William Brou, l’auvergnat qui raconte l’Histoire avec des jeux vidéo.

William Brou, l’auvergnat qui raconte l’Histoire avec des jeux vidéo.

William Brou est un gamer, Youtubeur, prof d’histoire-géo à Thiers. A travers sa chaine Youtube, il raconte l’Histoire à travers les jeux vidéo.
Passionné de vulgarisation scientifique, son approche a séduit l’Education Nationale. Rencontre avec celui qui cherche à partager ses connaissances en innovant tant sur le fond que sur la forme.

Bonjour William Brou. Avant de parler de jeux vidéo et d’Histoire, on aimerait bien en savoir plus sur ton parcours. Et donc, tu as le droit à la traditionnelle question : raconte-nous ta vie depuis la crèche.

William Brou : Chez moi, il y a une tradition familiale autour de l’histoire-géographie. Je viens d’un milieu modeste et on a toujours baignés dans cet univers. Ma famille est très portée sur la culture, les musées, les châteaux. 
Dans ma jeunesse, j’avais une passion pour les plans de réseaux de bus. J’écrivais aux offices de tourisme pour qu’ils m’envoient par courrier leurs cartes de réseaux. 

J’ai eu une scolarité assez tranquille, mais à 16 ans, j’ai découvert le jeu vidéo à travers le très fameux World of Warcraft et je suis un peu tombé dans ses travers.  De plus, j’ai été très mal orienté pendant mon parcours scolaire, ce qui a rendu mon  lycée un peu chaotique. J’ai tout de même réussi à décrocher mon Bac S. 
Après le lycée, j’ai décidé de continuer en fac d’histoire. Ça semble assez contre-intuitif après un bac S, mais finalement la rigueur de la méthode scientifique, c’est un atout pour faire de la géographie et de l’histoire.

C’est à ce moment là que tu fais le lien avec les jeux vidéo ?

Non. A cette période, j’ai déconnecté des jeux vidéo et je me suis plutôt connecté à mon nouveau milieu. J’ai poursuivi avec un master de recherche qui m’a passionné : le peuplement et l’occupation des sols de la Haute Vallée de l’Ance, dans le Puy de Dôme, entre le 12e et le 16e siècle. 

Pendant la rédaction de mon mémoire, je me suis rendu compte de la complexité de ces sujets et j’avais envie de participer à la vulgarisation de la science. Lorsque j’étais étudiant, j’étais guide touristique l’été. J’avais très envie de raconter les choses de manière différente, moins classique.
J’ai rencontré l’équipe de Radio Campus et j’ai proposé une émission où j’invitais les étudiants pour les faire parler de leurs sujets de recherche. Je voulais les faire descendre de leur tour d’ivoire et leur faire expliquer des sujets complexes au grand public.

Après mes études, je me suis lancé dans le concours pour devenir professeur et je n’ai plus eu le temps de me consacrer à ce sujet de la vulgarisation scientifique.

Et donc, tu es devenu prof d’histoire-géographie ?

William Brou : Oui. Je suis devenu prof un peu par défaut. Les concours, c’est la voix classique après des études d’histoire et de géographie. 

C’est en commençant ma carrière de professeur que je suis retombé dans le jeu vidéo. J’y ai vu une pédagogie pour aborder l’histoire de manière ludique et je me suis pris de passion pour cette approche.
J’ai expérimenté l’idée avec mes classes et ça a très bien fonctionné. Ça m’a donné envie de relancer l’émission de Radio Campus, mais je me suis dit que c’était plus pertinent d’utiliser YouTube pour parler jeux vidéo. 

En regardant une émission du “Joueur du grenier”, je me suis dit « tiens, si je faisais quelque chose dans le genre, mais en plus pédagogique”. Et c’est comme ça qu’Histoire en Jeux est née le 24 janvier 2017.

Est-ce que tu peux nous pitcher Histoire en Jeux ?

C’est une chaîne YouTube où j’analyse les jeux vidéo qui parlent d’histoire. 
Au départ, comme je sortais de la fac, j’étais très porté sur le fact-checking. C’est en discutant avec des consultants de cette industrie que j’ai découvert tous les métiers autour du jeu vidéo : game designer, producer, level designer etc.

