui s’écoulent comme la vie. »
Le projet
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prévoit la création d’un lieu pensé comme « une maison » — plus humaine, plus douce que l’hôpital — pour accueillir des personnes en fin de vie, leurs proches aidants et les personnes endeuillées. Deux bâtiments potentiels pour y installer cette maison d’accompagnement ont été repérés et sont en cours d’étude par un architecte.
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En parallèle, l’association mène des actions de sensibilisation comme des cafés mortel, lieu de discussion sur la fin de vie ou des courses solidaires
Impact & enjeux
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Il s’agit d’une réponse structurée à un besoin territorial non couvert : élargir l’offre de soins palliatifs, et garantir le droit d’accès au plus grand nombre.
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Le projet vise également à transformer la façon dont on pense la fin de vie, en la rapprochant du domicile, du lien social et d’un cadre plus apaisé.
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L’association identifie comme enjeu de développer son réseau de bénévoles et d’accroître ses actions de sensibilisation pour avancer vers l’ouverture effective de la maison.
Re Sources de Vie n’est pas seulement un projet de structure sanitaire : c’est une innovation sociale parce qu’elle repense l’accueil, la dignité et le lien humain à un moment clé de l’existence. Elle mobilise les outils de l’ESS : gouvernance associative, finalité d’impact collectif, ancrage territorial. Il est aujourd’hui fortement ralenti par le report de l’adoption du texte de loi, adopté par l’Assemblée Nationale mais en attente d’examen au Sénat.
Lire le portrait « Green Native«
Family Social Club — Une ferme pédagogique avec et pour les habitants
Basé à Clermont-Ferrand, Family Social Club agit pour accompagner les familles. Le projet récompensé, La Ferme pédagogique des Vergnes, s’inscrit dans cette logique en créant un lieu partagé, co-construit avec les habitants et ancré dans un quartier populaire en pleine transformation.
La ferme a été pensée comme un espace éducatif, écologique et participatif destiné aux familles, aux enfants, aux écoles et aux habitants du quartier. L’objectif est double :
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recréer du lien autour d’un projet commun,
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proposer un lieu nature dans un quartier urbain dense.
Concrètement :
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l’aménagement d’un terrain mis à disposition par la ville,
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un potager collectif et des espaces de culture adaptés aux ateliers scolaires,
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des zones dédiées à la découverte des animaux et à la pédagogie environnementale,
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l’organisation d’ateliers participatifs : jardinage, plantations, chantiers éducatifs, sensibilisation à la biodiversité,
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l’implication forte des habitants, des familles et des structures locales (dont le Jardin Solidaire, entreprise d’insertion du quartier).
Le projet vise à valoriser les compétences des habitants — jardinage, bricolage, médiation, animation — en leur donnant une place dans la construction et le fonctionnement de la ferme. Il s’inscrit dans une dynamique plus large : redonner de la fierté au quartier, renforcer le collectif et créer une activité utile et accessible. Il est lauréat également du Budget Ecocitoyen du Puy de Dôme
Pour Family Social Club, cette ferme est plus qu’un équipement. C’est un levier pour offrir un lieu de respiration, renouer avec la nature, soutenir l’éducation des enfants et créer une activité sociale, construite par et pour le quartier.
Metabatik — Accélérer le réemploi dans le bâtiment
Co-fondée en 2019, Metabatik travaille sur un enjeu clé : le réemploi des matériaux du bâtiment. Le nom qui vient du grec ancien, “Métabatik”, signifie : “avec ce que j’ai, je fais autre chose”. Depuis 2020, l’équipe a déjà collecté ou remis en circulation 250 tonnes de matériaux.
L’innovation n’est pas technologique : elle est sociale. Le défi est de rendre le réemploi simple, désirable et accessible, pour accélérer une pratique encore marginale dans le BTP.
Metabatik propose des prix solidaires (30 à 60 % du prix du neuf), mobilise des travailleurs en insertion pour la “dépose soignée” et s’appuie sur les structures locales.
Aujourd’hui, la structure évolue vers une SCIC, et porte le collectif Recrée- Repère Créatif du Réemploi. Un collectif du réemploi sur le territoire qui intègre 7 structures : Artex, DécorEthic, Faire Play, GreenCouture, Réempack et Terra Preta. Le but: pour mutualiser les moyens et structurer une filière circulaire locale.
et devenir un outil territorial au service des communes, des artisans et des habitants.
Voir la Double Minute Chrono de Christine Gardies – Metabatik et toute la série consacrée aux initiatives de recyclage et ré emploi dans le BTP
Et aussi, le pitch de Christine lors d’un Upheros à Maringues
En finir avec les idées reçues
Durant l’animation prévue pour la soirée, une intervenante a regretté qu’on oppose encore trop souvent économie classique et économie sociale. Leurs modes d’organisation se ressemblent beaucoup pour les fonctions quotidiennes comme la gestion, la production, l’emploi, les modèle d’affaires… La vraie différence se trouve dans la finalité. D’un côté, la maximisation des dividendes ; de l’autre, la réinjection des bénéfices pour renforcer l’impact social. C’est peut-être cette différence de finalité, assumée et revendiquée, qui explique encore la rupture de considération dont l’ESS fait l’objet.
On entend souvent dire, avec un léger dédain, que l’ESS vivrait « sous perfusion publique ». Or, les études montrent l’inverse. Notamment ceux de l’Observatoire national de l’ESS et de chercheurs en économie publique, qui soulignent que les entreprises à but lucratif sont en réalité bien plus soutenues par l’argent public avec des dispositifs tels que le CICE, les allègements de charges, les exonérations fiscales, niches dédiées à l’investissement et à l’innovation. Des montants sans commune mesure avec les subventions de fonctionnement accordées à l’ESS. « L’ESS ne reçoit que 7 % des aides publiques aux entreprises alors qu’elle représente 13,7 % des emplois privés ! » avance Timothée Duverger, Ingénieur de recherche à Sciences Po Bordeaux, responsable de la Chaire Territoires de l’ESS (TerrESS) dans Alternatives Economiques
Autrement dit, le débat n’est pas celui d’une économie « assistée » contre une autre qui ne le serait pas. Le débat porte plutôt sur ce que l’on finance et pourquoi. Et les quatre projets récompensés cette année le rappellent : soutenir l’innovation sociale, c’est soutenir des solutions ancrées, utiles et non délocalisables, qui renforcent la vie collective.
