Entretien / Sébastien Côte, le citoyen 4.0

Entretien / Sébastien Côte, le citoyen 4.0

Par Pauline Rivière
et Cindy Pappalardo-Roy

Sébastien Côte est connu en Auvergne comme le Monsieur numérique de la « France périphérique ».
Passionné par les enjeux que représente le numérique pour innover sur les territoires, il organise cet été la 14ème édition de Ruralitic, un rendez-vous annuel qui rassemblent les élus ruraux intéressés par ces sujets.
Focus sur celui qui veut désormais révolutionner la gouvernance des territoires.

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Ton entreprise s’appelle « Mon territoire numérique ». Peux tu nous expliquer comment ces deux dimensions, territoriale et digitale, ont fait leur chemin dans ton parcours professionnel?

crédits photos : Ruralitic

Je suis né en Corrèze et j’ai grandi dans une petite ville de 6000 habitants. J’ai tout de suite été plongé dans cette « France périphérique », comme l’appelle Salomé Berlioux. Je fais mon service militaire à Bordeaux, puis une faculté de philosophie, suivie d’un DESS information et communication. Je suis parti pendant six mois comme journaliste au Maroc pour ensuite travailler pendant 7 ans à Paris dans le plus gros groupe de Relations Publiques de l’époque, en enfin intégrer une association « Réseau Idéal » qui mettait en place des réseaux de partages de savoir en ligne pour les collectivités.

En 2007, je suis sollicité par le Conseil Régional d’Auvergne, présidé par René Souchon, pour devenir responsable du développement des usages numériques. C’est là que je rencontre la question du numérique rural à travers Ruralitic, créé à l’initiative du en 2005 et dont je suis l’interlocuteur pour la Région. Je découvre qu’en 1998, le Cantal – sous l’impulsion de son Président Vincent Descoeur – avait lancé le premier programme de développement numérique territorial en France : Cyber Cantal. Pour remettre les choses dans leur contexte, en 1998, c’est la création de Google tandis que nous en France nous avons le Minitel.

En 2010, je suis débauché par l’agence qui était l’opérateur de Ruralitic avant de racheter cet événement que j’opère désormais en direct à travers ma propre société. Il était né en 2005 comme une réponse aux dérives constatées depuis 1997, après la privatisation de France Telecom où les opérateurs de télécommunications pouvaient installer le Haut-Débit là où ils le souhaitaient (et où c’était le plus rentable) c’est à dire principalement en zones urbaines. 

Pourquoi avoir fait le choix de racheter cet événement?

C’est un bel événement, convivial et utile. Je suis aussi très attaché à ma liberté, et ne garde pas un très bon souvenir de mes sept ans passé à Paris. Je ne suis pas allergique aux villes mais je ressens fortement l’absurdité d’un monde on l’on dessine des univers concentrationnaires en ville, où les gens sont trop nombreux et subissent cette situation, tandis que les campagnes souffrent de pas avoir assez de monde.

L’accueil des nouvelles populations dans les territoires ruraux est devenu un enjeu prioritaire pour les collectivités, qui espèrent voir les mouvements migratoires ville-campagne s’amplifier dans les décennies futures. Quel est ton ressenti sur ce sujet?

D’après les dernières études, sept franciliens sur dix veulent quitter l’Ile de France et ils ont raison. Les conditions de vie se détériorent, les loyers sont aberrants. Alors oui, les collectivités ont raison de déployer des stratégies d’attractivité, parce que cela correspond à une appétence profonde des Français même si rien n’est fait pour aller dans ce sens. Lorsque l’on regarde la répartition de notre réseau de voies ferrées, on se croit encore à l’époque napoléonienne où il fallait centraliser et concentrer le pouvoir, alors que cela ne correspond pas du tout aux aspirations du pays. 

Je ne suis pas allergique aux villes mais je ressens fortement l’absurdité d’un monde on l’on dessine des univers concentrationnaires …

 

Ruralitic fête ses 14 ans. Les enjeux du numériques ont dû évoluer depuis la première édition? D’où est-on parti, et où en est-on aujourd’hui?

crédits photos : Ruralitic

En 2005, lors de la première édition, il y avait 80 personnes. Aujourd’hui ce sont plus de 1200 participants en cumulé sur trois jours ! À cette époque, les élus n’étaient pas sensibles à Internet et au numérique ; ils  considéraient cela comme des «gadgets ».

