Acube est une association clermontoise  animée par une communauté de bénévoles. Chacun propose ses sujets, la programmation se construit de manière collaborative autour d’un fil rouge :  Son mode de fonctionnement est basé sur la pratique, l’expérimentation, … la prise en main de méthodes et outils intégrables à ses pratiques professionnelles. ACube propose donc une soirée par mois, à propos du CODEV ou de « L’Elément Humain » d’après Schutz. Et Le Connecteur vous raconte son expérience. Cette fois-ci, il s’agissait d’écouter un témoignage. Celui de Jean Christophe Guérin, ancien membre du COMEX Michelin, dont le propos est finalement très axé sur le respect des hommes et femmes dans l’entreprise.

Le défi du « et »

Pour faire rentrer son auditoire dans le sujet, JC Guerin lui demande de citer spontanément des marques qui font référence en matière de niveau de service au client. Les noms fusent : Toyota, Amazon, Lego, Ikéa, …  Leurs point commun ? Elles ont développé une capacité à atteindre un ensemble de performances et de permanence de ces performances qui, a priori, pourraient sembler contradictoires ou difficiles à réaliser simultanément. Et elles font même plus en combinant plusieurs attributs essentiels à la fois. La barre est haute pour une concurrence qui ne parvient souvent à capitaliser que sur une seule capacité

1. Toyota : L’entreprise a réussi à conjuguer la fiabilité de ses véhicules avec un faible coût (ou productivité/efficacité). Dans les années 80 et 90, en Europe, si un consommateur voulait une voiture fiable, il devait acheter une Mercedes, ce qui était très cher, perçu comme normal pour la fiabilité. Toyota a brisé ce schéma en offrant les deux.
2. Amazon : Amazon a excellé en offrant plusieurs combinaisons simultanément : la vitesse de la livraison et sa fiabilité, ainsi que le choix et le service (ou présence). Pour concurrencer Amazon, une entreprise doit offrir le choix et la fiabilité.
3. Lego : Lego est un exemple de réussite ayant permis la diversité des pièces et leur qualité et la fiabilité des boîtes (il n’en manque jamais une). L’entreprise a également garanti la compatibilité des jouets de qualité, même cinquante ans plus tard.
En substance, le défi du « et » signifie que l’excellence exige d’atteindre non pas une, mais plusieurs performances durables à la fois, ce qui demande une certaine constance des performances.

Trois piliers majeurs

Les entreprises qui réussissent à relever « le défi du ET» s’appuient sur trois fondamentaux, socle de l’excellence:

Inverser la pyramide

L’inversion représente un changement radical de mentalité.
• Principe : affirmer que la première mission est d’être en support de ceux qui sont en contact direct avec la création de valeur ou le client.
• Implication : la direction, le management et les services supports  ont pour mission principale d’être le support des opérationnels (les équipes de production, les vendeurs, les chercheurs, les employés administratifs, …).
C’est un changement de mindset qui n’est pas sans conséquence. On retrouve là les problématiques de positionnement des managers qui peuvent ressentir perte de pouvoir ou remise en question de leur autorité dans une démarche de type entreprise libérée par exemple (lire l’interview de Brigitte Nivet à ce sujet).
Une question d’égo finalement, qui peut empêcher les managers d’accepter l’idée que des problèmes, sur des projets qu’ils ont eux-mêmes pensés et lancés, puissent remonter du terrain. Difficile d’accepter ce qui est vécu comme une remise en question de son travail, de son expertise… Et bien sûr, cela nécessite un alignement avec les critères d’évaluation des dits managers, les leurs sur eux-mêmes et ceux de leur hiérarchie:  qu’est ce qui compte, leur capacité à résoudre des problèmes ou le nombre de décisions prises ?
Cette étape s’appréhende de deux manières, complémentaires, la formation  des managers et l’expérimentation en prenant appui sur les plus volontaires pour s’engager comme pilotes, puis ambassadeurs.

Structurer un système d’écoute du terrain

Deuxième pilier, la mise en œuvre du changement de mentalité par l’écoute concrète et structurée. Dans une logique Lean, on pense au gemba : aller voir sur le terrain, observer les faits, et écouter ceux qui font le travail au quotidien. Il mobilise des outils comme les entretiens courts standardisés, l’observation directe, les tournées gemba walk, les “5 pourquoi”, et la remontée des irritants via des boucles de feedback simples. La philosophie est d’apprendre avant de décider, en partant des problèmes réels plutôt que des idées préconçues. On valorise l’intelligence collective, la résolution continue des problèmes et la transparence. L’objectif final : révéler les gaspillages, fluidifier les processus et créer les conditions d’une amélioration durable et partagée.
Jean Christophe Guerin n’utilise pas ce champs lexical mais il s’inscrit dans la philosophie.

