Entretien / Raphaël Poughon révolutionne les médias

Entretien / Raphaël Poughon révolutionne les médias

Par Damien Caillard
et Cindy Pappalardo-Roy

Si on aime le « vintage », on reconnaîtra l’ancien présentateur du JT de Clermont Première. Si on est plus porté sur l’écosystème actuel, on trouvera facilement Raphaël, entre le Bivouac, Epicentre et le Lab Centre-France qu’il anime depuis 2014. Aujourd’hui, ce journaliste passionné d’innovation a participé à la « mue » du Lab – l’entité interne au groupe de presse et dédiée au changement – en un incubateur média, la Compagnie Rotative. C’est selon lui le levier principal à activer pour transformer les médias.


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Comment es-tu arrivé dans le monde des médias ?

J’ai toujours adoré raconter les histoires des gens et toujours dans une vraie proximité : je n’ai jamais été attiré par l’investigation ou le grand reportage. Ce qui me plaisait et me plaît toujours – c’est le fil rouge de tout ce que je fais – c’est de rencontrer des gens, de découvrir ce qu’ils ont à dire, de m’en inspirer ou au contraire de m’en défaire, et de partager ces histoires !

Quel est ton parcours étudiant ?

Dès que j’ai pensé à faire un métier (sachant que je ne me projette rarement à plus de six mois), j’avais envie De mémoire, le premier (et le seul) métier que j’ai toujours voulu faire était journaliste. Alors j’ai fait des stages dès le lycée dans différents canards locaux – le Semeur Hebdo, La Montagne – puis Sciences Po Lyon qui me permettrait de faire du journalisme après, mais aussi d’avoir la méthode et l’ouverture d’esprit pour mieux comprendre les gens que je souhaitais découvrir. Aujourd’hui je ne me définis pas comme journaliste, mais plutôt comme un agitateur d’idées dans le monde des médias. 

À l’espace de coworking Épicentre Factory, à l’occasion d’une journée Open Inno organisée par La Poste.

Quelle a été ta première expérience professionnelle ?

À la fin de Sciences Po, j’ai fait mon semestre d’immersion à Clermont Première, la télévision locale du groupe Centre France. Je me souviens y avoir été la première fois aux législatives de 2001, juste pour donner un coup de main : je portais les chiffres imprimés sur papier jusque sur le plateau. C’était magique ! Ensuite, j’ai goûté à tous les métiers, portant les pieds de caméra et les micros, assistant le chef plateau, etc. Je bossais aussi régulièrement à la pige, j’ai appris le métier comme ça. J’ai ensuite postulé à l’Institut Pratique du Journalisme (IPJ), une formation journalistique par apprentissage : j’étais le seul à vouloir bosser dans une télé locale de province plutôt qu’une grande radio ou télé parisienne… C’était finalement pour l’IPJ un plus, le goût de défendre l’info de proximité. 

« J’ai goûté à tous les métiers, portant les pieds de caméra et les micros, assistant le chef plateau, etc. J’ai été salarié de Clermont Première pendant dix ans. »

J’ai été salarié de Clermont Première pendant dix ans. Pour moi, c’était hyper important de faire tous les jobs dans la chaîne, dont la présentation du journal télévisé et responsable de la rédaction, jusqu’à la direction de la chaîne. C’était une opportunité pour explorer l’innovation au sein de la chaîne, notamment via le numérique. Je pense que le numérique n’est qu’un levier au service d’une transformation nécessaire.. L’innovation n’est pas non plus un but : c’est pour moi un moyen de donner plus de sens à ce que l’on fait.

Passionné de vidéo et de journalisme mobile (« mojo »), Raphaël découvre le montage de l’ami Damien Van Achter, agitateur belge des médias.

L’innovation, cela concerne aussi les médias ?

Les médias sont dans un moment difficile, et ce depuis plusieurs années. Je n’ai pas de réponse sur l’endroit où on doit aller, mais plutôt des croyances sur le chemin que l’on peut suivre : comme beaucoup de secteurs, on avait pendant longtemps bénéficié d’une période d’abondance, et on se remettait difficilement en question. Cette attitude, face à un monde qui bouge très vite, nous conduit aujourd’hui au pied du mur.  En plus, le journaliste exerce un métier de “sachant”, qui peut avoir du mal à admettre qu’il n’a pas toutes les cartes en main ou parfois accepter l’idée qu’il faut remettre le lecteur, le client au centre. C’est en tout cas ma conviction. Et c’est souvent surtout un problème de culture d’entreprise. C’est avec les gens qu’on fait bouger les choses. Et c’est aussi comme ça que je vois l’innovation.

