Par Damien Caillard
Avec Cindy Pappalardo-Roy
Chez Michelin, l’innovation passe notamment par des figures familières. Si vous arpentez l’écosystème clermontois, vous aurez des chances de connaître Fabien Marlin : présent avant et aux débuts du Bivouac, parmi les initiateurs de l’incubateur IPO, co-fondateur du Connecteur, membre actif du Club Open Innovation et maintenant à la manette du Customer Lab Michelin, Fabien est un passionné d’innovation qui n’hésite pas à transmettre son enthousiasme. Homme de réseaux, il est impliqué dans plusieurs projets d’objets connectés dont une start-up, Ingenious Things. Preuve en est qu’il sait aussi prendre des initiatives pour faire bouger les choses.
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On parle beaucoup d’innovation chez Michelin, forcément. Mais comment cela se concrétise-t-il selon toi?
L’innovation coule depuis toujours et plus que jamais dans les veines du groupe sans qu’elle soit strictement organisée et silotée. Il y a bien sûr toujours le dispositif des « idées progrès » qui permettent de repérer les innovateurs et les intrapreneurs, et de les mettre en valeur. Mais il est vrai que Michelin a l’intelligence de savoir bénéficier de ce que les gens vivent hors du groupe et qui les fait grandir aussi.
Chez Michelin, vous n’êtes pas qu’une personne que l’on cherchera à faire correspondre à une fiche de poste. Votre poste, c’est vous qui le faites, grâce à vos compétences comportementales, votre personnalité, votre savoir-être, vos aspirations et écosystèmes personnels. Tout cela pour se remémorer une maxime chère à François Michelin : « Deviens qui tu es » ; car quoi qu’il arrive on sait que l’innovation est favorisée par les valeurs humaines de ceux qui la portent. Cette maxime , je la vois, avec bonheur, prendre de plus en plus d’ampleur au sein du groupe.
« Quoi qu’il arrive on sait que l’innovation est favorisée par les valeurs humaines de ceux qui la portent »
Tout fait système, ne l’oublions jamais : les individus, les entreprises, les associations, la vie de quartier, l’entrepreneuriat… Ces innombrables connexions forment des synergies précieuses car potentiellement transformatrices, et il est crucial que le groupe puisse les encourager et les recycler pour développer son énergie propre et, par là, son capital innovation. Plus les individus se sentent libres d’expérimenter ailleurs que dans le groupe et plus ils auront envie, naturellement, de faire profiter Michelin de leurs trouvailles et de leurs avancées.
L’innovation n’a pas de frontières et sa source réside entièrement dans la circulation des savoirs, dans le « frottement » des différentes influences entre elles. Dans mon cas par exemple, tout ce que j’ai appris avec la création du Bivouac, d’Ingenious Things, du Connecteur, et d’autres réseaux liés à l’innovation et à l’entreprenariat, je tente de le ramener à l’intérieur, de le porter et de l’incarner au quotidien : c’est mon trésor personnel et mon don permanent à l’organisation qui en retour me permet de le décupler – il est là le cercle vertueux à encourager !
Plus spécifiquement, tu as mis en place et tu animes le “Customer Lab” Michelin. De quoi s’agit-il?
Chez Michelin, le Customer Lab a été créé en mars 2018 pour aider les lignes business du groupe à développer de nouvelles offres de services, autour ou en dehors du pneu, de l’idéation jusqu’au prototypage. Nous sommes nous-mêmes en train d’évoluer, car là où le Lab a démontré le plus de valeur, c’est dans l’exploration des besoins et dans l’expérience utilisateur, ainsi que dans l’animation de la co-construction (nous utilisons la méthodologie du design thinking). Un sujet qui arrive, on avance dessus avec le client. Le rôle du Lab est de dire s’il y a un besoin client robuste, une appétence marché suffisante pour que le service soit valorisable.
« L’innovation n’a pas de frontières et sa source réside entièrement dans la circulation des savoirs »
J’ai eu la chance d’être chef de projet pour la mise en œuvre de ce Customer Lab, et j’ai une plus grande chance encore de pouvoir l’animer aujourd’hui. Je peux vous assurer qu’il faut beaucoup de qualités relationnelles pour discuter avec les lignes business et les différents acteurs du groupe, tout en restant à l’écoute des clients, internes ou externes. Il est vrai que nos commanditaires sont avant tout internes, en conséquence de quoi on doit s’efforcer en permanence de cerner au mieux leurs besoins et leurs attentes et de les faire notre au maximum.
