Philippe Laurent a créé son entreprise en 1987, avant, bien avant, l’ère de la Start Up Nation, du pitch, des licornes et des levées de fond … !
Rencontre avec cet homme qui a le territoire et le collectif chevillés au cœur.
Pileje, aujourd’hui – 3I Nature hier, LPH avant hier- c’est une entreprise indépendante, un chiffre d’affaire de 170 Millions d’€, 650 salariés, plusieurs sites en France dont un à St Bonnet de Rochefort dans l’Allier, installé au cœur du Naturopole (lire notre article à ce sujet prochainement)
Thomas Edison disait « Je n’ai pas échoué. J’ai simplement trouvé 10.000 solutions qui ne fonctionnent pas», on aimerait connaître l’envers de ton décor, tes 10000 solutions qui n’ont pas fonctionné
Si on reprend les étapes clés du parcours d’entrepreneur, est ce que tu as des anecdotes de ratage à partager sur :
Tes premiers pitchs, par exemple ? Tu te souviens de situations particulièrement cocasses ou gênantes ? Qu’est ce que tu as appris ?
J étais pharmacien et je voulais travailler dans l’Allier, dans le village de mes grands parents, je n’avais pas tellement d’alternatives : il fallait que je crée mon emploi, j’ai crée une activité de préparations magistrales à base de plantes pharmaceutiques pour les officines . A cette époque, il n’y avait pas de lieu ou d’occasion pour présenter son projet : on allait voir directement le client. La journée j’allais voir les pharmaciens et la nuit je fabriquais ! Mon souvenir qui pourrait s’apparenter à un pitch raté c’est une fois où je me suis pointé chez un pharmacien un jour de marché, je n’avais pas du tout la notion d’écoute client, je me suis fait virer ! C’était ma première leçon de commerce, j’ai appris à mieux écouter pour mieux connaître mes clients avant de me lancer.
Ton premier rdv avec un banquier, bon ou mauvais souvenir ? et maintenant, comment tu l’abordes ?
Je m’en souviens très bien ! Je lui ai présenté mon projet et la construction de ma première usine. J’avais chiffré le besoin à 800k (Francs) mais je ne demandais que 300KF. Il m’a demandé comment j’allais financer le delta: quand je lui ai expliqué que je voulais faire ce projet à St Bonnet, et qu’il ne me coûterait pas 800K parce que l’usine j’allais la construire moi même, avec mes copains, j’ai serré les dents et … il a signé !
Ton premier client est ce que tu t’en souviens précisément ? genre son nom, la date, la commande ? Est-ce que tu y repenses parfois ? Tu as un truc pour penser client ?
Oui, je me souviens d’un premier client important avec une histoire assez drôle. J’avais rendez-vous avec un petit laboratoire pharmaceutique à qui je proposais de sous traiter la production d’un complément alimentaire à base de plantes. Pour travailler pour un laboratoire pharmaceutique, j’avais dû obtenir un agrément. Sur une usine construite soi même, c’était un exploit ! Pour honorer ce marché, il me fallait investir dans une machine spécifique mais je ne pouvais acheter la machine qu’une fois que j’avais la commande. Le client venait m’auditer très vite, j’ai dû aller chercher la machine avec la camionnette d’un copain et j’ai fait les tests toute la nuit pour être au point pour l’arrivée du client ! Ça a marché mais tous les échantillons de test que je lui ai montré étaient datés de la nuit précédente … il n’a pas fait attention !
Ton premier gros conflit professionnel, c’était ? comment tu gères maintenant ?
Alors oui, je m’en souviens très bien aussi parce que cela a été douloureux. C’était avec une personne qui m’avait accompagné au départ, un gros bosseur, qui faisait autant que moi, quelqu’un avec qui j’avais traversé tous les moments clés de l’aventure, les bons comme les mauvais… et je l’ai nommé responsable d’équipe, je trouvais qu’il le méritait.
En fait, je l’ai mis en échec, je n’avais pas vérifié ses capacités et ses compétences de manager, ni penser à le former !
Au début je n’étais que pharmacien et enthousiaste, il faut passer de bon technicien à bon chef d’entreprise et manager.
Ton premier recrutement, bon choix ou cata ? comment tu t’y es pris ? Aujourd’hui, vous êtes combien ? Une astuce
Le conseil c’est de s’assurer des compétences métiers, certes, mais il faut réfléchir à l’évolution du poste sur lequel la personne est recrutée, la montée en puissance, le coup d’après, et 3ème point, l’envie !
En fait, il faut vendre le projet d’entreprise et on voit vite si la personne adhère, si elle est vraiment réceptive : ça se fait dans l’échange, dans ta capacité à transmettre. C’est la démarche chère à Jean Dominique Senard : faire vivre l’entreprise comme un projet dans lequel chaque partie prenante puisse participer et mettre son énergie.
Ton premier pivot ?
Nous n’avons jamais pivoté, nous sommes, encore aujourd’hui, sur les réponses naturelles aux besoins de santé des patients. J’ai appris avec les relations avec les acteurs de la recherche, avec les clients, avec les équipes. Il faut être à l’écoute, pour consolider sa vision et faire évoluer la manière dont elle est conduite. Il faut être capable de mobiliser les parties prenantes, d’être l’animateur de l’ensemble dans son projet. Nous avons développé notre capacité à détecter en amont les facteurs de risques de maladies chroniques et élargir notre spectre de réponse via une offre de santé pertinente qui elle, reste toujours la même.
Ta première grosse rentrée d’argent ? tu l’as claquée ou investie ?