D’où la création du Lab Centre-France…

Il a été créé en 2014. C’était assez salutaire, car je ne voyais pas vraiment bouger les choses, et je me suis dit qu’on allait enfin prendre le temps, avoir un peu de moyen pour avancer ensemble! Je me suis embarqué dans un truc dont – dès le début – le concept était d’essayer des choses, de regarder ce qui se fait ailleurs, de ne plus se regarder le nombril. Le Lab n’était pas fait pour gagner de l’argent, mais il allait essayer de faire bouger les lignes. Cette prise de conscience s’est renforcée au fil des ans : le groupe Centre-France est riche d’énormément de talents, porté par les gens, et c’est entre autres  le rôle du Lab que des les animer, il faut savoir identifier les gens qui veulent avancer, et les accompagner.

Raphaël avec son collègue Quentin Jaud, (et leurs poissons rouges) au sein de l’Atelier du Lab, au siège du groupe Centre France.

Quelle est la réalisation principale du Lab en interne, selon toi ?

La plus emblématique, pour moi, est “Bonjour” : la plateforme de réseau social interne qui a remplacé l’ancien intranet, et qui a été co-conçue avec tous les métiers du groupe. On a rassemblé des gens de tous secteurs, de tous niveaux, de toutes origines géographiques et on a organisé plein d’ateliers avec eux, en utilisant des méthodes de Design Thinking. À la sortie du dispositif, on a insisté sur le fait que l’outil allait tout le temps bouger, car il était censé être le témoin de l’évolution des usages dans la société.

« On a rassemblé des gens de tous secteurs, de tous niveaux, de toutes origines géographiques et on a organisé plein d’ateliers avec eux. »

Par exemple, on a créé quelques communautés au début, mais très peu : on a dit aux utilisateurs qu’ils allaient les créer eux-mêmes. Aujourd’hui, après dix mois de fonctionnement, on en est à une trentaine de communautés, qui correspondent toutes à un usage, allant de sujets sérieux comme la gestion de la paie à l’organisation d’une sortie running. Et pour nous, c’est un super outil au service de la transformation ! Par exemple, les membres de la communauté “paie” ont profité de l’occasion pour digitaliser beaucoup de leurs pratiques, de leur organisation, de leur communication,, ce qu’ils n’auraient pas forcément fait aussi rapidement sans “bonjour”. . En plus, cela favorise la communication transversale.

Et hors du périmètre du groupe ?

L’innovation ouverte, en externe, est le deuxième pilier fort du travail du Lab. On va voir ce qui se passe ailleurs, mais aussi faire, co-créer. On participe à des journées ouvertes, des initiatives d’innovation, dans le monde de la presse mais pas que : par exemple, on a travaillé avec la Poste, GRDF, Épicentre Factory ; c’est là où je suis allé chercher Quentin Jaud, mon collaborateur. Il avait un regard différent, celui d’un entrepreneur collaboratif. 

« L’innovation ouverte, en externe, est le deuxième pilier fort du travail du Lab. Pour nous, il est plus que nécessaire d’aller à l’extérieur et vers le territoire auquel on est très attaché. »

Pour nous, il est plus que nécessaire d’aller à l’extérieur et vers le territoire auquel on est très attaché. On identifie des gens avec lesquels on veut faire plein de choses, dans l’écosystème digital, dans les tiers lieux, et parmi tous ceux qui sont en recherche de projets qui font sens. On a également beaucoup de contacts dans les milieux journalistiques parisiens, nantais, belge, qui se cherchent aussi. Avec eux, on a organisé un Journocamp en Auvergne, pour nous questionner ensemble sur nos pratiques, autour des datas.  Et puis on a organisé un Médiackathon en avril 2018, ouvert à des développeurs, designers et graphistes du territoire ; une façon d’ouvrir le journal et ses problématiques sur l’extérieur.  On souhaite également participer aux initiatives et aux évènements portés par le Connecteur comme le Club Open Inno, mais aussi Living Orgs, les Uphéros… c’est stratégiquement nécessaire, d’avancer de manière ouverte.

Tu es aussi connu pour être l’animateur phare des conférences TEDx…

Le TEDx, j’y suis arrivé par des rencontres dans l’écosystème, notamment grâce aux Uphéros d’Auvergne Nouveau Monde. Je me suis rapproché de Lionel Faucher, on avait une vision de la vie et des choses assez similaire. Il m’avait demandé de faire le talk de clôture en 2016, ce qui était une super aventure : au-delà de livrer un talk – j’ai toujours fait du théâtre, de la vidéo, présenté des JT, etc. -, j’ai adoré rencontrer une communauté de gens qui voulaient juste partager des idées ! Sans arrière-pensée, sans volonté business. Et ça fittait complètement avec ce que je voulais faire. Depuis, je suis un peu le maître de cérémonie, je fais l’introduction des speakers.

Raphaël en mode « MC » au TEDxClermont 2018.

Tu peux nous parler de ton dernier projet sur le feu : la Compagnie Rotative ? 

