Par Damien Caillard
et Cindy Pappalardo-Roy
Il fait partie de ceux qui défendent le principe que l’innovation se fait d’abord par des changements de méthodologie et de modèle économique. Après un passage au Canada, il revient en 2007 en Auvergne avec la conviction que le 21ème siècle sera celui de la data. Acteur impliqué dans l’écosystème de l’innovation il est le fondateur d’Agaetis et vient de lancer Datavergne, un « club » de data scientists. Rencontre avec celui qui place l’humain au coeur de sa démarche.
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Tu as longtemps travaillé au sein de l’innovation et de la technologie ; quelle expérience en as-tu tirée?
Historiquement, on a un coeur technique d’architecture et de data science. On a monté Agaetis en 2007 et en 2015, j’ai voulu prendre un virage : le succès des technologies passe par celui des innovations à destination des utilisateurs. Cela passait par une discussion avec les “métiers” : direction marketing, innovation… Dans notre équipe, on a des UX (au sens service design), des coaches en organisation, des spécialistes métiers… 50% du succès d’un projet est lié à une vraie création de valeur identifiée. Les autres 50% consiste à relever le challenge technique.
En 2015, j’ai voulu prendre un virage : le succès des technologies passe par celui des innovations à destination des utilisateurs.
En 2015, la grosse erreur commise par la plupart des entreprises était de penser que l’innovation passait par la technologie, et devait être confiée à des technologues. Or il s’agit plutôt de la capacité à changer un modèle économique. De notre côté, il y avait trop de générations de frustrations. On avait beau pousser de la valeur technique, elle n’était pas valorisée dans un dispositif global. Aujourd’hui, la culture s’est largement améliorée : tout le monde parle d’UX, sait ce qu’est une recherche utilisateur.
Dans quel état d’esprit étais-tu en 2007, lors de la création d’Agaetis?
Je revenais tout juste du Canada, où j’avais travaillé pour une start-up qui faisait de la valorisation de données dans le monde de la médecine. Ma conviction était qu’il y avait de la valeur dans la data ! Mais c’était déjà à contre-courant, pas du tout mature à Clermont en tous cas. J’ai donc créé ma boîte à 28 ans, sans aucun réseau ni réflexe business. Agaetis s’est positionné en prestataire de service.
Comment et avec qui as-tu l’habitude de travailler, au sein de ton entreprise?
La plupart de nos clients sont soit des grands comptes, soit des start-ups qui ont commencé à se développer – plutôt série B ou C, qui sont souvent à des secondes ou troisièmes levées de fonds. L’enjeu de la transformation digitale, c’est d’avoir d’abord des moyens – et pas que financiers. On pousse à monter des partenariats, à s’ouvrir… L’autre enjeu, c’est de faire en sorte que ça marche mieux avec des boîtes proches du client. Enfin, tu as le cas des startups : 90% d’entre elles auront d’abord comme client ou partenaire un grand groupe, car si tu n’as pas une grosse boîte sur laquelle s’adosser, c’est souvent compliqué.
Le fait de travailler dans notre région, qu’est-ce que ça implique?
En Auvergne – malheureusement -, c’est compliqué : on a peu d’ETI, un seul grand groupe. Par rapport aux écosystèmes lyonnais ou parisiens par exemple, on ne fait pas le poids. Je suis pourtant attaché à cette ville et à l’écosystème où on se connaît tous ; on se respecte, on se serre les coudes. Aussi, un faible coût de l’innovation qui permet de dégager une activité R&D ! Mais cela implique une vraie présence à Paris pour le delivery, ce que je fais.
Tu es l’un des fondateurs de Human to Data… Peux-tu nous en parler?
Avec Human to Data, on parle beaucoup d’industrie 4.0. La transformation digitale de cette industrie nécessite d’aligner beaucoup de compétences. À force d’échanger avec des gens comme Jean-Michel Pou, Thierry Yalamas et Eric Fernandez, on s’est rendu compte qu’à quatre, on couvrait une bonne partie des enjeux de la digitalisation dans l’industrie. C’est la maturité du monde industriel qui est obligé de faire un bond en avant, et on est plus dans la sensibilisation et l’éducation que sur de l’accompagnement précis.