En 2011, c’est la première bascule : nous réalisons une étude avec l’AMRF qui montre que 97% des maires ruraux voient le numérique comme leur priorité numéro un pour désenclaver les territoires. Ils se disent qu’avec le numérique, ils auront plus d’économie, plus d’école, plus de santé…
La seconde bascule survient quand les collectivités réalisent que le numérique peut être un outil pour promouvoir la qualité de vie en zones rurales. C’est là que l’on voit apparaître les premières campagnes d’attractivité.
Aujourd’hui, nous en sommes à la troisième bascule et c’est d’ailleurs le thème de Ruralitic cette année : Le numérique pour repenser la gouvernance dans les territoires. Auparavant, le maire c’était un peu le chef du village, aujourd’hui il évolue vers une posture d’animateur de territoire. Le numérique permet de faire émerger une gouvernance collaborative où les citoyens sont associés. Claudy Lebreton l’a très bien compris lorsqu’il a dit : «Les citoyens ont changé, ils nous disent : ne faites plus rien pour nous, sans nous.»

Quelles sont tes autres activités?

J’organise les États Généraux des RIP (Réseaux dInitiatives Publiques) à Deauville. On parlera surtout de l’activation de l’ensemble des réseaux numériques haut débit, mais surtout très haut débit ; c’est le rendez-vous annuel des acteurs du Programme France Très Haut Débit. Bien que la France ait pris du retard dans le déploiement au cours des dernières décennies, nous avons embrayé plus rapidement sur la fibre par rapport à nos voisins, ce qui nous donne aujourd’hui un réel avantage. En 2025, la France sera sur le podium des nations connectées d’Europe. 

Parallèlement à ça, je fais aussi du coaching de startup dans la cadre du CES Las Vegas. Mon rôle est de les faire travailler sur leur pitch mais aussi de les protéger, et leur permettre d’accoucher d’uns stratégie qui tienne compte de l’effet d’accélération que le salon va pouvoir leur donner. En cinq ans, j’ai accompagné plus de 150 startups de toutes les régions.

Ton ambition derrière cette activité, c’est de faire comprendre aux startups qu’elles peuvent se développer n’importe où et qu’elles n’ont pas besoin de déménager à Paris? 

La startup dans le super coworking parisien avec une heure et demi de trajet pour s’y rendre, ce n’est plus forcément la panacée. Je pense que les nouvelles générations vont se poser des questions sur ce que j’ai appelé précédemment le caractère « concentrationnaire » des villes. Celles-ci créent de la richesse, mais aussi beaucoup de dépenses. D’ailleurs, ce constat est flagrant avec les dotations de l’Etat aux collectivités : un rural vaut la moitié d’un urbain ! Il y a des charges de centralités. Ça coûte de plus en plus cher de gérer les problèmes émanant de cette concentration.

Quels sont tes liens entre l’écosystème de l’innovation et les territoires auvergnats?

Je suis Président de Bourbonext, l’association des acteurs du numérique dans l’Allier, ce qui me permet de bien connaître le tissu économique local. Mais cette logique d’écosystème est encore une fois très métropolitaine. On ne peut pas plaquer un concept de grandes villes dans une petite commune en partant du principe que ça va fonctionner de la même manière. La ruralité, c’est autre chose.

…cette logique d’écosystème est encore une fois très métropolitaine. On ne peut pas plaquer un concept de grandes villes dans une petite commune en partant du principe que ça va fonctionner de la même manière. La ruralité, c’est autre chose.

Mais alors, comment amener l’innovation en territoire rural? 

J’aime bien cette notion de tiers-lieux, même si j’étais plutôt dubitatif au début ; je voyais ça comme un effet de mode. Pourtant ces initiatives sont fertiles, le tiers-lieu devient un outil d’animation supplémentaire en permettant de tisser des liens dans un écosystème de l’innovation éclaté sur un territoire peu dense.

On entend beaucoup parler de la Civic Tech aujourd’hui, c’est d’ailleurs le thème de Ruralitic cette année. Y-a-t-il des startups qui t’ont tapé dans l’œil? 

Aujourd’hui nous ne sommes pas encore sur un marché mature, on est encore en phase d’expérimentation. L’implication de l’élu est essentielle pour porter des initiatives comme des forums citoyens, des blogs participatifs, des consultations en ligne, etc. Parfois, ça peut être aussi simple qu’une page Facebook ou Wikipedia.

 

Quels sont tes prochains projets? 

La 4ème journée de Ruralitic va s’appeler « Smart Agri » et s’adressera à l’écosystème d’accompagnement des agriculteurs. Nous souhaitons faire évoluer un certain nombre de pratiques pour poser les bases d’une agriculture numérique et durable. La technologie au service de la traçabilité par exemple, ou des nouvelles technologies vétérinaires. Il y a aussi dans les cartons la volonté de créer un incubateur de startup et un centre de ressources accolés au lycée agricole d’Aurillac.  