Après quatre ans d’existence, il est temps de s’appliquer la nécessaire agilité que prône le Lab depuis son ouverture. Dont acte : le Lab devient la Compagnie Rotative, toujours facilitateur de la transformation du groupe, mais plus orienté “innovation ouverte”. Et parmi ses nouvelles missions, la Compagnie Rotative va opérer le programme d’incubation du groupe Centre France. C’est une nouvelle étape ! Un pas de plus vers l’extérieur. Ce programme aura deux objectifs : d’abord, accompagner la transformation culturelle de la boîte, en provoquant de la friction entre le groupe et le monde des start-ups. Nous avons beaucoup à apprendre de ces entrepreneurs, et on peut aussi sûrement leur apporter un peu de notre expérience, de nos compétences. Il faudrait en faire qu’on arrive à en faire une vraie communauté, quitte à faire sortir le groupe et  ses salariés de leur zone de confort. 

Ce programme aura deux objectifs : accompagner la transformation culturelle de la boîte, et à créer de la valeur plus business, plus stratégique pour le groupe.

Ensuite, il vise à créer de la valeur plus business, plus stratégique pour le groupe. C’est l’occasion de trouver des boîtes avec lesquelles monter de vrais partenariats. Je pense aux start-ups qu’on accompagnera, mais aussi aux autres acteurs de l’écosystème local ou national : les incubateurs, la French Tech, les investisseurs… On va avancer sur ce chemin en étant très humble. Ce ne sera pas forcément une voie de transformation rapide ; si ça ne marche pas, on pivotera – d’où le nom de l’incubateur ! Rotative, c’est aussi un clin d’oeil à l’histoire du groupe, et la Compagnie, c’est cette logique de co-développement, pour bâtir quelque chose de communautaire, à laquelle je crois très fort.

 


Pour en savoir plus :
le site officiel de la Compagnie Rotative


Entretien réalisé le 30 octobre 2018 par Damien Caillard. Propos synthétisés et réorganisés pour plus de lisibilité par Cindy Pappalardo-Roy, puis relus et corrigés par Raphaël.
Visuels fournis par Raphaël sauf la photo de Une, par Damien Caillard pour le Connecteur.

Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)

  • #Médias – Raphaël a toujours adoré raconter les histoires des gens et toujours dans une vraie proximité : il n’a jamais été attiré par l’investigation ou le grand reportage. Ce qui lui plaisait et lui plaît toujours – c’est le fil rouge de tout ce qu’il fait – c’est de rencontrer des gens, de découvrir ce qu’ils ont à dire, de s’en inspirer ou au contraire de s’en défaire, et de partager ces histoires.
  • #ExpérienceProfessionnelle – À la fin de son parcours au sein Sciences Po, Raphaël a fait son semestre d’immersion à Clermont Première, la télévision locale du groupe Centre France. Ensuite, il a goûté à tous les métiers, portant les pieds de caméra et les micros, assistant le chef plateau, etc . Il a par la suite postulé à l’Institut Pratique du Journalisme (IPJ), une formation journalistique par apprentissage. Il a été salarié de Clermont Première pendant dix ans. C’était une opportunité pour explorer l’innovation au sein de la chaîne, notamment via le numérique.
  • #InnovationLes médias sont dans un moment difficile, et ce depuis plusieurs années. Comme beaucoup de secteurs, ils ont pendant longtemps bénéficié d’une période d’abondance, et se remettaient difficilement en question. Cette attitude, face à un monde qui bouge très vite, les conduit aujourd’hui au pied du mur. C’est souvent surtout un problème de culture d’entreprise. C’est avec les gens qu’on fait bouger les choses.
  • #Réalisation – Pour Raphaël, la réalisation principale du Lab en interne (et aussi la plus emblématique) est “Bonjour” : la plateforme de réseau social interne qui a remplacé l’ancien intranet, et qui a été co-conçue avec tous les métiers du groupe. Aujourd’hui, après dix mois de fonctionnement, on en est à une trentaine de communautés, qui correspondent toutes à un usage, allant de sujets sérieux comme la gestion de la paie à l’organisation d’une sortie running. Et pour eux, c’est un super outil au service de la transformation. En plus, cela favorise la communication transversale.
  • #CompagnieRotative – Le Lab devient la Compagnie Rotative, toujours facilitateur de la transformation du groupe, mais plus orienté “innovation ouverte”. Et parmi ses nouvelles missions, la Compagnie Rotative va opérer le programme d’incubation du groupe Centre France. C’est une nouvelle étape, un pas de plus vers l’extérieur. Ce programme aura deux objectifs : d’abord, accompagner la transformation culturelle de la boîte, en provoquant de la friction entre le groupe et le monde des start-ups ; ensuite, à créer de la valeur plus business, plus stratégique pour le groupe. C’est l’occasion de trouver des boîtes avec lesquelles monter de vrais partenariats, avec les start-ups que le Lab accompagnera, mais aussi avec les autres acteurs de l’écosystème local ou national : les incubateurs, la French Tech, les investisseurs…

 

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.