Entretien / Hervé Roche envoie du bois

Entretien / Hervé Roche envoie du bois

Par Damien Caillard
et Cindy Pappalardo-Roy

Il est parfois important de construire des ponts, surtout entre le public et le privé. Hervé Roche est de ces acteurs locaux qui font le lien entre différents univers, leur apportant plus de fluidité et d’interaction. De par son expérience auprès de nombreuses collectivités territoriales, mais également en tant qu’entrepreneur et consultant, il est un des artisans de la nouvelle candidature French Tech Clermont Auvergne et fervent partisan de « rapprochements territoriaux » dans l’innovation.


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Tu es le fondateur de Moose, « fabricant d’imaginaire » … Comment t’es venue l’idée de commercialiser des cabanes en bois?

À la base, j’avais construit une maison en bois pour ma famille dans les Combrailles, et j’avais beaucoup aimé ça. Concevoir, faire après avoir conçu, ça m’a plu ; je me suis demandé comment transformer cela en activité principale. Après un temps de réflexion, je suis parti sur des maisons en modèle réduit. D’où l’idée de Moose : des petites maisons en bois, jolies, bien faites, pour les enfants. Le bois me plaisait par le matériau, mais aussi parce que cela évoque la scierie de mon grand-père.

Pourquoi l’idée de construire ensemble, plutôt que de vendre des cabanes déjà toutes faites?

J’aime beaucoup l’idée de fil générationnel. Ça permet de vivre plus longtemps. J’aime bien également jouer avec plusieurs leviers : je n’ai pas une approche monolithique. Moose est parti de ces liens familiaux, mais également de l’approche design qui me plaît beaucoup. J’aime aller de la conception à la concrétisation, en passant par le prototypage, en testant les choses… Il y a d’ailleurs un lien avec mon activité de conseil car je suis la même démarche : quand je travaille avec un client, j’essaye de “designer » des solutions. 

« J’aime beaucoup l’idée de fil générationnel. Ça permet de vivre plus longtemps. »

Tu mets la notion de “construction collective” en avant …

C’est une aspiration grandissante des décideurs confrontés à certains circuits de décision ou habitudes d’organisation qui peuvent être contraignantes. Quand je suis en position de conseil, je tends vers une forme de déconstruction des systèmes organisationnels, pour aller vers une approche où l’on va chercher l’écoute, l’intuition. Et c’est, finalement, le fondement de toute action politique ou entrepreneuriale : agir après avoir compris les gens, mais aussi avoir des intuitions. Cela passe par l’association des différents acteurs, avec un spectre plus ou moins large. 

En pleine conception pour Moose

Cette façon de faire est-elle la bonne ? Marche t-elle à chaque fois?

Le côté participatif marche bien. Il est apprécié. Là où c’est plus compliqué, c’est sur la phase de prototypage. Parce que ça implique une prise de risque. Or, il y a toujours une tendance à sécuriser absolument ! On se dit que, quand on élabore une stratégie, on attend un plan d’exécution à zéro risque. Or, c’est incompatible avec une approche d’innovation.

Justement, dans une approche d’innovation, quels sont tes conseils?

Pour y arriver, la première étape est la sensibilisation, et de tout le monde : sensibiliser uniquement les décideurs ne suffit pas. On pense aux chefs, aux cadres, mais il ne faut pas oublier les femmes et les hommes de terrain. La sensibilisation doit être globale. Dans le rôle du consultant, ça implique d’être sur tous les fronts.

Tu n’as pas toujours été dans le monde de l’innovation ; quel est ton parcours?

Ce que j’aime, c’est être entre le public et le privé. Par construction professionnelle, j’ai une grande appétence pour l’action publique : j’étais fonctionnaire territorial pendant une vingtaine d’années, au Conseil Général de l’Allier en 1999 d’abord. J’y ai monté des projets internationaux, ce qui est aussi une facette de mon profil. À l’époque, on partait d’une activité associative assez dense, avec des liens historiques entre l’Allier et le Mali dans l’humanitaire et la coopération. Le CG a voulu structurer ces relations et les étendre à d’autres pays, et j’y ai travaillé.

« Ce que j’aime, c’est être entre le public et le privé. »

Je suis ensuite arrivé à Clermont, allant des “services” au “politique”. J’étais dans un “groupe politique”, puis j’ai intégré le cabinet du président de région, en tant que conseiller économie, numérique, recherche et enseignement supérieur. À la fin du mandat en 2015, j’étais devenu directeur de cabinet puis j’ai basculé à la tête du Syndicat Mixte de l’Aéroport de Clermont-Ferrand Auvergne.

