Entretien / Emmanuel Ranc, positive attitude

Entretien / Emmanuel Ranc, positive attitude

Par Damien Caillard
avec Cindy Pappalardo-Roy


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Ce sont des objets de tous les jours, comme un couteau à lame rétractable ou un 33 tours, mais ils possèdent un atout caché en leur sein : un composant électronique qui les transforme en « objets connectés », et leur fait ainsi accéder à tout une gamme de services en ligne. C’est le pari d’Emmanuel Ranc, fondateur de la start-up Yes It Is plusieurs fois lauréate de prix au CES Las Vegas et une des « pépites » du Bivouac.

Comment es-tu venu au numérique et à l’entrepreneuriat ?

Je suis originaire de Lozère, vers Langogne. Mes parents n’ont rien à voir avec l’entrepreneuriat, mais j’ai toujours voulu créer une entreprise… Je ne savais pas quoi, mais je voulais faire “un truc pour moi”, sur une dimension personnelle de portage de projet. J’ai travaillé 10 ans chez Sopra, en tant que développeur puis responsable de projet, puis à la direction de l’innovation de Sopra Steria à Paris pendant 5 ans. Mon dernier poste était parisien, mais en habitant à Clermont-Ferrand avec des enfants en bas âge, c’était difficile… J’ai quitté Sopra en 2016.

A cette époque, ta spécialité est devenue le “sans contact” … comment le définis-tu ?

Chez Sopra, j’étais spécialisé dans les projets du “sans contact” : carte bancaire, transport public, etc. Je travaillais pour les opérateurs de mobilité comme la SNCF. Le sans contact, comme les technologies NFC*, sont le quatrième système d’échange de données validé internationalement par les fabricants de téléphone, après la 3G, le wifi et le Bluetooth. Le NFC est le dernier du nom à se déployer : (…) la notion de “sans contact” permet des échanges sécurisés, [comme avec les] cartes bancaires, les badges autoroute, les barrières de parking…

A quels usages cette technologie correspond-elle aujourd’hui ?

Les usages à venir du NFC seront dans la traçabilité et l’authentification des produits (…) On a beaucoup de demandes de certification des produits : ce qu’on mange, ce qu’on boit, ce qu’on utilise et qui l’a fabriqué, comment et avec quelles étapes (…) Pour cela, [on doit] identifier la matière première, les lots, les produits alimentaires… On a [donc] besoin de supports d’identification, comme des codes barres, des étiquettes, des bagues sur l’animal.

C’est le pari de départ de Yes It Is …

L’objet social de Yes It Is est de traiter l’identité numérique des objets et de proposer des services autour. Quand on a créé l’entreprise en 2016 avec mes associés, on voulait traiter l’identité des objets comme on traite l’identité des personnes, par exemple à l’aide d’une puce électronique dans les passeports. On était 7 associés au départ : des compétences dans l’électronique, d’autres comme moi dans l’IT, plutôt des profils techniques. Concernant le nom de l’entreprise, à l’époque on avait cet esprit Barack Obama, on voulait une composante anglaise autour de “Yes We Can”… et Yes It Is permet de dire “c’est un vrai produit”. En novembre 2016, j’étais CEO et le premier salarié. Nos employés sont arrivés petit à petit, et on a complété dès qu’on avait l’opportunité.

Que propose ton entreprise aujourd’hui ?

On est capable aujourd’hui de recréer [ce] process dans des objets. Le premier [produit] sorti était Revive, une étiquette connectée pour un disque (…) : on scanne avec un simple smartphone, et cela envoie une requête d’abord au serveur d’authentification Yes It Is. Le serveur reconnaît le produit, puis peut ouvrir une page web, des vidéos, des applis, tous les contenus de communication ou de services comme la garantie. Les objets ont un identifiant unique, ce qui fait qu’on peut les tracer en SAV. On peut aussi traiter des droits d’auteur en musique par exemple. On est sur une technologie qui permet d’ouvrir sur du service.

Le disque connecté Revive, qui a donné le slogan de Yes It Is « connecting labels ». Et le trophée du CES Awards 2017

Yes It Is a bénéficié de deux apports majeurs depuis sa création. Le premier a été le Bivouac. Qu’en retires-tu aujourd’hui ?

Nous avons tenté notre chance [au Bivouac] d’abord en candidat libre, puis à [l’appel à projets] Agritech vers avril 2017 où nous étions lauréat, et on a intégré à quatre : Sandra [Garnier], Laura [Piganiol], Anthony [Graignic] et moi. Le Bivouac, j’ai trouvé ça extraordinaire : [après Sopra], je me retrouvais dans une ambiance d’innovation permanente, d’échanges et d’émulation que je ne connaissais pas. Le côté famille marque beaucoup – incarné par Maman 😉 ie Sandra – on s’entraide vraiment tous, les salariés du Bivouac comme les start-uppers. En général, on a de très bonnes relations.

