Au cœur de Clermont-Ferrand, un projet d’envergure, soutenu par de nombreux partenaires, entend renforcer la filière maraîchère locale. La légumerie d’Auvergne promet de bousculer les codes du maraîchage en alliant coopération locale et innovation industrielle. À la croisée des enjeux sociaux, environnementaux et agricoles, cette initiative vise à structurer durablement la production locale, tout en offrant de nouveaux débouchés aux maraîchers de la région. Un pari ambitieux pour réconcilier industrie et agriculture, en plaçant le territoire au centre des solutions.
Pouvez-vous revenir sur votre parcours et nous expliquer ce qui vous a mené à lancer ce projet aujourd’hui ?
Olivier Morel : Je consacre la moitié de mon temps à l’association les Pistes Vertes, qui a pour but de végétaliser la ville de Clermont-Ferrand. Avec Michelin qui nous soutient sur les projets du Quartier des Pistes ou la métropole sur la place de Regensburg, l’association cherche à développer des projets à caractère associatif, environnemental et d’insertion comme des jardins partagés ou d’autres initiatives comme celle de la Légumerie.
Jérémy Alves : J’ai rencontré Olivier lors de réunions publiques en mars 2022. Nous avons commencé à réfléchir sur le projet du quartier des Pistes à Cataroux et l’installation d’une ferme Ceinture Verte une fois le quartier réhabilité. Finalement, les coûts et l’impact de cet aménagement étaient trop loin de nos objectifs environnementaux et financiers, et nous avons abandonné l’idée.
Dans nos échanges autour de cette ferme, j’avais beaucoup discuté avec Olivier des besoins de structuration de la filière maraîchère et des outils qui manquaient à cette filière. Olivier a tout de suite eu le déclic, en se disant que cela correspondait à sa démarche d’insertion et de lien avec l’agriculture. Ainsi, nous avons commencé à travailler ensemble sur un projet de légumerie sur le quartier des Pistes dès 2022. (Voir l’interview vidéo de Jérémy Alves)
Vous parlez de structurer la filière maraîchère. Selon vous, quels sont les maillons faibles qui freinent son développement actuellement ?
Jérémy : Aujourd’hui, on a des agriculteurs qui se sont structurés en groupements ou en associations de producteurs pour atteindre de nouveaux marchés. Néanmoins, nous avons constaté que le maillon de la transformation restait un point de blocage entre producteurs et consommateurs, notamment pour la restauration collective, qui est un marché important.
Nous avons eu une opportunité que nous avons su saisir. La Ceinture Verte Pays d’Auvergne s’est mise en consortium pour déposer un projet dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt de la Banque des Territoires.
L’objectif était de porter des projets de démonstrateurs territoriaux sur cinq départements, là où étaient présentes les coopératives Ceinture Verte. L’idée était de permettre aux acteurs locaux de mener des actions innovantes pour soutenir la filière maraîchère, que ce soit en production, en transformation, en formation, etc. En Auvergne, six projets ont été sélectionnés dans le cadre de ce démonstrateur, dont le projet Légumerie.
Quel est le dimensionnement du projet et quelles seront les activités principales ?
Olivier : Pour expliquer simplement le fonctionnement d’une légumerie : les légumes arrivent, on les nettoie, on les désinfecte si nécessaire, selon les normes sanitaires, on les épluche, on les découpe, puis on les conditionne. Il est important de comprendre que cette gamme 4 représente environ 10 % de la consommation totale de fruits et légumes du territoire.
Jérémy : Lorsque l’on a réalisé l’étude d’opportunité, on a réalisé un benchmark sur les légumeries semi-industrielles. Ce qu’il a révélé, c’est que la majorité de ces initiatives étaient des échecs économiques. Soit ces projets étaient sur subventionnés par les collectivités – quand il s’agissait d’outils publics – devenant alors des gouffres financiers, soit les structures privées fermaient après quelques années, ou rencontraient de grosses difficultés financières.
Nous avons travaillé avec des ingénieurs de Michelin et les conseils d’industriels de l’agro-alimentaire qui nous ont permis d’identifier des leviers à activer pour rendre ces outils performants, viables et pérennes à long terme. Le but, à travers ces leviers d’innovation, est d’évaluer la faisabilité d’un modèle semi-industriel nouveau pour les légumeries. Si cette étude de faisabilité s’avère concluante, la phase suivante serait celle du prototype et de test en conditions réelles.
D’après vos recherches, pourquoi les projets similaires peinent-ils à être rentables, malgré une demande évidente en légumes ?