Toute cette expérience était du côté public, or tu dis aimer les deux… Comment es-tu alors passé dans le privé?

Ce qui m’a fait passer “dans le privé”, c’est au moment de la construction de cette maison en bois. Je me suis rendu compte que je voulais conduire une action qui m’accorderait une certaine liberté, dans l’expression notamment. C’est donc parti de là. Surtout, je me suis aperçu que j’étais slasher (comme l’on dit aujourd’hui !) : je pouvais faire des cabanes en bois/conseiller des clients sur leur stratégie/et même être hébergeur touristique. Je ne voulais pas avoir à choisir. Mais, pour y arriver, je devais être indépendant. J’ai donc démissionné de la fonction publique en 2016.

Tu as l’expérience d’avoir monté une boîte à Clermont ; quelle est ta vision sur l’écosystème?

Pour moi, l’écosystème est arrivé à une forme de “maturité juvénile”. Il y a 10 ans, on ne parlait pas d’écosystème, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas d’innovation évidemment. Cependant, on n’envisageait pas dans les faits d’interaction poussée entre les différentes forces. J’ai pu assister à l’émergence de ces constructions, de la conscience d’écosystème et de la place qu’on y occupe. Aujourd’hui, il me semble que l’on voit assez bien quelle place chacun doit y occuper. 

Un slasher trouve le temps de monter une boîte, faire du conseil et donner des cours

Cette notion de “place” est-elle essentielle dans cet écosystème?

Quand l’écosystème s’est structuré – vers 2015 2016 – tout a dû se faire vite, les collectivités, les grands acteurs privés ont dit à un moment “on fonce”. Mais les gens ne savaient pas forcément quelle était leur place. Il a fallu passer par ces étapes pour arriver au degré de maturité que l’on commence à observer. Quand on est dans des processus qui mêlent privé et public, il est très important que chacun soit identifié.

« Quand l’écosystème s’est structuré, tout a dû se faire vite ; aujourd’hui, on y est. « 

Je trouve qu’aujourd’hui, on y est. On a par exemple déposé une nouvelle candidature French Tech. Les choses ont bien évolué depuis le premier dossier en 2016. Initialement, il était demandé que les collectivités soient motrices. En 2019, au contraire, les entrepreneurs doivent être à la manœuvre. Et l’écosystème suit ! Sur ce type d’initiatives nationales, l’Etat met en place le curseur, et ça se décline au niveau local.

La mobilisation des entrepreneurs s’est faite très naturellement. Au niveau clermontois, l’évolution était déjà en route. La précédente co-présidence de la French Tech montrait que l’on était sur la bonne voie. La nouvelle candidature permet de constater la maturité de l’écosystème et la volonté d’aller vers de l’innovation partagée. Par exemple, Clermont Auvergne Métropole s’est “associée” à Riom, Vichy et Issoire sur la candidature, pour soutenir les entrepreneurs qui mènent l’opération.

Comment continuer sur cette bonne lancée?

Ce qui me semble important, maintenant, c’est que l’on redémarre. Ont été identifiés des entrepreneurs emblématiques, une douzaine dans le board : à eux de faire. Il y a une feuille de route déjà esquissée, discutée dans différentes instances, incarnée par ces entrepreneurs et Olivier Bernasson comme tête de proue. L’enjeu le plus fort est de tout faire pour que certaines boîtes de l’écosystème passent un cap qui fera d’elles des locomotives. Nous avons candidaté au label “communauté”. Avec cinq entreprises remarquables (par leur effectif, leur densité capitalistique, l’évolution de leur C.A. …), on aurait pu répondre aux critères de  “capitale” French Tech. Au-delà du label, il faut identifier ces boîtes, les rendre visibles, accompagner celles qui sont en passe de franchir ce cap et se dire que c’est possible !

Hervé participe à plusieurs initiatives de l’écosystème, au-delà de la French Tech. Ici, en janvier 2017, lors d’un atelier sur le site du Connecteur.

La mobilisation collective pour l’écosystème d’innovation clermontois, c’est quelque chose qui te semble possible?

Ce que je remarque, c’est que chez beaucoup d’entrepreneurs, et parmi les équipes, il y a l’envie d’avoir une reconnaissance et une action collective. Dans l’intérêt de leur business, mais aussi celui du territoire. C’est devenu une « tarte à la crème », et régulièrement des études confirment l’attachement à l’identité auvergnate. Mais c’est vrai, et ça se vérifie tous les jours. Le Puy de Dôme, par exemple, joue un rôle totémique extraordinaire. Pour l’écosystème, c’est une force incroyable !

