Comme chaque année, la Ville de Clermont via son Dispositif Réussite Educative, organisait une journée à destination de la communauté éducative. Entendez les enseignants, mais aussi tous les acteurs du milieu scolaire (infirmières, psy, ATSEM, …) et autour, les associations, les professionnels … et bien sûr les parents. C’est toujours un samedi et il y a toujours du monde. C’est un de ces rassemblements qui (re) donnent foi en l’humanité. Parce que ceux qui sont là, qu’ils écoutent ou qu’ils interviennent, sont de ceux qui font. Parfois, contre vents et marées. Parfois en bricolant un peu pour palier le manque de moyens. Mais en tout cas, ils font avancer des projets qui créent des espaces de liens dans un monde fait d’oppositions.
Après l’allophonie et l‘école inclusive, cette année était consacrée à la parentalité. La conférence introductive était assurée par de Nathalie Le Breton. Journaliste, elle a coanimé la célèbre émission « Les Maternelles » et écrit plusieurs ouvrages.
Prendre soin
Pour Nathalie Le Breton, « prendre soin des enfants, c’est prendre soin de ceux qui les élèvent« . Ceux qui les élèvent ou qui co-éduquent, c’est d’abord la famille puis toute la communauté que l’enfant croise sur son chemin. Les parents donc. Ceux qui perdent leur « insoutenable légèreté » en même temps que leurs illusions d’irréprochabilité parentale (moi, quand je serai parent, je ferai …) à l’arrivée de l’enfant. Et aussi une dose massive de culpabilité. Petit clin à Florence Foresti, formidable thérapeute des mamans quadra ou quinqua.
Une communauté soumise à de nombreuses pressions
Pressions anciennes et d’autres plus récentes. Pour celles qui ont presque toujours été là, on retrouve le contexte socio économique : avoir un travail, éventuellement épanouissant, arriver à le concilier avec sa vie personnelle, gérer sa charge mentale, se projeter sur des perspectives positives … Les situations d’isolement, avec le stress, la responsabilité, la difficulté quotidienne… et enfin, l’impératif de réussite scolaire traduit par les notes.
Parmi les plus récentes, on trouvera d’abord la profusion d’informations. Nathalie Le Breton le rappelait, l’enfance et la parentalité sont des sujets récents. Ils ont émergé en même temps que l’absolu pouvoir du père dans la cellule familiale s’amenuisait. Mais nous sommes passés d’un non sujet à une bibliographie prolifique. Elle mêle apport pédiatrique, scientifique, éducatif et expertise d’influenceurs. Les injonctions s’entrechoquent. Culturellement aussi, l’approche a changé, on peut y voir comme une infusion de l’esprit « Start Up Nation » : il faut « gérer » ses enfants, être performant et aussi, être instagrammable.
Enfin, la dernière vague à laquelle il faut faire face est celle de l’arrivée de la technologie : les écrans et l’IA. Sur ce dernier point, lire l’interview de Jonathan Haidt, cité par Nathalie Le Breton. « Il accuse les entreprises de l’industrie technologique (y compris celles qui sont responsables des réseaux sociaux, des jeux vidéo et des sites pornographiques) d’avoir reconfiguré l’enfance et changé le développement humain à un point quasi inimaginable« .
L’ensemble de ces pressions ne vont pas vraiment dans le sens du soin.
Et c’est un problème pour plusieurs raisons
– les enfants apprennent ce qu’ils vivent dit Dorothy Law Nolte
– les statistiques de santé publique et solidarités montrent une forte progression des hospitalisations pour tentatives de suicide ou automutilations chez les jeunes, filles en particulier.
Faire cause commune
Il y a donc un vrai enjeu de santé mentale et un fort besoin de faire cause commune pour y faire face. Ce que soulignait Cécile Audet, adjointe au Maire en charge de la petite enfance, l’enfance, jeunesse et éducation pour la Ville de Clermont Fd. « Nous avons besoin d’une culture commune qui permette de voir toute la réalité, y compris avec les yeux des autres, pour continuer de porter des projets ensemble« .
Alors, prendre soin, comment ?
Nathalie Le Breton l’a dit, il n’y a pas e baguette magique, pas plus que de vérité universelle. En revanche, il y a un levier, celui de la satisfaction, qu’il faut cultiver en luttant pour faire de la place à la joie et à l’espièglerie, face aux « dérangeurs de parents fatigués » dixit Maria Montessori. Le meilleur moyen pour augmenter sa satisfaction, c’est de renforcer son efficacité. Parce que le sentiment d’inefficacité fatigue, décourage et finit par empêcher d’agir.