Je me suis intéressé à la manière dont ils s’emparent des connaissances historiques de manière subtile : comment les jeux permettent de faire passer des informations, même si le but du jeu n’est pas de raconter comment l’Histoire s’est déroulée.
Par exemple, dans le jeu Total War, le joueur a la possibilité de faire ce qu’il veut dans le jeu. Il peut décider que l’Espagne va conquérir la France. Ce qui n’est pas une vérité historique. Pourtant, les règles sont basées sur des réalités historiques. On n’envahit pas n’importe comment à cette époque. Le cadre mime la période, c’est un vrai travail de création. 

Qu’est-ce que tu proposes comme format dans tes vidéos “Histoire en Jeux” ? 

Je fais des vidéos pédagogiques. J’essaye de donner des clés de lecture. Les jeux vidéo sont des œuvres culturelles même s’il n’y a pas une véracité historique.
Au début de chaque vidéo, je présente le jeu. Ensuite, j’essaye de transmettre des connaissances historiques. Le but n’est pas d’assommer ceux qui regardent avec un nombre infini d’informations.  Mon job, c’est qu’à la fin, ils repartent avec au moins une information historique qu’ils ne connaissaient pas.

Ça, tu le fais sur ta chaîne, mais est-ce que tu le fais aussi en cours ? 

Ce travail que je fais dans mes vidéos, je le fais faire à mes élèves. Je les initie à la manière d’écrire des vidéos et comment un jeu peut les informer sur une période. Je leur fais faire du fact-checking, mais j’essaye d’aller plus loin. Je veux leur faire comprendre les contraintes techniques du jeu vidéo, comme on peut le faire pour le cinéma.

Par exemple, dans Assassin’s Creed Discovery Tour, il y a des erreurs dans la représentation des pyramides. Je leur fais noter ces erreurs et ensuite, j’explique les contraintes techniques. C’est par ce biais qu’ils découvrent les différents métiers du jeu vidéo. 

Comment réagissent les parents ou l’Education Nationale à l’approche plutôt “disruptive” des apprentissages à la William Brou ?

Du point de vue de l’institution, c’est plutôt valorisé. J’ai été invité au Ministère de l’Éducation Nationale et chez Ubisoft, par exemple. Je suis également chargé de mission dans le numérique éducatif pour la ludification et l’usage des jeux vidéo dans les écoles.

D’ailleurs, on met en place des formations pour les professeurs sur les jeux et sur la culture du jeu vidéo. C’est vraiment important de faire découvrir les métiers autour du jeu vidéo dès le plus jeune âge. Personnellement, si on m’avait expliqué certains métiers, c’est sûr que je n’aurais pas été prof d’histoire.  Et détrompez-vous, il ne faut pas forcément avoir un Bac S pour bosser dans cette industrie. Par exemple, pour être narratif designer, il faut plutôt un bac L. 

Alors le chemin est encore long à parcourir parce que je n’ai pas l’impression que le jeu vidéo soit intégré aux programmes scolaires, je me trompe? 

Non. Mais si on cherche bien, on peut faire rentrer le jeux vidéo dans beaucoup de cases des programmes. Mais c’est surtout une question culturelle.

Dès que la majorité de la communauté éducative (mais pas que) aura pris conscience que les jeux sont des œuvres culturelles, alors on pourra plus facilement intégrer le média dans les classes. Et puis, au-delà des programmes, se pose la question du matériel qui est très insuffisant pour permettre une vraie utilisation du média. 

Qu’est-ce que tu fais à ton niveau pour faire bouger les lignes ?

J’essaie de participer à l’élaboration d’un programme d’initiation à l’école. Aujourd’hui, cette approche est acceptée par le Ministère. Pourtant, il y a quand même de nombreux freins à lever. Beaucoup voient le jeu vidéo comme une sous-culture qui n’a pas sa place à l’école et qu’il vaut mieux se concentrer sur la lecture de Molière.
En France, nous avons cette culture qui place le livre au-dessus de tout.

L’autre problème, c’est la méconnaissance des parents sur ce secteur. Ils ne peuvent pas vérifier ce à quoi jouent leurs enfants. Dans certains cas ça peut poser problème: les enfants jouent à des jeux alors qu’ils ne devraient vraiment pas. 

Tu es un peu militant de la cause du jeu vidéo alors ?

