La puissance publique doit passer les frontières territoriales pour faire des groupes projets, avec Charles Hazet, Agence d’urbanisme CAM

La puissance publique doit passer les frontières territoriales pour faire des groupes projets, avec Charles Hazet, Agence d’urbanisme CAM

Charles Hazet est Directeur de l’Agence d’Urbanisme de Clermont Auvergne Métropole. L’Agence récolte et analyse des données afin d’éclairer la décision publique. Comment faut-il penser l’action, sur nos territoires, pour mieux anticiper les changements à venir ? Les données peuvent-elles avoir un impact sur la résilience des territoires ?

Avant d’évoquer les enjeux de l’urbanisme pour notre territoire dans les années à venir, est-ce que vous pouvez nous parler de votre parcours ? Comment devient-on Directeur d’une agence d’urbanisme ?

Charles Hazet : Je suis un amoureux de la ville. Je suis originaire de l’Ouest parisien où j’ai grandi. Ensuite, j’ai fait des études d’ingénieur avec une spécialisation dans l’imagerie spatiale. Par imagerie spatiale, j’entends images satellitaires qui permettent de mieux comprendre les phénomènes terrestres, météorologiques et climatiques.

J’ai toujours été sensible à l’environnement et j’ai eu envie de m’engager pour la cause climatique vers 2010. J’ai décidé de le faire dans la sphère publique. Je voulais être proche du terrain, pour avoir un impact sur l’aménagement du territoire. En tant qu’ingénieur j’ai choisi d’apporter mes capacités d’analyse des phénomènes complexes pour aider les décideurs dans leur prise de décision.

Quels ont été vos différents postes avant de prendre la direction de l’agence d’urbanisme de la Métropole?

Après mes études à l’école des Ponts et Chaussées, j’ai occupé plusieurs postes dans les services déconcentrés  de l’Etat en régions. J’ai travaillé sur les sujets d’environnement urbain et les risques climatiques et environnementaux liés. 

La progression de la connaissance et des outils d’analyse nous amène à nous poser des questions très concrètes sur la résilience des territoires, parfois difficiles à trancher : est-ce que l’on urbanise ou non en zone inondable en ville plutôt que de construire sur des zones agricoles par exemple.

Aujourd’hui, vous êtes Directeur de l’Agence d’Urbanisme qui rassemble une vingtaine d’urbanistes ou d’experts. Quelles sont vos missions ?

Charles Hazet : L’agence a comme objectif d’analyser les phénomènes urbains complexes. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela présuppose de croiser des données toujours plus précises. On analyse entre autres comment les sols sont utilisés,la répartition socio-spatiale des habitants et leur mobilité, l’impact des transitions, le ressenti et les freins au changement. Ces analyses ont pour finalité d’apporter la matière rationnelle permettant aux élus locaux de prendre des décisions en pleine conscience des leviers et impacts des choix qu’ils arbitrent. 

Il faut comprendre que chaque décision prise, entraîne automatiquement des réactions en cascades. L’agence a pour rôle de décortiquer les phénomènes, afin d’éclairer la décision.

Quelles sont les compétences-métiers indispensables quand on éclaire la décision publique ?

Avec 25 personnes, nous avons un large éventail, une « ruche » de compétences. On retrouve des architectes, des urbanistes, des géographes, des cartographes, des statisticiens, des data scientists, des économistes, des spécialistes des mobilités ou de l’habitat, des sciences sociales, de l’environnement une infographiste… Ce sont des profils très divers, car il nous faut couvrir un large spectre. En fonction des sujets, on monte des équipes projets avec le bouquet de compétences adaptées.

Vous parlez beaucoup de la donnée. Mais d’où provient-elle, parce que c’est le nerf de la guerre. Il faut des données fiables pour des analyses pertinentes.

Elle provient de plusieurs acteurs. La plus facile à obtenir vient de la sphère publique : DGFIP (impôts), Insee, CAF. Nous avons des partenaires privés comme la Fédération des Promoteurs Immobiliers, la Chambre des Notaires, les agences immobilières. Des partenaires techniques comme le Centre régional auvergne RHÔNE Alpes d’information géographique.  Cela représente énormément d’acteurs, et notre job, c’est de créer les conditions de confiance avec ces partenaires pour être un centre de référence de la gestion des données.

Quand on travaille pour l’Agence d’Urbanisme de la Métropole, on étudie le phénomène urbain dans son découpage administratif ?

