Minoo Mirafzal est professeure d’Histoire-Géographie et d’Education civique et morale. Elle fait partie d’un groupe de l’académie de Clermont-Ferrand qui expérimente de nouvelles formes de pédagogie autour du numérique. Avec des élèves de 4ème, elle a développé un jeu géolocalisé pour permettre aux élèves de mieux connaitre leur territoire, tout en s’initiant au numérique.
Avant de parler de jeu, de numérique et de la commune des Martres-de-Veyre, parlez-nous de votre parcours.
Je suis d’origine iranienne. En 1983, j’ai quitté l’Iran pour pouvoir poursuivre mes études, car, à l’époque, les universités étaient fermées aux femmes. Arrivée à Lille, j’ai d’abord suivi des études de langue pour apprendre le français, puis d’histoire. Je suis entrée dans l’éducation nationale en tant que professeur d’histoire et j’ai fait tout mon parcours professionnel en Auvergne. Aujourd’hui, je suis professeure d’histoire-géographie et d’éducation morale et civique au collège Jean Rostand aux Martres-de-Veyre.
Quels sont les nouveaux enjeux de ces matières ?
Notre rôle est de former les futurs citoyens, de développer leur esprit critique dans un monde de plus en plus ouvert où tout le monde a accès à l’information. Notre manière de travailler a dû évoluer pour faire face à ces nouveaux défis.
Même si nous utilisons encore le manuel papier, le manuel numérique a fait son apparition et permet de rendre les apprentissages plus interactifs, moins descendants. On peut, par exemple, faire évoluer des cartes grâce à la réalité augmentée, regarder des films, aller se renseigner sur le site de la BNF. En 2023, si, en tant que professeur, on ne passe pas par le numérique, on n’est pas légitime.
Par exemple, on peut étudier la vie de Marco Polo grâce à une série d’ouvrages papier, pourtant, à un moment donné, les élèves voudront tout de même vérifier les informations en passant par Internet.
En tant que professeur, comment faire en sorte de ne pas se retrouver déconnecté de cette nouvelle génération ?
On se doit de se former et d’être curieux. On ne peut pas se détacher de ce que vivent les élèves. Puisqu’ils sont sur les réseaux sociaux, nous devons être un minimum initiés pour être en mesure de leur parler des avantages comme des limites.
Si on connaît les outils, on peut les exploiter. On voit se développer des formations pour apprendre à utiliser l’intelligence artificielle, pour créer des évaluations et aller plus loin. Ces outils numériques doivent rester au service de l’homme.
Comment utilisez-vous le numérique au quotidien ?
Je fais partie d’un pôle compétence d’Histoire initié par le Rectorat. Nous sommes un groupe de professeurs de l’académie de Clermont-Ferrand qui expérimente de nouvelles formes de pédagogie autour du numérique. Dernièrement, un projet a été lancé entre les différentes académies pour travailler sur les jeux, au sens large.
L’idée d’utiliser le jeu vidéo comme pédagogie innovante est venue d’une situation vécue en classe de géographie. Je les faisais travailler sur l’urbanisation dans le monde. À un moment donné, je leur montre une photo de Los Angeles, et un élève s’exclame “oh, mais ça, c’est dans GTA 5 ! ». J’ai saisi l’opportunité compte tenu de l’enthousiasme généré par ce constat. Ils ont dû étudier les vidéos de GTA 5 et les comparer à des photos de Los-Angeles pour trouver des différences et des similitudes.
Je leur ai fourni un article scientifique qui traitait des jeux ouverts. Il donnait des explications sur le côté addictif de ce type de jeu, pourquoi les gens en sont si friands. Cela leur a permis d’apprendre, de prendre du recul, et ce, sans avoir l’impression de travailler. Après, j’ai beaucoup de chance, je suis avec des élèves toujours partants pour tester de nouvelles choses.
Vous avez décidé de poursuivre et vous avez initié un projet numérique innovant avec vos élèves. Ils ont réalisé un jeu géolocalisé sur l’histoire des Martres-de-Veyre. Comment un projet comme celui-ci peut-il voir le jour au sein de l’éducation nationale ?