La première question, c’est de savoir comment guider les industriels dans le monde digital.
La première question, c’est de savoir comment guider les industriels dans le monde digital. On commence par évangéliser, en étant speaker dans des conférences et en lien avec des clusters. Aujourd’hui, ce sont des gros industriels qui portent les sujets. Les PME, c’est plus difficile, elles sont surtout à l’état de POC. Parce que les marges sont faibles, parce que tout n’est pas “que” du temps de cerveau, ce qui fait que l’investissement est beaucoup plus important.
Avec Agaetis, tu as eu l’occasion de travailler avec plusieurs entreprises, dont Novencia…
Oui, Novencia comptait 300 personnes et plus de 30 millions de chiffre d’affaires quand on s’est rencontrés. Ils étaient plutôt une SSII dans la finance, et souhaitaient évoluer vers une société de conseil. C’est donc ce qu’a apporté Agaetis : on avait les idées, ils avaient la surface ; on s’est entendus là-dessus. La discussion a abouti à l’été 2018, après avoir travaillé longtemps ensemble. Je l’ai très bien vécu parce que j’étais moteur là-dessus ! C’est avant tout une histoire d’hommes : avec Arnaud, le dirigeant de Novencia, on a une vision partagée, et aujourd’hui je profite pleinement de ce partenariat.
Agaetis est une société de conseil, où l’on retrouve beaucoup de réflexes que l’on a dans les startups en terme d’amélioration continue, de partage de la création de valeur…
Pour moi, ce rapprochement, c’était le bon curseur : Novencia était suffisamment gros pour avancer plus vite, et suffisamment petit pour garder l’esprit agile. C’est ce qui fait notre valeur. Agaetis est une société de conseil, où l’on retrouve beaucoup de réflexes que l’on a dans les startups en terme d’amélioration continue, de partage de la création de valeur… Les salariés sont les premiers convaincus de leur entreprise, et on répond au niveau d’attente des grands groupes.
As-tu une méthode de travail en particulier concernant les partenariats?
On passe beaucoup de temps sur du “non facturé”. Pour moi, c’est un facteur clé. On a défini de bonnes méthodes pour le cadrer et le faire intelligemment. Ça permet aux collaborateurs de s’ouvrir, de s’inspirer, se projeter… et au final, les clients l’achètent. Mais ça implique que l’innovation soit bien pilotée.
Quelle est ta vision de l’écosystème d’innovation local?
Les challenges de créativité, les contacts avec les écosystèmes, on n’en fait pas assez sur Clermont, plus sur Paris ou Lyon – des meetups par exemple. Ici, on va plutôt travailler au long cours : on aura des événements de team-building, mais aussi une approche spécifique à Clermont. On appelle ça les “guildes” ; ils garantissent l’évolution en termes de compétence d’une personne, et son intégration dans l’entreprise. Comment un nouvel entrant va-t-il acquérir des réflexes Agaetis rapidement? Ça peut être assez complexe, il faut en avoir une bonne lecture pour s’intégrer. Vu de l’extérieur, les Guildes vont garantir à nos clients qu’on leur proposera des livrables à l’état de l’art. En interne, on organise des challenges, des événements sur la prospective à deux ou trois ans.
Et la data science à Clermont-Ferrand, qu’en est-il?
On s’est d’abord mis en réseau avec des data scientists locaux. En avril 2019 s’est créée une nouvelle association sur le sujet (Dataverne, ndlr). J’en suis particulièrement content, et l’état d’esprit fonctionne. C’est ce que j’attendais d’Agaetis : que chaque collaborateur contribue de plus en plus à l’écosystème, de manière directe ou indirecte.