Le défi? Comment faire coïncider des commanditaires qui ont des idées assez précises de ce qu’ils veulent avec ce qu’on va en faire en aval. Nous n’avons qu’un an d’existence, on peut progresser, on va progresser, mais… Nos « clients » sont globalement satisfaits. Donc moi aussi !
Au fond, tu cherches à changer en profondeur les habitudes et les organisations…
Grâce à la pratique du Design Thinking, au sein mais aussi au-delà du Lab, nous apportons un état d’esprit différent ; que ce soit dans les méthodes de travail ou la mise en valeur des compétences comportementales : gestion de l’incertitude, adaptabilité, esprit critique, droit à l’erreur. J’avais participé au montage de l’incubateur interne de Michelin, dès 2014, avant son déménagement au Bivouac en 2016. Ça m’a appris plusieurs choses sur la méthode et l’accompagnement des porteurs de projets internes, mais aussi sur la culture interne : comment développer de nouveaux process sans forcément venir en confrontation de l’organisation, mais en l’accompagnant dans le changement … Cela m’a beaucoup aidé deux ans plus tard pour la mise en place du Customer Lab. D’autant plus que pour la construction du Lab, j’ai eu les coudées franches ; tout est donc allé plus vite, avec une volonté de mise en place et d’expérimentation rapides (apprendre en marchant).
Tu fais aussi partie de ces “Bibs” qui ont une forte activité périphérique dans l’écosystème d’innovation, notamment en participant à la création du Connecteur…
On parle souvent de sérendipité (créer quelque chose de façon inattendue), et le Connecteur en est l’exemple type. Nous étions quelques-uns, avec des activités diverses (entrepreneurs, leader TEDx) et on a constaté qu’il y avait un vide (J’aime bien l’expression : “La nature a horreur du vide”) dans l’écosystème d’innovation régional. Le Connecteur (association loi 1901) a été créé pour répondre à ce vide et polliniser, insuffler un nouvel esprit. Ces premières années ont un bilan plutôt positif, même si on n’en est encore qu’au début de l’aventure.
Par exemple, c’est bien d’informer, ce que l’on fait. Mais après, il faudra former et transformer en profondeur (je suis convaincu de l’enchainement logique InFormer, Former, TransFormer).
Tu parles beaucoup de transformation. Que veux-tu dire par là?
L’exemple-type de problème de transformation concerne les PME régionales… On est en Auvergne, certes dans des petites structures dynamiques et compétitives, mais qui n’ont pas les moyens d’avoir un poste dédié à l’innovation et qui n’ont pas cette capacité temps de se tourner vers l’extérieur pour voir les nouvelles pratiques (à l’exception de celles qui ont en leurs murs un collaborateur personnellement impliqué dans un réseau externe). Historiquement, leur capacité d’innovation réside souvent en celle du dirigeant ou du fondateur. Pour moi, Le Connecteur et le Club Open Innovation [Auvergne] sont des outils adaptés à cela.
« On parle souvent de sérendipité, et le Connecteur en est l’exemple type »
Dans ce Club Open Innovation qui souffle sa première bougie, on peut rencontrer et échanger avec des acteurs de l’innovation locale. Une fois par mois, nous nous réunissons pour aborder des sujets d’innovation et traiter des problématiques amenées par les adhérents. L’idée est maintenant de comprendre comment, au travers de la capitalisation de nos apprentissages, nous pourrions aider les petites et moyennes entreprises qui en auraient besoin.
Parle nous justement de ce Club Open Innovation Auvergne…
Tout d’abord l’open innovation pour moi, c’est exactement mon ADN : de la connexion, de l’animation de réseau, de la création d’intelligence collective. C’est ma colonne vertébrale. Toute ma vie a été faite comme ça : je suis fils unique (j’ai toujours dû faire l’effort d’aller vers les autres, écouter, comprendre avant de collaborer), et très curieux de nature (ce qui me pousse en dehors de mon activité de base à toujours essayer d’aller chercher de nouvelles pratiques et de nouveaux horizons).