J’aime bien tester de nouvelles choses. Dans le pôle compétence, un des professeurs, William Brou, avait fait travailler ses élèves sur un jeu géolocalisé sur la ville de Thiers. Je me suis dit que l’on pourrait proposer un projet similaire sur les Martres-de-Veyre.
Finalement, la plupart des élèves du collège vivent en périphérie et connaissent très peu l’histoire de cette commune. Pour comprendre pourquoi elle est ce qu’elle est aujourd’hui, il faut comprendre son évolution, et donc, son histoire.
Nous avons eu le soutien du Rectorat et nous avons donc pris contact avec les élus locaux pour leur présenter notre projet. Ils nous ont aidés à rassembler les informations historiques nécessaires au développement du jeu.
Par ailleurs, nous sommes allés tester le jeu géolocalisé de Thiers pour analyser les points forts et ceux à retravailler. Les élèves ont tout de suite été très emballés.
Comment se construit un projet de ce type au cours de l’année ?
Il est important de préciser que le développement de ce jeu se fait pendant les temps extrascolaires. J’ai expliqué aux élèves dès le départ qu’ils auraient également beaucoup de travail à faire individuellement. Pour autant, ça ne leur a pas fait peur et ils ont été nombreux à participer au projet.
Ensuite, avec ma collègue documentaliste, Madame Balsan nous les avons fait travailler sur Géoportail pour répondre aux questions que nous avons préparées avec les équipes municipales. Ils ont dû faire des recherches sur les sites des archives départementales et celui de la commune. Il faut utiliser tous les prétextes pour leur faire découvrir de nouveaux outils.
Puis, nous sommes partis explorer les Martres-de-Veyre. À travers les recherches, un personnage a émergé, « Pierre le Canadien”. C’est une figure locale, un résistant assassiné pendant la Seconde Guerre mondiale dans les rues de la ville. Son histoire est un peu tombée dans l’oubli et nous avons décidé d’en faire le personnage principal de notre jeu.
Comment faire en sorte de relier les enseignements d’histoire et de géographie, le numérique et le tourisme ?
Les élèves nous surprennent souvent par leur créativité. Ils ont imaginé un jeu autour de la géographie de la commune basé sur une carte postale où, à chaque réponse, une partie de l’image apparaît. Ensuite, les élèves ont été initiés à la plateforme Atlantide qui permet de créer des jeux géolocalisés. Elle est assez intuitive, mais ils ont dû néanmoins créer le jeu de A à Z, c’est-à-dire coder le jeu.
Ce type de projet permet d’ouvrir le champ des possibilités pour les élèves. C’est une manière de leur montrer que le numérique ne se limite pas aux réseaux sociaux, que l’on peut être dans la production.
En quoi un projet de ce type permet d’aller plus loin dans les apprentissages ?
Comme ce projet se déroule sur deux ans, d’abord le développement, puis l’exploitation, j’ai eu l’idée d’initier les élèves de CM2 à ce jeu. Il y a des écoles primaires de petite taille, avec une centaine d’élèves parfois, et l’année suivante, ils vont se retrouver dans des établissements à 800. Ça peut être très stressant et ce type de projet permet de tisser des liens en amont de leur intégration.
Nous allons aussi utiliser le prétexte de la création de ce jeu pour amener nos élèves plus loin. Nous cherchons des entreprises de jeux vidéo locales qui accepteraient que l’on vienne les rencontrer. En effet, nous voulons leur faire découvrir toutes les opportunités en termes d’orientation. Il y a des métiers très artistiques, d’autres plus techniques. Nous voulons leur ouvrir le champ des possibles avant qu’ils ne prennent des décisions au lycée.
C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?
Nous sommes dans le monde du numérique, qu’on le veuille ou non. Le numérique va prendre de plus en plus de place, il faut que les enseignants s’en emparent pour pouvoir appréhender de quoi est fait le monde des adolescents. Aujourd’hui, on ne peut pas comprendre les adolescents sans comprendre le numérique.