« On s’entraide vraiment tous, les salariés du Bivouac comme les start-uppers »

Ça apporte beaucoup de solutions réseau : quand tu as une question, tu as une réponse. Ça m’a aussi permis de trouver mes premiers clients, des partenaires du Bivouac qui jouaient le jeu (…). La mise en réseau est capitale, et c’est l’apport principal du Bivouac.

En terme d’accompagnement, j’ai bien ressenti un malaise d’organisation, mais ça ne m’a pas trop impacté car j’étais assez autonome. La clé pour moi était d’échanger, de participer aux événements, aux trophées et aux concours. Le Bivouac nous a apporté beaucoup de visibilité, c’est évident : il y a une vraie force de communication autour du Bivouac, avec le relais [capital] de Clément Posada.

Second apport, le CES Las Vegas, qui a généré beaucoup de réseau et de visibilité …

Le CES, on y est allé en 2017 et 2018, et ça a été un succès énorme, avec comme avantage un contact très rapproché avec des décideurs de grandes boîtes françaises. On a pu développer une grosse relation de confiance qui a perduré par la suite. [Pour réussir le CES,] le point-clé, c’est la préparation : il faut avoir un objet physique à présenter et une grosse équipe, car c’est épuisant ! (…) Nous avons rencontré 300 clients intéressés la première année.

L’équipe Yes It Is au CES Las Vegas. Fatigués mais heureux

Je pense aussi qu’il faut profiter de la présence française, mais dans des zones thématiques comme les “wearables”. Si tu passes les concours [payants et les résultats étant en octobre précédant l’événement, ndlr], les retombées sont énormes et tu as le temps de préparer ta communication ! Le plus dur finalement, c’est de capitaliser sur ce que tu rapportes du CES.

Au final, on a gagné 2 awards : un sur Revive en 2017 et un sur l’IoT, [avec] un boitier prenant la température et l’humidité qui est au format de carte de crédit et qui relève les données pendant 1 an, toutes les minutes.

En 2018, tu as conclu une levée de fonds. Quel en était la motivation ?

C’était une étape logique : nous avions des clients, de grands comptes – tous intéressés – et derrière cela demandait d’augmenter nos capacités commerciales et de production ; on ne pouvait pas les porter tout seul. On a donc recherché des financements et été amenés à échanger avec Sofimac et le Crédit Agricole, qui sont entrés au capital – on a senti qu’on était passés à un autre niveau. L’enveloppe globale est d’environ 2 millions, incluant l’acquisition d’une usine en Bulgarie et une équipe étoffée (dix personnes en Auvergne aujourd’hui, une quinzaine fin 2018, plus une trentaine en Bulgarie). On a aussi des présences commerciales en Chine, en Europe… On est devenus une petite PME, on ne parle plus de startup. On ne veut plus paraître comme une jeune entreprise à risque.

« On est devenus une petite PME, on ne parle plus de startup. »

A l’international, c’est concurrentiel. Mais, à la différence de nos concurrents, on maîtrise la chaîne de valeur complète : la production, la plateforme de sécurité, le développement des applications et la mise à disposition des datas. On a des partenariats internationaux avec des acteurs stratégiques comme STMicro, NXP, Microsoft… Cela nous permet de proposer des produits très bien placés niveaux prix. Par exemple, la carte de prise de température sera autour de 10 euros, 7 ou 8 fois moins cher que les concurrents.

Comment as-tu vécu la croissance rapide de ta boîte ?

J’ai pris une grande vague, de la fin 2017 jusqu’à l’été 2018, sans interruption : tu [gagnes] de la notoriété, tu as des gros clients, la croissance externe, la recherche de financements, tout en même temps. Et tout vient en face, plus l’équipe à gérer, les volets administratifs… C’est considérable. Ça a correspondu à la période relative à la levée de fonds, d’ailleurs c’est souvent ça pour les startups. Il y a aussi une redescente [après cette période], et ça peut générer des problèmes ! Mon conseil, c’est de trouver son adjoint bien avant la levée de fonds, pour se libérer sur la gestion courante et ne pas avoir à la traiter [en parallèle]. (…) En plus, tu passes par une phase comme si tu avais appuyé sur le frein commercialement parlant, car tu vois moins tes clients.

C’était important pour toi, de créer Yes It Is en Auvergne ?

Cette aventure, il fallait la faire à Clermont. Cela fait 22 ans que je vis ici, et avec mes associés, nous ne concevions pas de le faire ailleurs. Le réseau et la proximité de l’écosystème sont uniques : l’accès aux décideurs, aux réseaux…Il y a une sorte d’entraide locale qui n’existe pas ailleurs dans ces proportions. De plus, faire une startup à Clermont la rend mécaniquement plus visible que noyée à Paris. (…) Si tu as une simple bonne idée, cela peut plus facilement marcher ici.

Que manque-t-il selon toi à notre écosystème d’innovation ?