Dans notre contribution à certains projets, là où on sent que l’on peut porter notre savoir-faire – comme dans l’agro-écologie, la santé… Et bien, la data peut améliorer tous les domaines.
Dans notre contribution à certains projets, là où on sent que l’on peut porter notre savoir-faire – comme dans l’agro-écologie, la santé… Et bien, la data peut améliorer tous les domaines, même si c’est parfois compliqué ! On a un équilibre entre des projets, par exemple dans la finance, très rémunérateurs et facile à déployer, et des projets plus “sociétaux” à très forts enjeux qui prennent plus de temps – comme dans l’agro-écologie. Entre l’investissement et le ROI, on a dix ans dans ce domaine. Mais ce type de projets, j’y tiens : je suis né en Creuse, fils de paysan. Je suis forcément attaché à ce territoire et à ce qu’il peut devenir.
Pour en savoir plus :
Entretien réalisé le mercredi 8 avril par Damien Caillard
Propos synthétisés et réorganisés pour plus de lisibilité par Cindy Pappalardo-Roy
Crédit photo : Damien Caillard, le Connecteur
Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)
- #Expérience – Agaetis a été fondé par Nicolas Roux en 2007. En 2015, il a souhaité prendre un virage, le succès des technologies passant par celui des innovations à destination des utilisateurs. Cette année-là, la plus grosse erreur commise par les entreprises fût de penser que l’innovation passait par la technologie, et devait être confiée à des technologues, alors qu’il s’agissait plutôt de la capacité à changer un modèle économique. Aujourd’hui, la culture s’est largement améliorée : tout le monde parle d’UX, sait ce qu’est une recherche utilisateur.
- #MéthodeDeTravail – La plupart des clients de Nicolas Roux sont des grands comptes et des start-ups qui ont commencé à se développer. Pour lui, l’enjeu de la transformation digitale c’est d’avoir d’abord des moyens – et pas que financiers ! Son entreprise encourage donc ses clients à monter des partenariats et à s’ouvrir. Un autre objectif, pour les startups, c’est d’avoir d’abord comme client un grand groupe, car « si tu n’as pas une grosse boîte sur laquelle s’adosser, c’est souvent compliqué ».
- #HumanToData – La transformation digitale de l’industrie dite 4.0 nécessite d’aligner beaucoup de compétences. Pour Nicolas et ses associés co-fondateurs de Human to Data, c’est la maturité du monde industriel qui est obligé de faire un bond en avant ; il faut plus être dans la sensibilisation et l’éducation que sur de l’accompagnement précis, et donc savoir comment guider les industriels dans le monde digital.
- #Partenariat – Agaetis et Novencia, qui compte 300 personnes et plus de 30 millions de chiffre d’affaires ont établi un partenariat : Agaetis avait les idées, et Novencia, la surface. Pour Nicolas Roux, les partenariats, « c’est avant tout une histoire d’hommes ». Il ajoute que Agaetis est une société de conseil où l’on retrouve beaucoup de réflexes que l’on a dans les startups en terme d’amélioration continue, de partage de la création de valeur, etc. Les salariés sont ainsi les premiers convaincus de leur entreprise.
- #ÉcosystèmeLocal – Quand on lui demande sa vision sur l’écosystème d’innovation clermontois, Nicolas répond qu’il n’y a pas assez de challenges de créativité et de contacts avec les autres écosystèmes. Il ajoute : « Ici, on va plutôt travailler au long cours, avec des événements de team-building ; on appelle ça les “guildes”. Ils garantissent l’évolution en termes de compétence d’une personne, et son intégration dans l’entreprise. »
- #DataScience – Agaetis s’est mis en réseau avec des data scientists locaux et très récemment – en avril 2019 -, l’association Dataverne est née. C’est ce que Nicolas attendait d’Agaetis : que chaque collaborateur contribue de plus en plus à l’écosystème, de manière directe ou indirecte. Dans sa contribution à certains projets, il sent que la data peut améliorer tous les domaines, même si c’est parfois compliqué.