Non. Nous travaillons sur l’ensemble de la plaque urbaine clermontoise pour coller au plus juste à la réalité des phénomènes. Les habitants se déplacent au delà de leur commune, les paysages dépassent les frontières des agglomérations, etc. On travaille à l’échelle de ce qu’on pourrait appeler le “croissant fertile de l’Auvergne”, qui rassemble la moitié de la population de l’ex-Auvergne de Vichy à Brioude et la majorité de l’activité économique et industrielle. 

J’ai pu voir une quantité impressionnante de publications sur votre site. Une mine d’or. Mais comment et pourquoi choisissez-vous de creuser un sujet plutôt qu’un autre ?

Charles Hazet : Nous avons un modèle partenarial. Nous collaborons avec plusieurs territoires et acteurs avec lesquels nous faisons émerger les sujets à enjeux à creuser.  Ensuite, on bâtit des études multi-échelles ou multi sites. Prenons la revitalisation des centres-bourgs, ou la transformation des friches économiques. Nous avons mis en place des méthodes que nous déclinons sur les différents territoires.

Si on parlait “impact”. Est-ce que l’urbanisme aujourd’hui est en évolution pour répondre aux nouveaux enjeux ? Par exemple de mobilité ?


Il y a plusieurs manières de prendre le problème. L’objectif de la transition écologique est complexe d’un point de vue territorial. D’un côté, il y a besoin de transformer, et de l’autre, il y a beaucoup d’inertie. Ceci est dû à la multitude d’acteurs impliqués dans la prise de décisions ainsi qu’aux lois et aux contraintes réglementaires, et l’inter-relation de tous les phénomènes. Nous avons un millefeuilles d’écosystèmes complexes. Notre rôle ici, c’est d’anticiper, d’éclairer les changements et de trouver des solutions intelligentes.

Une méthode indispensable pour y parvenir est la croisée d’acteurs. Par exemple, pour ce qui est de la mobilité, nous avons croisé l’observatoire de la mobilité avec celui de l’habitat. Nous avons fait réfléchir ensemble des partenaires publics et privés pour travailler à une meilleure coordination. Où construire pour optimiser les déplacements, réduire les distances et la dépendance à la voiture. Il faut créer ce type de canaux de transmission entre les différentes strates du millefeuille. 

Est-ce qu’il existe certains secteurs ou certaines activités pour lesquels la réflexion  évolue plus rapidement que d’autres ? 

Sur la mobilité, on ne peut pas laisser des territoires déconnectés. Il faut trouver des solutions communes, et ça se fait à l’échelle d’un bassin devue. En tant que techniciens, on peut et on sait définir le bon périmètre, mais ça oblige à un dialogue entre les acteurs. Afin de permettre à tous d’avoir accès à une mobilité durable, il faut parler ligne ferroviaire, autocar inter-villes, covoiturage, au-delà des frontières administratives. Il y a une prise de conscience générale et il reste à transformer l’essai par la mise en place de solutions concrètes au plus proche de l’usager. 

De votre point de vue, quels sont les grands enjeux de l’Auvergne ?

Je dirais les ressources naturelles. Il y a un grand enjeu lié à l’eau. Nous sommes un territoire agricole et le changement climatique va avoir un impact sur la ressource en eau. Derrière, il y a des choix agricoles à faire, ainsi qu’une stratégie de gestion urbaine de l’eau à développer. 

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ? 

Les problématiques que l’on a évoquées ont toutes des périmètres géographiques qui leur sont propres. Les acteurs à mobiliser ne sont pas les mêmes. Pour répondre aux enjeux, il faut que la puissance publique arrive à passer les frontières territoriales pour faire des groupes projets. Il faut réussir à instaurer une culture de périmètre de projet fait d’alliances territoriales. Ça demande de l’ingénierie de projet. Notre territoire tirerait “son épingle du jeu” à être à la pointe pour aborder les sujets à leur juste échelle.

Dans la tête de Charles Hazet

Ta définition de l’innovation : transformer le réel pour répondre à un besoin identifié en mobilisant des talents de créativité 

Une belle idée de start-up : co-créer les schémas cyclables par design thinking avec les usagers, pour éviter les aménagements aberrants. J’ai cherché en France je n’ai pas trouvé une telle offre de service. 

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info : la presse quotidienne nationale. J’en suis accro et multi-abonné. Nous avons un journalisme de grande qualité trop souvent injustement critiqué.

Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : le podcast super didactique  « Time to shift » sur les questions de transition énergétique 

Une recommandation pour rire (livre, podcast, magazine, série) : le clan (série Belge disponible sur Arte)

une femme qui t’inspire/experte : Simone Weil (la philosophe, homonyme d’une autre grande Simone)

L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : Frédéric Says (journaliste France Culture), et rêvons un peu, Blaise Pascal dans l’au-delà 

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.