Pour moi, il y a les bons acteurs ici pour t’aider, même si je trouve que les partenaires privés du Bivouac pourraient davantage investir : c’est le moment, je pense, d’aller chercher des partenaires privés internationaux. Pour les startups du numérique, il est obligatoire d’avoir des partenaires sur des grands acteurs type Amazon, Google, SAP, Oracle, FB, IBM… Il faudrait qu’ils soient partenaires du Bivouac ou de l’écosystème. Cela passe par les grands acteurs locaux comme Michelin [ou Limagrain], qui travaillent déjà avec ces acteurs, ou par Digital League. Les SSII type Cap Gemini, Atos ou Sopra ne sont pas assez présentes, c’est dommage. [Mais], au final, je suis fier [d’avoir créé Yes It Is] à Clermont, [avec] mes associés. C’est une histoire collective, qu’on voulait faire ici, dans ma ville proche de la nature.

*NFC (Near Field Communication) : technologie de communication sans fil à courte portée et à haute fréquence, permettant l’échange d’informations entre des périphériques jusqu’à une distance d’environ 10 cm dans le cas général.


Pour en savoir plus :
le site de Yes It Is
le site du CES Las Vegas
le site du Bivouac


Propos recueillis le 23 juillet 2018 place de la Victoire, sélectionnés et réorganisés par la rédaction pour plus de clarté puis relus et corrigés par Emmanuel.
Crédits photo : Damien Caillard pour la Une, Emmanuel Ranc pour les photos du CES.

Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)

      • #SansContact – Originaire de Lozère, Emmanuel souhaitait très tôt monter son propre projet entrepreneurial. Il s’oriente vers la dimension technologique du « sans contact » notamment chez Sopra Steria, où il reste près de 15 ans. La technologie NFC, selon lui, permet de sécuriser des échanges à courte portée. Les usages à venir seront autour de la traçabilité et de l’authentification des produits.
      • #YesItIsLogiquement, c’est sur ce pari que s’est monté Yes It Is, l’enreprise d’Emmanuel. Son but : « traiter l’identité numérique des objets » en proposant des services associés. Créée en 2016 avec 7 associés, Emmanuel en est devenu dès le début le CEO. Son offre consistait à créer des « étiquettes connectées », comme avec Revive, un 33 tours dont la gestion des droits musicaux peut être faite en approchant un smartphone, permettant une connection au serveur YEs It Is pour l’authentification puis les services associés.
      • #LeBivouacYes It Is est devenue lauréate de l’appel à projets Agritech du Bivouac, en 2017. Emmanuel a beaucoup apprécié l’ambiance du booster de startups, qualifiée « d’innovation permanente, d’échanges et d’émulation » avec beaucoup d’entraide et une ambiance quasi familiale. Professionnellement, les apports les plus intéressants étaient sur le réseau, les premiers clients, et la possibilité de participer aux événements.
      • #CESLasVegas – Yes It Is a également pu se rendre par deux fois au CES Las Vegas, en 2017 et 2018. Cela a permis de contacter énormément de décideurs de grandes entreprises, en montant une vraie relation de confiance. Selon Emmanuel, les points clé du CES sont la préparation, le fait d’avoir un objet concret à présenter, et la présence d’une grosse équipe pour gérer les flux. Egalement, la capitalisation en aval, notamment quand on participe à des concours (payants,mais à très fortes retombées). Deux produits Yes It Is ont d’ailleurs été primés.
      • #LevéeDeFonds2018 – Le succès de l’entreprise a entraîné de fortes attentes de ses clients et partenaires, notamment en termes d’augmentation des capacités de production. La solution : une levée de fonds de 2 millions, obtenue en 2018 grâce à Sofimac Partners et au Crédit Agricole Centre France. Cela a permis d’étoffer l’équipe en France mais aussi d’acquérir une usine en Bulgarie – afin de maîtriser la chaîne de valeur – , et de développer la présence commerciale à l’international. Yes It Is est désormais une vraie PME.
      • #GestionCroissance – L’accélération apportée par le Bivouac puis par le CES a intensifié fortement le rythme de travail de l’équipe Yes It Is, et notamment d’Emmanuel, sans parler de la préparation de la levée de fonds. Une fois celle-ci obtenue, il faut également se méfier de la « redescente ». Emmanuel conseil de trouver un adjoint de qualité mais bien avant la levée de fonds, afin de se libérer de la gestion courante, et de ne pas trop « freiner » en matière commerciale.
      • #EcosystèmeLocal – Emmanuel et ses associés voulaient monter Yes It Is à Clermont, de par leurs origines mais aussi la qualité et la proximité de l’écosystème d’innovation, la facilité de contact avec les décideurs locaux. Selon Emmanuel, les partenaires privés du Bivouac gagneraient à davantage s’investir dans le soutien à l’écosystème, mais aussi à s’ouvrir à des acteurs internationaux comme Amazon, Google, SAP …

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.