Jérémy : Plusieurs leviers expliquent ces échecs. D’abord, il y a souvent un problème d’investissement initial. Beaucoup de projets surinvestissent dès le départ dans des lignes de production surdimensionnées, en anticipant des volumes importants. Résultat : les coûts d’amortissement deviennent très élevés et difficiles à rentabiliser. Ensuite, il y a un manque de modularité entre les productions de la phase de démarrage et la montée en puissance de l’atelier. Ce décalage rend la montée en régime difficile à gérer. Enfin, les chaînes de production ne sont souvent pas optimisées, ce qui affecte la rentabilité.
Vous évoquez également des enjeux sociaux et environnementaux. Comment ces objectifs s’intègrent-ils dans votre projet ?
Olivier : Il y a un enjeu social et environnemental. Nous avons toujours voulu intégrer un volet d’emploi en insertion par le travail. Nous cherchons à créer une coopérative d’intérêt collectif, qui soit au service de la stratégie alimentaire territoriale, notamment à travers la restauration collective. Par ailleurs, cette entreprise portera aussi des valeurs sociales. En effet, elle sera implantée dans un quartier situé au confluent de quatre quartiers prioritaires de la ville : La Gauthière, Croix-Neyrat, Les Vergnes et La Plaine.
L’autre enjeu, c’est celui de la résilience environnementale. Nous voulons un modèle économiquement pérenne, mais aussi respectueux de l’environnement.
Sur le quartier des Pistes, l’atelier fonctionnera uniquement avec de l’électricité photovoltaïque. Il y aura également trois hectares de parc, ce qui nous permettra de composter les déchets issus des épluchures des légumes directement sur place.
En quoi votre approche diffère-t-elle des autres projets de légumerie que vous avez étudiés ailleurs en France ?
Olivier : Une de nos principales innovations, c’est d’avoir mis autour de la table tous les acteurs de la chaîne de valeur lors de l’étude de faisabilité les producteurs, l’atelier et ses salariés, les cuisines collectives publiques ou privées. L’idée, c’est de repenser entièrement le partage de la chaîne de valeur, pour intégrer la légumerie dans une dynamique globale, allant du producteur jusqu’au client final.
Vous parlez d’une coopérative semi-industrielle. Pour mieux comprendre, de quels volumes de production parle-t-on concrètement ?
Jérémy : L’objectif est de transformer entre 700 et 1 500 tonnes de légumes par an. Pour vous donner un ordre d’idée, aujourd’hui, Auvabio commercialise environ 200 tonnes de légumes par an, et 63 Saveurs tourne autour du même volume. Ces deux structures pourraient facilement doubler leur production si elles avaient les capacités nécessaires en face. L’idée derrière la légumerie, c’est d’ouvrir un nouveau marché et de consolider les installations ou le développement de nouvelles structures maraîchères.
Olivier : Au démarrage, il est évident que nous ne pourrons pas nous appuyer uniquement sur des légumes du département du Puy de Dôme. L’idée est de contribuer progressivement à la montée en puissance du local. On veut commencer directement avec une force de frappe suffisante, en associant à la fois les producteurs locaux et ceux des départements voisins, y compris pour les fruits. Cette approche permet de sécuriser les débouchés dès le début et d’éviter que producteurs et clients se retrouvent bloqués dans une impasse.
C’est souvent un cercle vicieux : les clients réclament du local, mais les producteurs hésitent à produire sans marché garanti. Et de l’autre côté, les producteurs attendent d’avoir un engagement solide des clients avant d’investir. Notre stratégie est donc de sécuriser d’abord les débouchés sur des volumes significatifs, puis de renforcer progressivement la part du local jusqu’à viser 100 %. Il faut faire avancer les deux simultanément pour que le modèle fonctionne.
Une fois l’étude de faisabilité terminée, quelles seront les prochaines étapes concrètes pour lancer cette légumerie ?
Olivier : Si la faisabilité est validée au cours de ce semestre, on passera à l’étude détaillée. On définira précisément la forme de l’atelier, l’emplacement des machines, la capacité des réseaux pour l’eau, les évacuations, etc. Puis, nous passerons à la phase d’investissement, car nous allons réutiliser un premier niveau d’un bâtiment existant. Nous installerons enfin les machines, puis on lancera l’activité. On peut estimer qu’il faudra environ 18 personnes pour démarrer.
Ce projet est ambitieux, avec des enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Personnellement, qu’est-ce qui vous anime le plus dans cette aventure ?
Olivier : Personnellement, ce sont les trois valeurs principales du projet qui m’animent : la résilience environnementale, le caractère social et la viabilité économique. Si nous réussissons à trouver cet équilibre, je pense que nous aurons contribué à développer une stratégie locale réellement résiliente.
Jérémy : En tant que directeur de la coopérative Ceinture Verte Auvergne, mon objectif est de travailler à la structuration de la filière agricole, avec nos partenaires, pour que notre territoire devienne un modèle d’innovation et puisse inspirer d’autres projets à l’échelle nationale.
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