Quid des trois autres départements de l’Auvergne?

L’idée d’être membre et de participer à la constitution d’une communauté auvergnate est largement attendue. Cependant, je crois beaucoup aux alliances objectives. Le périmètre bouge tout le temps. Il faut que chaque territoire, l’Allier ou le Velay par exemple, trouvent l’intérêt de s’allier avec le Puy-de-Dôme. Le “territoire”, c’est bien, mais ça peut aussi être un travers, notamment quand on parle d’action publique et que l’approche se limite à des périmètres pré-établis. Ce n’est pas toujours pertinent.

« L’idée d’être membre et de participer à la constitution d’une communauté auvergnate est largement attendue. Il faut que chaque territoire, l’Allier ou le Velay par exemple, trouvent l’intérêt de s’allier avec le Puy-de-Dôme. »

Et je reviens à cette idée de maturité : quand on voit que la métropole de Clermont participe à un mouvement (celui de la French tech), aux côtés des entrepreneurs, avec  Riom, Vichy et Issoire, je trouve que c’est plutôt bon signe. On ne parle pas alors de périmètre prédéfini, mais plutôt de flux économiques et d’innovation opportuns.


Pour en savoir plus :
le site de Moose
le site de 9 Cabinet Conseil
le site de la French Tech Clermont Auvergne


Entretien réalisé par Damien Caillard. Propos synthétisés et réorganisés pour plus de lisibilité par Cindy Pappalardo-Roy, puis relus et corrigés par Hervé.
Visuels fournis par Hervé sauf portrait de Une, photo atelier Connecteur par Damien.

Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)

  • #Moose – Moose, fabricants d’imaginaire : « Permettre à votre enfant de construire, avec vous, sa première maison, c’est notre ambition. » Cette société a été fondée par Hervé Roche. Après avoir construit une maison en bois pour sa famille, l’idée de concevoir et de construire quelque chose en famille lui a plu. Il en a donc fait sa première activité entrepreneuriale. La valeur ajoutée de cette société est l’idée du fil générationnel.
  • #ConstructionCollectivePour Hervé, la notion de construction collective est importante, et même « une aspiration grandissante des décideurs confrontés à certains circuits de décision ou habitudes d’organisation qui peuvent être contraignantes« . En position de consultant, Hervé tend au contraire vers une forme de déconstruction des systèmes organisationnels, pour aller vers une approche où l’on va chercher l’écoute, l’intuition. Il ajoute : « Le côté participatif marche bien. Là où c’est plus compliqué, c’est sur la phase de prototypage, parce que ça implique une prise de risque. Or, il y a toujours une tendance à sécuriser absolument. »
  • #PrivéEtPublic – Hervé aime les deux secteurs. Par construction professionnelle, il a une grande appétence pour l’action publique ; ainsi, il fût fonctionnaire territorial au Conseil Général de l’Allier, puis a intégré le cabinet du président de région comme conseiller économie, numérique, recherche et enseignement supérieur à Clermont-Ferrand. En 2015, devenu directeur de cabinet, il bascule à la tête du Syndicat Mixte de l’Aéroport de Clermont-Ferrand Auvergne. Il passe dans le secteur privé au moment où l’idée de Moose germe dans son esprit. Ce qui le motive à changer de secteur, c’est l’idée de conduire une action avec une certaine liberté.
  • #Écosystème – Hervé trouve qu’il est arrivé à une forme de “maturité juvénile”, dans le sens où auparavant on ne parlait pas d’écosystème, mais ce n’est pas pour cela qu’il n’y avait pas d’innovation. Aussi, la notion de « place » est importante ; aujourd’hui, chacun sait quelle place il occupe dans cet écosystème. Un exemple : initialement, il était demandé que les collectivités soient motrices ; en 2019, au contraire, les entrepreneurs doivent être à la manœuvre. Et l’écosystème suit : la mobilisation des entrepreneurs s’est faite très naturellement.
  • #LesAutresDépartements – Aujourd’hui, pour Hervé , l’idée d’être membre et de participer à la constitution d’une communauté auvergnate est largement attendue. Il ajoute : « Il faut que chaque territoire, l’Allier ou le Velay par exemple, trouvent l’intérêt de s’allier avec le Puy-de-Dôme« .  C’est déjà le cas à petite échelle, quand la métropole de Clermont participe à un mouvement (comme celui de la French Tech, par exemple), aux côtés des entrepreneurs, avec Riom, Vichy et Issoire..

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.