Entretien / Nicolas Rigaud, portes ouvertes

Entretien / Nicolas Rigaud, portes ouvertes

Par Damien Caillard


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Quand on porte un projet innovant sur Clermont, il est facile de rencontrer Nicolas Rigaud : animateur d’un réseau technologique et « secrétaire » du Comité Innovergne, il est naturellement au carrefour de nombreuses dispositifs d’accompagnement. Orienté vers les aides publiques – un tropisme inhérent à la Maison Innovergne qui l’emploie – mais très sensible à tous les acteurs de l’écosystème, Nicolas défend les valeurs de neutralité, de bienveillance et d’ouverture. Et il porte un regard à la fois optimiste et réaliste sur notre écosystème.

Ton premier rôle au sein d’Innovergne est « animateur de réseau » : en quoi cela consiste-t-il ?

La Maison Innovergne comporte deux services : la Cellule d’Interface Technologique (CIT), en contact avec les entreprises et les créateurs ; et le Réseau de Développement Technologique (RDT), dédié aux structures publiques ou parapubliques qui accompagnent les entreprises sur les territoires. Moi, je suis l’animateur de ce réseau.

Historiquement, le RDT a une mission de veille et de mise à disposition de contenus auprès de ses membres. Plus précisément, il leur adresse des informations liées à des programmes d’accompagnement publics ou à des actions collectives de soutien aux entreprises, à l’attention d’organisations qui animent et suivent des entreprises sur un territoire donné ou une filière d’activité spécifique  (comme des collectivités territoriales, des CCI territoriales, des chambres de métier, des clusters, des syndicats professionnels, etc.).

L’équipe de la Maison Innovergne, avec Nicolas au centre en arrière-plan

Au final, avec l’aide précieuse de mon équipe [Maria Warmé et Sarah Ferreira], nous facilitons les connexions entre ces diverses structures, qui constituent toute la richesse du réseau. Par ailleurs, le RDT assure également des missions d’appui aux entreprises et de professionnalisation de ses membres au management de l’innovation en faveur des entreprises suivies sur le terrain.

Tu travailles à la Pardieu, au sein de la Maison Innovergne. Pourquoi est-ce une « Maison » ?

La Maison est un symbole : il s’agit d’un collectif de 13 acteurs publics ou para-publics qui disposent tous des compétences dans le management de l’innovation, sous un toit commun dénommé Maison Innovergne. Il y a deux types de partenaires : soit des acteurs disposant d’outils d’appui financiers, comme le Conseil Régional ou BPI France, soit des « techniciens » qui ont une expertise dans l’accompagnement de projets d’innovation. C’est le cas de la Cellule d’Interface Technologique [évoquée plus haut], dont les conseillers doivent résoudre ce qu’on appelle les « verrous technologiques » liés aux projets d’entreprises. Enfin, il y a des partenaires qui disposent des deux types d’outils, comme CCI Innovation ou l’ADEME*.

« La Maison Innovergne, c’est un accompagnement collectif de projets individuels d’innovation. »

La « Maison » Innovergne est un message plus simple pour les porteurs de projets : en venant voir un des acteurs du collectif, ils seront mis en contact avec la Maison Innovergne qui les orientera vers les structures les plus appropriées. C’est un accompagnement collectif de projets individuels d’innovation.

Mais ton autre rôle historique est de coordonner le « Comité Innovergne »

Le Comité Innovergne a été créé en 2007, bien avant la Maison Innovergne [dont la première convention date de 2011]. Avec le Comité, les financeurs publics de l’innovation travaillaient déjà ensemble. Pourquoi ? Simplement parce que, au niveau du territoire auvergnat, ils ne sont pas très nombreux et que le bon sens suggérait de rassembler ces acteurs pour un gain de temps et de fluidité. Ainsi, le porteur de projet peut rencontrer en une seule fois les acteurs susceptibles de l’aider.

Concrètement, le Comité se réunit une fois par mois et examine en une journée des demandes d’aide financière à l’innovation, préalablement sélectionnées par les partenaires de la Maison Innovergne. L’avis du Comité est consultatif, mais comme il est pluri-disciplinaire (il y a entre 8 et 15 opérateurs autour de la table), il est très souvent suivi par les financeurs.

Comment se passe une session du Comité ?

Le porteur de projet dépose une demande d’aide à l’un des partenaires. S’il est retenu, il vient le jour du Comité et dispose de 20 minutes pour présenter son projet. Ensuite, 20 autres minutes sont consacrées à des questions, puis le Comité délibère pendant les 20 minutes restantes. Cela fait un projet par heure, et au maximum 8 à 9 projets par session. De belles journées ! Mais ça se passe très simplement, avec beaucoup d’échanges. Au total, nous voyons entre 90 et 100 dossiers par an.