Principe : La hiérarchie écoute le terrain, c’est-à-dire les problèmes que rencontrent les employés et les opérateurs au quotidien, et s’engage à les éliminer en prenant soin de chercher les causes racines. 

Cercle Vertueux : Lorsque les problèmes sont éliminés, cela crée un cercle vertueux d’amélioration continue où il y a de moins en moins d’erreurs, contribuant ainsi à la performance
• Mécanisme : Un système structuré est utilisé pour formaliser la remontée des problèmes.
    

Développer l’Autonomie et la responsabilité

Ce troisième pilier consiste à renforcer l’implication des équipes opérationnelles et donc, à limiter l’action du manager aux situations exceptionnelles ou plus complexes.
• Principe : développer l’autonomie et la responsabilité est rendu au plus tôt au terrain.
Subsidiarité : consiste à traiter chaque problème au niveau le plus proche de celles et ceux qui le vivent. L’idée est simple : ceux qui font savent, et c’est à eux qu’il faut donner la main pour analyser, décider et ajuster les pratiques. La direction n’impose pas des solutions “d’en haut” ; elle crée les conditions pour que les équipes puissent observer, comprendre et résoudre les irritants au fil de l’eau. Cette logique renforce la confiance, accélère les améliorations et évite les détours bureaucratiques. C’est aussi un moyen de reconnaître la compétence du terrain, et de faire de l’organisation un système apprenant plutôt qu’un système prescriptif. 

L’expérience Michelin : les WIN cartes

Face à une montée en puissance de la concurrence internationale, JC Guerin, alors membre du COMEX, s’interroge avec ses collègues:  comment embarquer l’ensemble des équipes – et ses talents – pour améliorer la performance de l’entreprise ? Ils ont tous des talents absolument pas utilisés dans un système très classique et très pyramidal que l’on retrouve dans la plupart des entreprises: la direction sait, impulse, innove, les opérateurs exécutent. En lançant la démarche d’excellence opérationnelle, on commence par changer radicalement de mindset et d’organisation.

Concrètement

  • 5 usines pilotes, réparties dans le monde pour tester d’éventuels biais culturels (spoiler : il n’y en a pas)
  • Un rendez vous quotidien instauré par le manager avec ses équipes pour écouter ses problèmes
  • WIN cartes  (WIN =What is Important Now)
    • Tous les problèmes doivent être remontés : il n’y a pas de « petits » problèmes. Pour celui qui le subit, c’est un ‘caillou dans la chaussure’. Le fait d’affirmer que tous les problèmes méritent d’être traités et une forme de respect pour chaque individu et de refus de la condescendance
    • Cartes vertes : les équipes l’utilisent pour informer le manager d’un problème qu’elles ont identifié mais qu’elles peuvent résoudre par elles-mêmes. C’est ‘juste’ une information pour la management.
    • Cartes rouges : elles sont réservées aux problèmes pour lesquels elle a besoin d’aide de la hiérarchie (compétences, moyens, temps, etc.)
  • Pour que cela fonctionne, il faut
    • de la confiance et donc un engagement, une obligation de traiter le problème. Cela signifie qu’il doit soit le résoudre, soit fournir une réponse argumentée justifiant pourquoi le problème n’est pas traité immédiatement. Le fait d’avoir une réponse réfléchie et argumentée est crucial et crée le respect.
    • de la transparence : le système permet de jouer la transparence en partageant les indicateurs et les problèmes. Cela génère de la confiance et permet aux équipes d’être plus ambitieuses dans la détection des problèmes.
    • de la constance, contrairement aux attentes, la quantité de problèmes soulevés ne s’arrête jamais, car plus les gens sont exigeants, plus ils voient de problèmes à résoudre, c’est un cercle vertueux.
In fine, l’expérimentation avec les cinq pilote a constitué une démonstration par le succès : un meilleur système pour le client, pour l’entreprise et pour les employés.
accompagnement & conseilintelligence collective & facilitationOutils numériquesTravail