Le partage de l’espace urbain est un sujet qui génère des tensions au sein de la société française. Cette problématique touche également les professionnels. Comment continuer à livrer en centre-ville si les accès sont de plus en plus limités ?
La lutte contre le réchauffement climatique et la congestion des centres-villes est au centre des débats. Ici et là, des entreprises et start-ups s’emparent de ce sujet.
C’est le cas d’Urby, filiale de la Poste, spécialiste du premier et du dernier kilomètre. Magali Detrille, sa directrice, partage avec nous les défis de la logistique urbaine de demain.
Avant de parler des enjeux de la logistique du dernier kilomètre, pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Magali Detrille, Directrice Générale Urby Clermont-Métropole : J’ai toujours vécu en Auvergne. Après mon bac, j’ai intégré une école d’ingénieur ; que l’on appelle aujourd’hui Polytech, avec une spécialisation en gestion production qualité. J’ai ensuite entamé un parcours industriel avec l’entreprise Otic Fischer et Porter. Finalement, j’ai quitté l’entreprise pour rejoindre le Groupe la Poste. J’ai alterné pendant 30 ans entre des activités fonctionnelles et opérationnelles.
Après avoir été directrice d’établissements courrier et colis dans le Puy-de-Dôme, j’ai dirigé celui de la ville de Clermont-Ferrand. En 2017, j’ai ajouté une nouvelle corde à mon arc en tant que “cheffe de projet logistique urbaine » pour le groupe La Poste. Nous avons travaillé avec la ville et la Métropole pour définir une zone de circulation propre à Clermont-Ferrand.
J’ai également approfondi le sujet de la logistique urbaine avec une expérience sur la plateforme industrielle courrier d’Auvergne. C’est là que j’ai appris ce qu’étaient réellement le transport et la logistique ainsi que le concept de “concentration-dispersion”. J’ai trouvé ces sujets passionnants.
C’est pour cela que j’ai tout naturellement accepté la proposition de devenir Directrice Générale d’Urby sur la Métropole Clermont Auvergne. Le projet combine deux sujets qui sont importants pour moi : la circulation propre et la logistique urbaine.
Justement, parlez-nous un peu d’Urby. C’est une filiale un peu spéciale du Groupe la Poste qui s’empare de l’épineux sujet de la logistique urbaine.
La Poste et La Banque des Territoires sont les principaux actionnaires. La filiale Urby, c’est la suite logique de la démarche de La Poste. Vous ne le savez peut-être pas, mais sur Clermont-Ferrand, La Poste est en émission propre depuis 2013 pour la partie courrier et colis.
Urby, c’est la déclinaison de cette stratégie sur la partie logistique et messagerie à destination des professionnels.
Vous revendiquez le côté start-up d’Urby, que voulez-vous dire par là ?
Magali Detrille : Urby est née en 2018, avec comme volonté de se développer en mode start-up, de manière agile, avec une rapidité de mise en œuvre pour répondre au mieux à nos clients. Au niveau national, il existe 21 Urby, dans les 20 métropoles ainsi que Saint-Etienne.
Nous sommes spécialisés dans le premier et dernier kilomètre avec des véhicules à faibles émissions, gaz et électrique. L’objectif est le même pour tous les Urby de France. Nous devons absolument diminuer le nombre de camions qui entrent à l’intérieur des villes et qui les engorgent. Pour ce faire, nous avons un centre de mutualisation en périphérie des villes, pour Clermont Ferrand, il se trouve à Gerzat.
Nos clients transporteurs amènent leurs marchandises, nous nous engageons à les décharger en 20 minutes. Ensuite, on optimise les livraisons. Par exemple, il arrive fréquemment que deux transporteurs doivent chacun livrer une palette pour un même client en centre-ville.
Donc, aujourd’hui, on peut avoir plusieurs camions qui vont chacun livrer une palette de produits au même magasin en centre-ville ?
Oui. Il y a un chiffre très parlant. 70 % des camions qui entrent dans les centres-villes sont remplis à 25 %. Ce mode de livraison n’est pas rentable pour le transporteur et, c’est une perte de temps pour le client final qui doit gérer des livraisons multiples.
Comment évaluez-vous l’impact qu’Urby peut avoir sur la logistique urbaine et sur la réduction des émissions ?
Cette année, la filiale Urby a travaillé avec le cabinet conseil en RSE, Goodwill Management afin de modéliser nos systèmes de livraison à l’aide d’indicateurs. Les premiers résultats sont encourageants. Là où opère un Urby, on diminue de 28 % les distances parcourues, il y a moins 20 % GES, moins 18 % de nuisances sonores, moins 30 % de congestion, et moins 60 % d’émissions de polluants.
Quels sont les indicateurs RSE pris en compte pour aboutir à ces résultats ?
Magali Detrille : Le cabinet de conseil regarde le nombre de kilomètres parcourus en une année, le nombre de véhicules en propre et en thermique, etc. La mise en œuvre a été longue puisqu’il a fallu paramétrer nos systèmes informatiques. Grâce à cela, nous avons fait un calcul en continu. Tout au long de l’année, nous pouvons suivre au jour le jour notre impact sur la Métropole de Clermont-Ferrand.