C’est ce qui ressort des témoignages apportés en ateliers ou durant la table ronde. Partout, depuis l’intérieur de structures parfois difficiles à bouger, on trouve des individus qui engagent une folle énergie et ne lâchent rien pour rendre possibles des projets qui contribuent à créer du lien. Qui un café des parents, qui un cours de français, qui un défilé de mode, qui une découverte des cultures culinaires, ou encore toutes ces activités autour du livre et du jeu présentées par l’association Orthophonie Prévention 63… Nombreuses sont les initiatives portées qui cassent les barrières. Parce que des barrières demeurent. Dans l’atelier animé par Angélique Michelin, d’EduSens, consacré à la coéducation, c’est l’une des réflexions partagées: quand on reçoit un appel de l’école, la première réaction est la peur. Pour poser des bases saines à une coéducation sereine, Angélique Michelin détaille quelques règles :
Quatre piliers indissociables
- Accueillir : il s’agit là de construire des références communes
- Informer : expliciter le cadre éducatif et pédagogique pour lever les peurs et favoriser la confiance.
- Dialoguer : travailler ensemble et développer un dialogue qui renforce le rôle éducatif de chacun.
- Impliquer : construire un cadre protecteur, le porter collectivement. Favoriser les échanges entre parents aussi.
Et (surtout) la posture
- l’explicitation : il est essentiel d’expliquer de manière claire aux parents le fonctionnement de l’institution scolaire, souvent perçue comme complexe. Cette clarification permet aux familles de mieux saisir leur rôle et de se sentir plus engagées ;
- la coopération : il s’agit de travailler ensemble pour accompagner l’enfant dans son parcours scolaire. Cette collaboration étroite entre les enseignants et les parents permet un suivi cohérent et personnalisé de l’élève ;
- la parité d’estime : la reconnaissance mutuelle des compétences, tant des enseignants que des parents, est fondamentale. Elle instaure une relation de respect réciproque, propice à une coopération harmonieuse.
Pour s’ancrer dans les pratiques, elle doit aussi être volontaire, pensée et … constante.
Cette notion de parité d’estime semble être à la fois transverse et tout à fait centrale. Elle nécessite de se départir de ses propres préjugés et biais, ou pour le moins, de les identifier pour les mettre à distance. Le but étant de créer ou recréer du lien et de l’implication, il faut de la confiance. Et la première brique de la confiance est le sentiment de respect.
La langue, marqueur de considération
Plusieurs fois dans les échanges, les ateliers, les témoignages, la question de la langue a été identifiée comme un frein potentiel. Et d’aucun ont pu noter le changement de paradigme assez récent quant à l’accueil des langues familiales à l’école (voir l’article Réussite éducative, plurilinguisme et considération).
On commence désormais à considérer que parler plusieurs langues est une richesse et que maîtriser sa langue familiale est un socle sur lequel prend appui le reste des apprentissages. Au delà de la langue, les récits de projets qui valorisent la diversité culturelle vont dans le sens de cette parité d’estime. Les cours de français dispensés au cœur des établissements à destination des familles dans le cadre du dispositif « OEPRE » de l’Education Nationale (Ouvrir l’Ecole aux Parents pour la Réussite des Enfants) présentent une dimension « cheval de Troie », non belliqueux.
A partir du cours de français, se ramifient d’autres ambitions : décryptage du fonctionnement scolaire, transmission de valeurs de la République, découverte de lieux de culture comme les médiathèques (qui elles aussi déploient beaucoup de programmes d’animations ouvertes à tous) et lieux de socialisation. Ces programmes fonctionnent. Ils ont un impact positif sur l’estime de soi. Des parents et, par ricochet, des enfants aussi.
Mais ils demandent du temps, de l’énergie, beaucoup de patience et de pédagogie et, comme évoqué plus haut, de la constance. Ce qui peut être une source d’inquiétude liée à l’amenuisement des moyens disponibles.
La parentalité est un fragile équilibre qui se construit sur l’autorité, reprise dans son sens étymologique originel « qui donne confiance » et un partenariat solide de coéducation. A condition qu’elle puisse être vécu comme un appui et non comme un échec. Ce qui est rendu possible par un collectif volontaire, réfléchi et constant. Et engagé dans un principe de parité d’estime.
