Rencontre avec Marguerite Courtel du collectif les Augures et professionnelle du secteur de l’écologie culturelle. À travers cet entretien, elle aborde également les défis et les opportunités liés à la transformation des industries culturelles et créatives (ICC) face à l’urgence écologique et numérique.
Avant d’aborder la transformation des ICC, pourriez-vous nous parler de votre parcours, depuis la crèche ?
Marguerite Courtel : Originaire de la région parisienne, je suis diplômée en histoire de l’art. Par la suite, j’ai collaboré avec des galeries d’art qui représentaient des artistes jeunes et engagés. En 2017, j’ai rejoint l’association Art of Change 21, dédiée à la sensibilisation à l’écologie par le biais artistique.
Après deux ans dans cette association, j’ai souhaité aller plus loin dans mon engagement en accompagnant les organisations culturelles vers une écologie des pratiques métier. C’est à cette époque, juste avant la pandémie, que j’ai rencontré Laurence Perrillat, qui nous a rassemblés autour du collectif Les Augures.
A quel moment se crée le collectif des Augures ?
Ce collectif est composé de quatre femmes : Laurence Perrillat a passé 15 ans à travailler dans des institutions culturelles. Camille Pène vient du monde de la tech et a dirigé notamment le festival Futur en Seine. Sylvie Bétard est l’experte économie circulaire et a cofondé la première ressourcerie culturelle en France.
Dans un contexte de crise sanitaire et de ralentissement de l’activité du secteur, les industries culturelles et créatives ont pris conscience de leur vulnérabilité et leur fragilité économique. Il n’y avait plus « d’exception culturelle » et le cadre réglementaire de plus en plus rigoureux a convaincu les plus réfractaires à se transformer.
Notre activité vise à accompagner le secteur culturel dans sa transition, sa capacité d’adaptation et d’innovation : nous réalisons avec les structures que nous accompagnons, un état des lieux approfondi de leur pratiques, nous les aider à lever les obstacles à la transition écologique, à encourager le dialogue et l’intelligence collective et à instaurer une démarche horizontale dans la transition.
Nous organisons aussi souvent des temps de mobilisation et de sensibilisation aux enjeux de l’énergie, du climat et aux principaux impacts du secteur culturel. C’est d’ailleurs dans ce contexte que j’ai rencontré le Damier il y a deux ans. J’ai formé certains adhérents sur le thème du numérique responsable.
Comment faire coexister culture, innovation, numérique et écologie ?
Marguerite Courtel : Il est crucial de prendre conscience de la matérialité importante du numérique. En effet, sa fabrication exige une quantité significative d’énergies fossiles, d’eau, de terres rares, des ressourceslimitées et non renouvelables.
Nous devons également nous interroger sur la durabilité de nos choix technologiques. Dans le secteur culturel, le numérique est fréquemment perçu comme l’outil de médiation privilégié. Cependant, on a pu constater au fil des années qu’une série de dispositifs numériques a été mise en place avant d’être rapidement abandonnée.
Il est donc impératif de reprendre le contrôle sur les imaginaires d’innovation. Nous devons également prendre en compte dans les projections la disponibilité de certaines ressources. Une approche axée sur le ralentissement est nécessaire, car le numérique ne se résume pas à la technologie seule. Il provoque également des effets rebond, engendrant de nouveaux usages qui génèrent de nombreuses autres externalités négatives.
Faut-il bifurquer et abandonner le numérique dans les ICC ?
Marguerite Courtel : Les injonctions à une utilisation accrue du numérique sont fortes, mais il est essentiel de les questionner. Notre objectif est d’accompagner les organisations dans leur réflexion et la création d’outils pour mesurer l’impact de leurs décisions. Nous devons discuter de l’impact et de la fragilité de ces technologies. Notre but est de lever le voile sur les aspects cachés du numérique.
Nous devons envisager d’autres options avant de nous tourner systématiquement vers des solutions numériques. En cas de problème, notre tendance naturelle à chercher une solution numérique devrait être réévaluée. A titre d’exemple, les recherches menées par la Doctorante en sciences de l’information et de la communication au Centre Norbert Elias Allison Guiraud révèlent que le système de tablettes tactiles mis en place au Palais des Papes à Avignon avait tendance à alourdir la déambulation des publics. Ces dispositifs numériques ont aussi tendance à transformer les médiateurs en opérateur.rice.s techniques.
Il est fondamental de documenter et d’évaluer les usages du numérique dans les ICC. Prenons l’exemple de l’artiste Joanie Lemercier issu de l’art numérique. Il est connu pour ses vidéo mapping. Récemment, il est devenu très engagé, travaillant à réduire son impact environnemental. Cela implique de repenser les formats et peut-être de renoncer à certains équipements et projets.
Comment apporter des solutions concrètes aux acteurs de la cultures une fois qu’une prise de conscience s’est établie ?
Afin d’encourager les acteurs culturels à créer des biens communs et à expérimenter des solutions, nous avons mis en place des ‘Augures Lab’ dans le but de rassembler ces acteurs. Nous mobilisons des professionnels de la culture dans une logique de recherche-action. Créé avec le studio Ctrl S, l’Augures Lab Numérique Responsable cherche, par exemple, à faire émerger des problématiques spécifiques au numérique dans la culture, telles que notre dépendance aux réseaux sociaux et aux algorithmes, le sujet de l’archivage, ou encore la question des équipements. La démarche consiste à sensibiliser et à former ces acteurs, à faire émerger collectivement des problématiques et, après une phase d’enquête, à déployer des prototypes :
Par exemple un guide visant à réenchanter la médiation low-tech pour inciter à interroger les besoins réels et viser plus de frugalité. Des propositions sans fonctionnalités superflues, qui permettent d’adopter une vision globale intégrant la durabilité, l’impact environnemental et l’utilité de l’innovation.
C’est l’instant de la carte blanche. Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Je voudrais également ajouter que je suis particulièrement sensible aux enjeux sociaux et sociétaux qui se cachent derrière le numérique : que ce soit pour la fabrication et la fin de vie des équipements, mais aussi en ce qui concerne les impacts psychologiques d’une économie de l’attention renforcée par les écrans et les sollicitations digitales. Certains lieux de culture en sont encore préservés et j’encourage ces espaces où les gens se rassemblent et partagent collectivement des expériences IRL « In Real Life ».