Qui définit la stratégie d’Urby ? Comment se fait la prise de décision ?
Il y a une obligation partagée par tous les Urby de France. Nous devons distribuer en propre, travailler la mutualisation et développer la logistique urbaine. Quand on parle de logistique urbaine, il s’agit de services de proximité, de stockage, de préparation de commandes et de livraisons.
Ensuite, chaque Urby est autonome dans la mise en œuvre de la stratégie. Nous gardons cependant les mêmes grands principes, le premier et dernier kilomètre en propre et un Etablissement de Logistique Urbaine, au plus proche du centre-ville.
On connaît toutes et tous le terme “logistique du dernier kilomètre”, en revanche « le premier kilomètre »… de quoi parle-t-on ?
Une fois que les véhicules ont livré la marchandise, il faut éviter qu’ils repartent à vide. On propose aux transporteurs et aux clients de récupérer des produits et leurs déchets. C’est ce que l’on appelle “la reverse logistique”.
Urby existe depuis 4 ans à Clermont-Ferrand ? Est-ce qu’Urby est en croissance ? Combien avez-vous de salariés ?
Magali Detrille : Nous sommes satisfaits de nos résultats. On est sur une évolution positive et permanente de notre CA. Aujourd’hui, nous sommes 8 salariés et nous allons continuer à recruter dans les prochains mois. Les personnes qui travaillent pour Urby ont des profils motivés et sont très sensibles à l’environnement.
Pour poursuivre notre développement, nous devons faire beaucoup de pédagogie. Nous devons expliquer à nos clients ce que l’on fait et pourquoi on le fait. La RSE, tout le monde en entend parler, mais personne ne sait vraiment ce que l’on met derrière.
Il y a l’aspect RSE, mais également réglementaire non ? À un certain moment, les entreprises vont être contraintes de repenser leurs modèles non ?
Oui, en effet, chaque métropole devra avoir une ZFE, une zone à faible émission d’ici 2025. Cela signifie que seuls les véhicules à faible émission pourront entrer dans cette zone. Chaque Métropole sera libre de fixer les critères et les modalités d’accès dans sa ZFE. Nous, Urby, nous visons le “0” émission donc crit’1.
Vous parlez de 2025, est-ce qu’il existe d’autres réglementations en cours ou à venir ?
Magali Detrille : Depuis 2016, les entreprises, commerces et administrations ont l’obligation de trier à la source 5 flux de déchets (papier, métal, plastique, verre et bois). Il reste encore pas mal de travail à faire à ce sujet.
Au niveau local, nous travaillons avec une entreprise de recyclage. Nous avons lancé une action auprès des professionnels pour pouvoir récupérer leurs flux, et les faire recycler par une entreprise spécialisée.
Il faut vraiment travailler cette filière. Aujourd’hui, c’est nous qui allons vers les professionnels. Ils n’ont pas encore le réflexe de prendre en main ce sujet même s’ils sont conscients de la nécessité de s’engager dans une démarche RSE.
Pour offrir des solutions aux professionnels pour la logistique urbaine, il n’existe pas une seule réponse. Vous avez une flotte très diversifiée, c’est indispensable pour être pertinent ?
Oui. Nous avons une flotte très diversifiée qui nous permet d’apporter une solution à chaque situation. Nous avons trois poids lourds, deux au gaz et un thermique. Le thermique, c’est une obligation pour les livraisons excentrées, pour avoir une alternative en cas de panne. Nous possédons également deux 13 m3 GNV, 3 vélos électriques et un Kangoo électrique/hydrogène.
C’est cette diversité qui séduit nos clients et prospects. D’ailleurs, nous travaillons avec le Fédération Française du Bâtiment pour réfléchir ensemble sur la meilleure manière d’alimenter leurs chantiers en centre-ville.
À partir de 10 heures au centre-ville de Clermont-Ferrand, on ne peut plus livrer qu’à vélo. Si nous voulons limiter le nombre de véhicules qui entrent dans la ville, il faut s’organiser un minimum.
C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?
Magali Detrille : Un des enjeux de demain pour les professionnels est la possibilité d’offrir une traçabilité efficace des marchandises. Urby a mis en place “un transport management system” qui permet à chaque client qui nous laisse ses produits d’avoir un tracking de la marchandise jusqu’à la livraison. Nous sommes assez fiers de cette innovation.
Dans la tête de Magali
Ta définition de l’innovation : oser, créer, proposer des idées ou des solutions nouvelles mais cohérentes avec la réalité et le futur
Une belle idée de start-up : c’est une entreprise innovante qui devient une entreprise référente.
La start-up qui monte : Nous
Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info ? : auprès de mes collaborateurs, de nos cousins, “le Groupe la poste” et surtout auprès de mes clients qui sont la première source d’inspiration pour l’évolution d’Urby
Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : “Urby c’est l’école de Vie” écouter les autres, c’est comprendre et apprendre
Une recommandation pour rire (livre, podcast, magazine, série) : le rire a un impact positif sur le moral et donc la santé, je recommande de prendre le temps pour rire avec son équipe.
une femme qui t’inspire/experte : Simon Veil, féministe, déterminée et qui a porté la libération de la femme dans tous les domaines
L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : Coco Chanel, c’était une créatrice innovante et très classe.