Dans notre cas, je m’en souviens aussi parfaitement : nous avions décroché un très gros contrat avec un très gros laboratoire très connu, sur un produit très à la mode à l’époque. Il nous passait commande par lot de 3 millions de gélules, à 330 000 € le million, soit près d’1 million de francs la première commande. Je dois reconnaître que j’appréciais assez d’aller amener mes traites au banquier, et de faire semblant de demander naïvement si le client lui semblait assez fiable !
Cette entrée d’argent, je l’ai investie dans du matériel neuf et performant pour fabriquer alors qu’on travaillait avec de l’occasion: il fallait être plus mécano et soudeur que pharmacien ! Je crois que c’est le propre de l’entrepreneur, en général, le moteur est de donner corps au projet dont on rêve, pas de rouler en Porsche.
Ton premier salon international, sympa ou affreux ? la chose la plus importante à avoir en tête avant de partir ?
c’était Dietxpo à Paris, je le pensais international, je l’avais très mal préparé, j’y suis allé la fleur au fusil. En fait je n’ai vu que des clients français, qui ne collaient pas avec mon offre ; Je n’avais pas pris la peine de vérifier avant le profil des visiteurs. Par la suite, j’ai appris à bien analyser, à fixer des objectifs clairs, à cibler marché, offre, typologie de clients…
Ta première pensée chaque matin ?
La vie est une chance !
Ta première envie de t’enfuir ?
Je n’ai jamais eu envie de fuir, vraiment !
Pour moi, il n’y a pas de cause perdue, seulement des gens sans passion.
Ton premier signe de reconnaissance
Ma vie est construite autour de mes 2 passions la médecine de santé et le territoire; mon premier symbole ça a été la labellisation Pole d’excellence milieu rural du Naturopôle.
Et, si on va au delà, mon élection comme « Auvergnat de l’année » !
Ton premier gros flip
J’avais lancé mon activité de préparations magistrales à base de plantes depuis à peine deux ans, quand elles ont été déremboursées oar la sécurité sociale, en 1989. Nous avons perdu 60% de notre Chiffre d’Affaire en 2 mois. Nous avions déjà 15 salariés. J’ai passé une période durant laquelle j’ai assez peu dormi…
On a réussi à rééquilbrer en 4 mois: en fait, le pivot, il a été à ce moment là, nous n’avons pas changé notre métier mais par contre, complètement revu le profil de nos clients. Nous nous sommes repositionnés sur le faconnage en sous traitance pour des laboratoires pharmaceutiques (au lieu de nous adresser directement aux officines). Aujourd’hui, (20 ans après) nous avons re-developpé notre marque qui représente 55% de notre chiffre d’affaire grâce à l’innovation permanente et un mix produits et services.
Ta première levée de fonds, c’était quand ? Et tu la referais pareil ?
Alors, des levées de fonds, nous n’en avons pas fait, par choix pour préserver l’indépendance, la génétique de l’entreprise, sa pérennité. Cela ne nous semblait pas compatible avec une logique de fond de pension, dont l’objectif est de rentabiliser. Pour moi, la première ambition d’un entrepreneur doit être de pérenniser ce qu’il a fait. Pour ce qui nous concerne (Pileje), nous avons un pacte d’associés dans lequel nous avons écrit que nous ne vendrions pas, nous voulons transmettre l’entreprise avec son sens et ses valeurs
Même logique pour le Naturopole, nous devons agir pour préserver la pérennité des salariés qui se sont installés et les investissements des collectivités. Après le passage de la loi Notré (qui a ôté ses prérogatives aux mairies), il faut un nouveau tandem : la communauté de communes et l’un des acteurs du parc, légitime et engagé (c’est à dire qui ne fasse pas de politique, ne soit pas clivant, qui reste axé sur un objectif d’entretien de la dynamique économique en environnement préservé). Nous oeuvrons à trouver à qui passer le témoin pour entretenir cette belle ambition.
Ton premier partenaire ? Tu l’as choisi ou trouvé comment ?
Au départ, je voyais les pharmaciens autour de chez moi, j’ai ensuite été chercher des associés en Auvergne Rhône Alpes et à Paris pour constituer une centrale d’achat et mutualiser nos moyens. Aujourd’hui, cette approche de partage des effets d’expériences est plus répandue et encouragée.
Quand l’entreprise s’est recentrée sur les laboratoires, nous avons cherché des partenaires et le rapprochement avec le laboratoire Pileje et en particulier Christian Leclec, médecin s’est fait. On partageait passion et militantisme sur la médecine de santé. Pour moi c’est ça la base d’un partenariat solide : partager la vision, l’ambition, les valeurs. Il faut du sens et c’est ce qui rend efficace le développement d’une entreprise, la vision à long terme.
Ton premier cadeau à toi même
Mon premier bateau !
J’ai une passion pour la mer, la vraie, l’Atlantique! C’est aussi un milieu de passionnés, un milieu où on ne triche pas, humble, exigent, porteur d’un grand respect pour la nature.
Ton premier fan?
Jean Dominique Sénard ! J’apprécie l’homme, sa vision de l’entreprise, des hommes qui doivent accompagner la démarche, son engagement pour le territoire quand il était là. Pour moi, il incarne ce que devrait être toujours être un entrepreneur.
Aaahh ! qui serait fan de moi ?
… certainement mon père. Sans me le dire, on ne dit pas trop ces choses là …
Pour conclure ?
Avec le temps et les rencontres, j’ai réussi à construire la vie que j’aime, en équipe, avec plein de projets qu’on imagine en rêvant les yeux ouverts, jamais loins de la santé, de la nature et de nos territoires.
Parfois ça a été dur, c’est certain, mais aujourd’hui, je me sens en cohérence. C’est qui me fait dire que la vie est une chance !