Henri Landes est spécialiste de la politique du climat et de l’environnement et également spécialiste de l’économie et du dynamisme rural. Il publie aujourd’hui un essai « Repeupler les campagnes » pour promouvoir un autre maillage possible des territoires.
Aujourd’hui, Henri Landes, vous êtes un acteur engagé au service du développement durable de la ruralité. Pourtant, ce cheminement personnel a nécessité quelques années. Pouvez-vous nous raconter votre parcours ? Celui qui vous emmène aujourd’hui à publier un livre au titre évocateur “Repeupler les campagnes”
Je suis né à New York, d’une mère française et d’un père américain. J’ai grandi aux Etats-Unis, d’abord à New York puis au lycée français de San Francisco.
J’ai toujours beaucoup aimé et pratiqué le sport. J’ai intégré l’université UC Davis à côté de San Francisco où j’ai pu jouer un tennis de haut niveau tout en poursuivant des études de langues et d’histoire.
Cette université avait une forte dimension agricole, d’ailleurs, elle était connue comme “l’université des vaches”. C’est ce qui m’a permis de commencer à toucher du doigt un univers que je ne connaissais pas du tout ayant évolué auparavant dans des grandes mégalopoles américaines.
J’ai pratiqué le tennis pendant deux ans en pro. C’est là que j’ai réalisé que ce serait très difficile de percer. De plus, une blessure a mis un point final à ma carrière américaine. J’ai repris mes études en France et je n’en suis jamais reparti.
Henri Landes, vous êtes aujourd’hui reconnu comme expert des enjeux de développement durable. Lorsque vous arrivez en France en 2009, ce n’est pas encore le cas ?
En effet, je ne connaissais rien au changement climatique et je ne savais pas ce qu’était le développement durable. Pourtant, j’avais déjà une fibre écologique sans avoir de connaissance précise sur le sujet. C’est ce qui m’a décidé à suivre un master à Sciences Po Paris « affaires internationales, environnement, développement durable et risques”.
Ça a été une révélation. Dans la foulée, j’ai créé CliMates. C’est une association qui forme les jeunes étudiants et les jeunes professionnels aux enjeux climatiques à travers des simulations de négociations et divers autres projets de sensibilisation.
Ensuite, j’ai commencé à travailler en tant qu’enseignant et ingénieur pédagogique à SciencesPo Paris sur les thématiques de développement durable. Par ailleurs, je suis devenu conseiller pour des élus à l’Assemblée nationale sur la transition écologique.
C’est à ce moment que vous faites se rencontrer la politique et l’écologie…
Oui. D’ailleurs, j’ai entamé une mission de conseil auprès du Président de l’Assemblée nationale de l’époque. Par un concours de circonstances, je l’ai accompagné au salon de l’agriculture.
Pour moi, cette journée marque un tournant dans mon engagement. J’ai découvert les enjeux autour du système alimentaire. J’ai pu commencer à appréhender les atouts de la France, mais également toute la souffrance de ce secteur. Je regardais l’agriculture française avec mes yeux d’Américains sans me rendre compte de la réalité des différents métiers.
Pourtant, vous vivez d’autres expériences professionnelles avant le grand changement de vie auvergnat.
En 2017, je suis recruté par Yann Arthus Bertrand pour diriger sa fondation. A la même époque, ma future femme, Fanny Agostini, est devenue présentatrice pour l’émission Thalassa. Ça a été un vrai changement d’échelle d’un point de vue professionnel avec des niveaux de responsabilités élevés dans le monde médiatique et associatif.
Au bout d’un an, on a commencé à se poser des questions. Chacun à notre niveau, nous travaillions sur les questions d’écologie, mais pour autant, nous nous sentions complètement hors-sol. Nos lieux de vie et nos modes de vie n’étaient pas alignés avec notre vision d’une vie éco-responsable.
Pour notre voyage de noces, nous avons décidé de partir 5 semaines à Vancouver pour faire du woofing dans une ferme gérée par un ancien trader et directrice de développement durable. Nous savions déjà que cette expérience marquerait la fin d’un cycle et le début d’un autre. A notre retour en France, on a décidé de tout lâcher.
Vous quittez tous les deux vos fonctions, pour aller vers quoi ?
Nous avons décidé de nous installer en Haute-Loire dans une ferme, pour aller vers un mode de vie plus éco-responsable. J’ai décidé de créer ma propre association et fonds de dotation, Landestini, pour la transition écologique et le soutien à la ruralité.
Est-ce que vous pouvez nous résumer les actions de Landestini en quelques mots ?