J’ai toujours aimé rendre service, aider les autres, et notamment mettre en relation une personne qui a une difficulté avec une autre qui aura la solution. Toute ma carrière s’organise autour des aventures collectives vécues pour créer du nouveau, du rapide, du différent ensemble.
Reste un ingrédient magique à la recette : il faut savoir donner avant de prendre, et ça malheureusement, beaucoup de gens ont du mal à le comprendre.
Ce qui me plaît dans ce Club Open Inno, c’est la simplicité de fonctionnement et de contact, la bienveillance, la dynamique. Mais comment ouvrir davantage le Club sans perdre la notion de confidentialité qui lui est nécessaire ? Peut-être pourrait-on proposer une forme d’accompagnement à des entreprises tierces qui veulent faire de l’open innovation, et brainstormer avec elles. Il faut que nous puissions sensibiliser en formant des gens qui pourront transformer et former à leur tour. Partager la philosophie de ce qu’on fait, pour que les gens passent de clients à acteurs.
Peux-tu nous résumer ton parcours?
Après 14 années d’expériences diverses et variées, de cheminot à créateur d’entreprise en passant par différentes fonctions marketing ou achat ou direction de business unit, en 2013, j’ai repris en main ma « carrière ». Depuis un moment, j’étais en questionnement, je me sentais à l’étroit professionnellement avec un besoin profond de me recentrer sur ce qui faisait sens à mes yeux. Parallèlement je m’intéressais à l’entreprise libérée, au rôle de l’humain dans les organisations et à tous les sujets liés à l’entreprenariat/intrapreneuriat.
« Ce qui me plaît dans ce Club Open Inno, c’est la simplicité de fonctionnement et de contact, la bienveillance, la dynamique »
Après avoir benchmarké les différentes possibilités de satisfaire ma curiosité, j’ai postulé à l’exécutive MBA dispensé par l’EM Lyon : “Entrepreneuriat” sur 18 mois ; 18 mois qui ont profondément changé mon approche du travail et ma compréhension du monde extérieur et à quelle vitesse il bougeait désormais.
En m’inscrivant, je m’étais imposé de trouver un job à la sortie du MBA, si possible dans le domaine de l’entrepreneuriat ; il n’y avait pas à l’époque de lieu propice dédié à ce domaine à Clermont. Je me suis dit que n’étant jamais mieux servi que par soi-même, pourquoi ne pas réfléchir à en créer un? J’ai décidé de songer à un tel dispositif (un incubateur local) et j’en ai fait mon projet mémoire de MBA.
Et grand bien m’en a pris. Cela m’a permis de faire des rencontres clés : Franck [Raynaud], d’Auvergne TIC (qui réfléchissait au même sujet avec Guillaume [Vernat] et d’autres acteurs locaux), et Alexis [Offergeld] et Sandra [Leclerc] de Michelin, qui avaient connaissance d’un projet d’incubateur interne pour accompagner les sujets portés par des intrapreneurs Michelin !
Après plusieurs rendez-vous avec le leader Europe du programme incubateur et l’équipe de recrutement, j’ai commencé le lendemain de mon retour de voyage de fin de MBA à Shanghai chez Michelin pour monter l’incubateur interne, et en parallèle sur le dossier d’incubateur régional pour finaliser mon projet mémoire. C’était une période un peu complexe car les frontières entre les deux sujets pouvaient parfois sembler minces, mais au final cela a permis de mettre en cohérence et en action l’ensemble des forces du territoire ; et surtout de faire partager des compétences, connaissances et relations/réseaux entre le groupe et les acteurs locaux de l’entreprenariat ; déjà un mini connecteur…
Dernière casquette : Ingenious Things, une start-up dans les objets connectés que tu as co-créée…
Ingenious Things, c’était une autre opportunité. C’est la rencontre avec Paul [Pinault] qui a fait qu’on a voulu s’inscrire dans ce projet commun, que l’on a monté avec Guillaume [Radenkovic], Daniel [Petisme] et Fabrice.