Nous avons deux postulats très importants : d’abord, porter un regard bienveillant sur le porteur de projet. On n’est pas là pour juger les personnes ou leur projet. Nous devons être neutres. Mais il faut aussi être constructif. C’est pourquoi il y a toujours des recommandations fournies au porteur de projet, même en cas d’avis négatif. On leur transmet le message suivant : « voilà ce que nous avons retenu de l’entretien, nous le portons à votre connaissance« . Nous faisons bien notre boulot quand nous posons les questions qui peuvent fâcher, celles que le porteur de projet ne veut pas traiter.

« D’abord, porter un regard bienveillant sur le porteur de projet. »

Enfin, les critères d’examen des demandes résident dans deux questions très simples : est-ce que le projet relève de l’innovation, au sens des aides publiques ? Et, si oui : est-ce qu’il y a potentiellement une activité économique avec un impact positif sur le territoire. Il faut répondre « oui » à ces deux questions pour que l’avis soit favorable.

Tu parles de définition publique de l’innovation. Est-ce uniquement technologique ?

Historiquement, oui. D’ailleurs, les membres du RDT accompagnent davantage les entreprises dans leurs process, les nouveaux produits ou services associés à la technologie, notamment dans le milieu industriel. Les innovations de nature technologique ont d’ailleurs l’avantage d’être plus faciles à caractériser.

En 2014, il y a eu un point d’inflexion : la notion d’innovation s’est élargie. Aujourd’hui sont également à considérer les nouveaux usages, les modèles d’affaires et les services émergents qui n’existaient pas jusqu’à présent, ainsi que les approches plus larges telles que l’innovation environnementale ou sociétale. C’est ce que BPI France appelle « l’innovation nouvelle génération« .

Quelle a été la conséquence sur les porteurs de projets ?

Les créateurs de start-ups, on en suivait depuis 2007 [via le Comité Innovergne], par exemple dans les biotechnologies. Depuis 2014, c’est sur la typologie des porteurs de projets qu’il y a eu un changement : au-delà des start-ups sortant de laboratoires universitaires ou d’écoles d’ingénieurs, nous rencontrons de plus en plus d’auto-entrepreneurs, d’autodidactes qui n’étaient pas forcément des spécialistes techniques mais qui avaient une vision de nouveaux services à apporter.

Nicolas à l’animation de l’événement « Coup de Coeur Innovergne » en novembre 2016, avec Easymov Robotics (Noël Martignoni à droite) et Jean-Pierre Brenas, président du GIP Innovergne, au centre. Objectif : mettre en avant une structure accompagnée par Innovergne

As-tu constaté cette évolution au Comité Innovergne ?

Oui, d’autant plus que les porteurs de projets sont de plus en plus accompagnés. Cela se sent, on voit un certain professionnalisme dans la construction de leur argumentaire et dans la présentation du projet. Ils ont maturé plus vite que ceux qui arrivent « la fleur au fusil ». Maintenant, au niveau local, il existe davantage de méthodologie et d’incubateurs qui peuvent les accompagner. On observe d’ailleurs qu’il y a deux publics générationnels qui se présentent au Comité Innovergne : les jeunes qui sortent de leurs études, et les quadras-quinquas, qui ont déjà fait une partie de leur carrière et qui ont un background méthodologique de gestion de l’entreprise.

« Les porteurs de projets sont de plus en plus accompagnés. »

L’autre tendance de fond, c’est bien sûr le développement des solutions numériques. Selon les années, ça peut représenter jusqu’à 40% des projets que l’on passe au Comité Innovergne. Alors que, auparavant, on était sur un tiers de projet issus des sciences de la vie, un tiers d’informatique/numérique, un tiers de sciences de l’ingénieur. L’élargissement de la définition d’innovation en 2014 a indéniablement eu un effet d’ouverture, avec la notion de « nouveaux services » qui transcende les classifications traditionnelles, soit techniques, soit marketing.

Tu as une position de choix au carrefour de l’écosystème clermontois. Comment fonctionne-t-il ?

Je trouve que l’écosystème local marche plutôt bien. Il y a une vraie dynamique locale. Par rapport aux métropoles de taille équivalente, on est loin d’être les derniers, même si les Auvergnats n’aiment pas faire la promotion de leurs réussites. Ailleurs, il y a des situations bien plus difficiles avec des prés carrés, où les acteurs n’interagissent pas. Ici, ça ne marche pas si mal ! J’en veux pour preuve le fait que nous avons de nouveaux partenaires dans la convention Maison Innovergne chaque année, comme récemment l’incubateur Cocoshaker, et bientôt le Bivouac.

Quelles sont les tendances qui s’y dessinent, selon toi ?

L’interaction entre secteurs public et privé avance naturellement, et même assez vite. Mais ces partenariats ne vont pas tout résoudre. Et puis, on peut avoir des stratégies qui vont se heurter, des agents économiques qui auront leur propre calendrier de développement. Les agents publics, eux, doivent pouvoir aider n’importe quel porteur de projet, c’est-à-dire sans jugement préconçu par rapport à un champ économique stratégique. Moi, je sens quand même qu’il y a une volonté publique et politique de faire beaucoup plus travailler les agents économiques. Après, il y a du tâtonnement pour savoir exactement où on va fixer la limite entre ce qui relève du périmètre d’un agent privé et de celui d’un agent public. Mais c’est normal, parce qu’on est dans ces premières années …

Nicolas participant à un atelier « open innovation » du Connecteur, animé par Sylvain Poisson (de dos) lors du dernier Salon Eurêka. Se tenir au courant des évolutions de l’écosystème est essentiel.