Nous souhaitons éduquer les jeunes à l’alimentation et l’agriculture durable en Auvergne et partout en France. Nous avons créé plusieurs projets dont la Coupe de France du potager. Elle permet d’accompagner la mise en place de potager dans les écoles.
Le second axe est destiné à aider la ruralité à travers l’entrepreneuriat et l’innovation avec un incubateur. Nous accompagnons trente entrepreneurs, du Cantal et de toute la France, qui œuvrent pour une alimentation durable.
Par ailleurs, nous développons trois productions agro-écologiques grâce à des fermes urbaines à Beaumont, Issoire et Clermont-Ferrand ? Enfin, nous avons un dernier axe que nous développerons dans le temps autour de la sensibilisation des sportifs sur l’alimentation durable et l’agriculture…
Vous venez d’écrire un ouvrage, “repeupler nos campagnes”. Pourquoi un livre et pourquoi maintenant ?
Je pense que l’on est au début d’une remise en question de notre organisation sociétale des lieux de vie et de concentration. Je le sens et je le vois, notamment sur les réseaux sociaux avec les commentaires que mon livre suscite.
La campagne actionne l’émotionnel autant que l’intellectuel. Pourtant, ce sujet prend encore très peu de place dans le débat public. On devrait le poser très clairement : est-ce que nous devrions être aussi nombreux dans des villes toujours plus grandes ? Ou devrions-nous réinvestir les petites communes rurales ?
Henri Landes, vous rêvez d’un exode urbain ?
Pas forcément, mais plutôt d’un rééquilibrage. Il y a aujourd’hui beaucoup de résistance culturelle autour de la campagne. Dans une partie de l’imaginaire collectif, il y a un petit côté condescendant “ à la campagne on ne peut pas avoir une vie très stimulante en comparaison de ce qu’offrent les grandes villes et métropoles”.
Justement, on entend dire qu’il y a parfois des oppositions entre les ruraux et les néo-ruraux, comme une sorte de jugement de valeurs des seconds sur les premiers.
Nous devons absolument éviter de donner des leçons à qui que ce soit. Bien entendu, il faut faire preuve d’ouverture d’esprit dans les campagnes et également être fiers de notre magnifique vie sociale, de proximité. C’est un atout dans la transition écologique.
Pourtant, beaucoup de citadins sont réfractaires à l’idée de vivre à la campagne. Cet exode urbain ne touche qu’une toute petite partie de la population.
En effet, il y a un gros travail à faire sur l’imaginaire collectif. De nombreux citadins ne sont jamais allés à la campagne. On doit faciliter cette reconnexion, emmener les jeunes générations des villes découvrir une vie qu’ils ignorent.
Néanmoins, on ne peut pas nier les problèmes qui touchent le monde rural comme l’absence de services publics ou les problématiques de mobilité. Des décisions politiques doivent être prises pour penser un maillage territorial plus équilibré.
On estime que si l’on continue à ce rythme, 75 % de la population française vivra dans les villes à l’horizon 2050, je milite pour que l’on rééquilibre à 50 %.
Très bien, mais il semblerait que la pression immobilière soit forte dans certaines zones rurales et qu’il n’existe plus de biens immobiliers à la vente. Comment faire venir des nouveaux habitants sans disponibilités foncières ?
Il faudrait, d’une part, inciter fiscalement à la rénovation des corps de ferme, qui sont des patrimoines bâtis importants pour nos campagnes. Par ailleurs, nous devons également expliquer aux nouveaux arrivants potentiels, les avantages d’un bel appartement en centre-bourg. On est à côté des commerces de proximité et de la vie sociale tout en étant à quelques centaines de mètres de la nature.
Enfin, il faut absolument privilégier la rénovation urbaine en cœur de ville plutôt que l’extension à travers la construction de lotissements neufs en entrée de ville ou de bourgs.
C’est l’instant carte blanche, quelque chose à ajouter ?
Depuis que nous avons changé de vie, je dois dire que je n’ai jamais été aussi heureux. Le contact quotidien avec la nature, les animaux, les agriculteurs et artisans, ainsi que les nombreux projets associatifs dans lesquels nous sommes partenaires rendent notre vie extrêmement riche. Je ne me sens absolument pas coupé du monde, j’interagis au quotidien avec des personnes partout en France grâce au numérique.
Un autre développement des territoires est possible. Le monde rural nous offre la possibilité d’expérimenter d’autres modes d’organisation à travers des micros sociétés plus autonomes et résilientes. Elles existent déjà, maintenant, il est temps de changer d’échelle.