Lire notre entretien avec Paul Pinault (6 avril 2018)
Ingenious Things, dont je suis président, développe des objets connectés intelligents communiquant essentiellement via des réseaux bas débit (Sigfox ou Lora). Foxtracker, outil de tracking ; MyTeepi, qui est dédié à la gestion à distance de résidences secondaires ; Martin, un avertisseur de baisse de tension des batteries pour clôtures électriques destinées aux éleveurs – sont trois produits quasi prêts à aller sur le marché.
Au final, Ingenious, c’est une suite assez logique à ces dernières années et surtout une superbe aventure humaine grâce à laquelle je peux rester à la pointe des connaissances du monde de l’entreprenariat, des réseaux (FrenchTech, réseaux locaux) et de nombreux autres sujets d’innovations sociales et technologiques.
Pour en savoir plus
Le site de Ingenious Things
Le site du Connecteur (mais vous êtes déjà dessus !)
Le site du Club Open Innovation Auvergne
Le site de l’Innovation Michelin
Entretien réalisé par Damien Caillard. Propos sélectionnés et réorganisés pour plus de clarté par Cindy Pappalardo-Roy, relus et corrigés par Fabien.
Photos de Fanny Reynaud pour l’anni Connecteur 3 ans, Fabien (ou quelqu’un de sa famille, sans doute) pour celle de Fabien enfant, Vivatech et Ingenious Things. Le reste est de Damien pour le Connecteur.
Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)
- #InnovationChezMichelin : Pour Fabien Martin, « l’innovation coule depuis toujours et plus que jamais dans les veines du groupe« . Michelin a compris que l’innovation est favorisée par les valeurs humaines de ceux qui la portent. L’innovation n’a pas de frontières et sa source réside entièrement dans la circulation des savoirs, dans le frottement des différentes influences entre elles ; pour Fabien, c’est par exemple ce qu’il a appris avec la création du Bivouac, d’ingenious Things ou encore du Connecteur.
- #CustomerLab : Chez Michelin, il a été créé en mars 2018 afin d’aider les lignes business du groupe à développer de nouvelles offres de services, autour ou en dehors du pneu, de l’idéation jusqu’au prototypage. Fabien a été chef de projet pour la mise en œuvre de ce Customer Lab, et l’anime aujourd’hui.
- #ÉcosystèmeInnovation : Fabien est un des acteurs clés de l’écosystème local d’innovation. Il parle notamment de la création du Connecteur : « Nous étions quelques-uns, avec des activités diverses, et on a constaté qu’il y avait un vide dans l’écosystème d’innovation régional. Le Connecteur (association loi 1901) a été créé pour répondre à ce vide et polliniser, insuffler un nouvel esprit. »
- #Transformation : Pour Fabien, la notion de transformation est importante. Pour lui, il y a un problème : Il y a en Auvergne des petites structures dynamiques et compétitives, mais qui n’ont pas les moyens d’avoir un poste dédié à l’innovation et qui n’ont pas cette capacité de se tourner vers l’extérieur pour voir les nouvelles pratiques. Il ajoute : « Historiquement, leur capacité d’innovation réside souvent en celle du dirigeant ou du fondateur. Pour moi, Le Connecteur et le Club Open Innovation sont des outils adaptés à cela.«
- #ClubOpenInnovation : L’open innovation, pour Fabien, c’est de la connexion, de l’animation de réseau, de la création d’intelligence collective ; sa « colonne vertébrale« . Ce Club Open Innovation, c’est la simplicité de fonctionnement et de contact, la bienveillance, la dynamique. Pour ouvrir davantage le Club sans perdre la notion de confidentialité qui lui est nécessaire, il souhaite proposer une forme d’accompagnement à des entreprises tierces qui veulent faire de l’open innovation, et brainstormer avec elles.
- #IngeniousThings : Fabien a monté cette startup avec Guillaume, Daniel et Fabrice ; il en est le président. Son but est de développer des objets connectés intelligents communiquant essentiellement via des réseaux bas débit. Pour lui, c’est aussi « une suite assez logique à ces dernières années et surtout une superbe aventure humaine grâce à laquelle je peux rester à la pointe des connaissances du monde de l’entrepreneuriat.«