Comme je suis un peu connu, je suis devenu une sorte de porte-étendard. C’est un peu malgré moi. Ce que je veux avant tout, c’est m’amuser en classe et transmettre des connaissances, faire de la vulgarisation.
Je développe l’esprit critique avec les jeux vidéo comme on peut le faire lorsque l’on étudie des archives. On ne prend pas le contenu pour argent comptant. Je propose la même approche.

De plus, à travers le jeu vidéo, on amène plus facilement les élèves sur les usages scientifiques. Il y a des mots compliqués qui vont les bloquer surtout s’ils restent conceptuels. En passant par le jeu, un environnement qu’ils connaissent tous, on contourne le problème. 

D’ailleurs, ils en pensent quoi tes élèves ? Ils sont contents de venir au cours histoire-géo de William Brou ?

Oui. Je le sens dans mes classes, mes jeunes viennent avec le sourire. J’ai mis en place un atelier de création de jeux vidéo cette année. J’ai été victime de mon succès. Plus de trente élèves se sont inscrits. Ça fait un grand groupe. Je travaille avec Atlantide Studios sur la création de jeux de piste géolocalisés pour faire découvrir le patrimoine des villes.

Ah oui, c’est intéressant ! Et donc ça ressemble à quoi cette expérimentation ?

On travaille avec la ville de Thiers. L’objectif est de faire découvrir “des morceaux d’Histoire” de cette ville, méconnus du grand public. Six scénarios vont sortir de cet atelier.

D’un point de vue des apprentissages, les élèves ont d’abord dû faire des recherches historiques sur la ville. Ensuite, ils ont dû écrire le scénario, puis le numériser. Finalement, ils sont devenus de vrais level designers. 

Par exemple, sur un des scénarios, on s’intéresse au passage de George Sand dans la ville de Thiers. Elle y a écrit un livre “La ville noire”. L’objectif, c’est de raconter qu’elle est passée par là, où elle a logé, etc.
Dans le jeu, la pauvre George se fait voler son manuscrit. Le joueur doit résoudre des énigmes pour récupérer certaines pages du livre. Ça permet de découvrir la ville et son histoire de manière ludique.

C’est génial comme projet ! Et on va pouvoir voir à quoi ça ressemble ou ça reste un projet de classe ? 

Il va y avoir une présentation publique début juillet. Ensuite, on pourra proposer le jeu aux habitants de Thiers. On va faire des flyers pour l’office de tourisme.
C’est un super projet très rassembleur. Tout le monde y gagne : l’Académie de Clermont-Ferrand, l’entreprise qui met le logiciel gracieusement à disposition, les élèves et moi-même.  On voudrait pouvoir le dupliquer dans d’autres établissements l’année prochaine.

Et quels sont tes autres projets à venir alors ? 

Je suis un grand consommateur de Twitch et de YouTube. J’ai lancé un temps de rencontre sur Twitch sur des jeux publiés sur itch.io. C’est similaire à la plateforme Steam, mais dans ce cas, ce sont des étudiants ou des ingénieurs qui ont déposé leurs jeux sur la plateforme. 

Il y a quelque temps, j’ai fait partie d’un jury de Game Jam et j’ai “halluciné” sur la qualité des jeux. Ce ne sont pas des triples A, mais certains ont un potentiel “de dingue” et il faut que ces jeux soient vus et soutenus. 

C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ? 

Bon, je vous donne la primeur de l’information. J’ai créé ma petite entreprise d’animation culturelle autour du jeu vidéo. Je veux proposer aux médiathèques ou aux écoles des conférences sur l’Histoire et les jeux vidéo et des ateliers pour les jeunes. J ’envisage aussi des formats à destination des adultes, des éducateurs ou des profs.

Dans la tête de William

Ta définition de l’innovation : Innover c’est essayer d’améliorer quelque chose d’existant 

Une belle idée de start-up : je sèche sur l’idée de start-up

La start-up qui monte : Atlantide studios

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info : Beaucoup Twitter

Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : L’histoire dessinée de la France

Une recommandation pour rire (livre, podcast, magazine, série) : Kaamelott (mais tout le monde connait déjà)

Une femme qui t’inspire/experte : Célia Hodent

L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : Vercingétorix ça passe ?

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.