En Haute Loire, nous travaillons sur un évènement qui s’appellera « Heritech » : Heritage (patrimoine) and Technology. Un forum national à vocation internationale sur l’utilisation des technologies numériques au service de la préservation et de la valorisation du patrimoine. Aujourd’hui, on a 75 millions de visiteurs en France alors comment faire se rencontrer la valeur de notre patrimoine avec les nouvelles formes d’expérience que veulent vivre les touristes : VR, réalité augmentée, les interface tactiles… 

Enfin, à Metz, nous mettons en place le « smart territories forum », sur les modalités de fabrication de smart territoires. Derrière cet anglicisme, il y a la notion d’innovation : Comment inventer des interactions réciproquement profitables entre les métropoles et leurs territoires périphériques?

Pour conclure, y-a-t-il en Auvergne un projet ou une initiative qui t’aurait particulièrement séduit ? 

Ce qu’Olivier Bernasson a fait au départ avec pecheur.com, c’est malin et c’est un super exemple. Voila quelqu’un qui a créé le premier distributeur en ligne de matériel de pêche en Europe, et il a fait ça à Gannat ! Je trouve cette histoire là exemplaire… Je suis d’ailleurs ravi que ce soit lui le président de la French Tech Auvergne.

On lui passera le message alors…


 

Pour en savoir plus :
le site de Ruralitic


Entretien réalisé par Pauline Rivière. Propos synthétisés et réorganisés pour plus de lisibilité par Cindy Pappalardo-Roy.
Visuels fournis par Pauline.

Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)

  • #TerritoireEtDigital – Sébastien Côte est né en Corrèze et a grandi dans une petite ville de 6000 habitants. Il a dont tout de suite été plongé dans la « France périphérique ». La rencontre avec le numérique rural, il l’a doit au Cantal quand Vincent Descoeur décide en 1998 (= création de Google) de lancer le premier programme de développement numérique territorial en France : Cyber Cantal. Ruralitic est né en 2005 comme une réponse aux dérives constatées depuis 1997, après la privatisation de France Telecom où les opérateurs de télécommunications pouvaient installer le Haut-Débit là où ils le souhaitaient, principalement en zones urbaines.
  • #NouvellesPopulations – D’après les dernières études, sept franciliens sur dix veulent quitter l’Ile de France. Les conditions de vie se détériorent, les loyers sont aberrants. Les collectivités ont raison de déployer des stratégies d’attractivité, car cela correspond à une appétence profonde des Français, même si rien n’est fait pour aller dans ce sens. Sébastien ajoute : « Lorsque l’on regarde la répartition de notre réseau de voies ferrées, on se croit encore à l’époque napoléonienne où il fallait centraliser et concentrer le pouvoir, alors que cela ne correspond pas du tout aux aspirations du pays ».
  • #EnjeuxNumériques – Sébastien nous dit qu’au début des années 2000, les élus n’étaient sensibles ni à Internet, ni au numérique. La 1ère bascule a lieu en 2011, quand 97% des maires ruraux voient le numérique comme leur priorité numéro un pour désenclaver les territoires. La 2nde bascule survient quand les collectivités réalisent que le numérique peut être un outil pour promouvoir la qualité de vie en zones rurales. La 3ème bascule a lieu actuellement.
  • #Activités – En plus de son entreprise Ruralitic, Sébastien Côte organise les États Généraux des RIP (Réseaux dInitiatives Publiques) à Deauville. Il fait aussi du coaching de startup dans la cadre du CES Las Vegas ; son rôle est de les faire travailler sur leur pitch et de leur permettre d’accoucher d’uns stratégie qui tienne compte de l’effet d’accélération que le salon va pouvoir leur donner. En cinq ans, il a accompagné plus de 150 startups, de toutes les régions.
  • #ÉcosystèmeLocal – Sébastien est Président de Bourbonext, l’association des acteurs du numérique dans l’Allier. Cela lui permet de bien connaître le tissu économique local. Il ajoute : « Cette logique d’écosystème est encore une fois très métropolitaine. On ne peut pas plaquer un concept de grandes villes dans une petite commune en partant du principe que ça va fonctionner de la même manière. La ruralité, c’est autre chose ».
  • #InnovationEtTerritoireRural – Les initiatives telles que les tiers lieux (espaces de coworking, Fablabs, incubateurs, etc.) sont fertiles et deviennent un outil d’animation supplémentaire en permettant de tisser des liens dans un écosystème de l’innovation éclaté sur un territoire peu dense.
  • #Projets – Il va y avoir la 4ème journée de Ruralitic, la « Smart Agri », qui s’adressera à l’écosystème d’accompagnement des agriculteurs. Existe aussi la volonté de créer un incubateur de startup et un centre de ressources accolés au lycée agricole d’Aurillac. En Haute Loire, Sébastien et son équipe travaillent aussi sur un évènement qui s’appellera Heritech : Heritage (patrimoine) and Technology – un forum national à vocation internationale sur l’utilisation des technologies numériques au service de la préservation et de la valorisation du patrimoine. À Metz, ils mettent en place le « smart territories forum », sur les modalités de fabrication de smart territoires.

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.