Ce que je trouve globalement très stimulant, c’est qu’on est en train de changer d’état d’esprit par rapport à la notion d’échec dans l’entrepreneuriat. La France, institutionnellement, n’aime pas l’échec. Les élites ne parlent que des succès. Sauf qu’avant d’y arriver, on a dû « tomber sept fois pour se relever huit« , comme l’écrivait le samouraï Miamoto Musashi. Ou, pour paraphraser Nelson Mandela : « je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends. ». L’échec fait partie du processus d’apprentissage. Mais, pour progresser, il ne faut pas reproduire les mêmes erreurs.

Quel est pour toi le principal point de vigilance pour l’avenir ?

Ce qui est important, qu’on soit un accompagnateur privé ou public dans la création ou l’accompagnement d’entreprise, c’est de rester humble et méthodique. Reconnaître qu’on ne sait pas tout faire. Et, surtout, ne pas juger les gens, et savoir dire non aux porteurs de projet lorsque nous estimons que les éléments fondamentaux ne sont pas réunis.

« On est en train de changer d’état d’esprit par rapport à la notion d’échec dans l’entrepreneuriat. »

Pour moi, dans un projet d’innovation, le facteur humain est essentiel. Ce n’est pas vraiment un lieu commun ! Je suis animateur de réseau, je m’occupe d’un « réseau social physique ». Je n’ai pas réponse à tout, même si je connais un certain nombre de champs de compétences ou d’écosystèmes. Par contre, je fais bien mon boulot lorsque j’ai mis en connexion un besoin avec une offre de service qui y réponde. Finalement, je suis un bon animateur de réseau quand le réseau fonctionne tout seul, entre entrepreneurs et acteurs du développement socio-économique.

 

*à ce jour, les partenaires de la Maison Innovergne sont : Etat, Région Auvergne-Rhône-Alpes, CCI Innovation, Université Clermont Auvergne, Clermont Auvergne Métropole, Bpifrance, Incubateur BUSI, ADEME, SATT Grand Centre, Incubateur Square Lab et depuis février 2017, CocoShaker. De plus, la structure du GIP Innovergne – qui chapeaute la Maison Innovergne – est présidée par Jean-Pierre Brenas, conseiller régional, et dirigée par Frédéric Poignant.


Pour en savoir plus:
le site de la Maison Innovergne


Article basé sur les entretiens du 8 septembre à la CCI Formation, synthétisés et réorganisés pour des raisons de clarté, puis relu et corrigé par l’intéressé.

Crédits photo : Innovergne, Damien Caillard pour le Connecteur

Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)

  • #Rôle / Nicolas est animateur du RDT, le Réseau de Développement Technologique. Sa mission (avec son équipe) consiste à faire de la veille et diffuser aux membres du réseau les informations liées aux initiatives publiques ou collectives d’accompagnement aux entreprises, et de faciliter la mise en relation des structures ;
  • #MaisonInnovergne / la Maison Innovergne est un collectif de 13 acteurs publics et para-publics autour de l’accompagnement de l’innovation. Les partenaires peuvent avoir un tropisme lié à des outils financiers ou à une expertise « technique ». La Maison Innovergne a ainsi un rôle d’orientation dans l’écosystème ;
  • #ComitéInnovergne / le Comité Innovergne rassemble les partenaires de la Maison Innovergne lors de sessions destinées à évaluer les demandes d’aide financière à l’innovation. L’avantage est que le porteur de projet peut rencontrer en une fois les acteurs susceptibles de l’aider. L’avis du Comité est consultatif, mais très souvent suivi par les acteurs du financement ;
  • #DéroulementSession/ les sessions du Comité Innovergne sont mensuelles. La demande du porteur de projet se fait en ligne, puis les projets sont pré-sélectionnés et le porteur est invité à se présenter devant le Comité. 20 minutes de pitch, 20 minutes de questions-réponses, 20 minutes de délibération. Le Comité veille à être à la fois bienveillant, neutre et constructif – même en cas d’avis négatif. L’examen est basé sur la définition publique de l’innovation et sur l’impact potentiel sur le territoire ;
  • #DéfinitionInnovation/ si l’innovation était historiquement plus axée sur la technologie, notamment dans l’industrie, elle est depuis 2014 bien plus large, portant à la fois sur les usages, les process, et les domaines sociétaux et environnementaux ;
  • #EffetSurPorteurs/ la conséquence a été principalement une diversification des porteurs de projets qui se présentaient auprès du Comité Innovergne, avec beaucoup plus d’auto-entrepreneurs ;
  • #EvolutionComité/ en conséquence, ces porteurs de projets ont pu bénéficier de davantage d’accompagnement, via des incubateurs locaux notamment. De plus, les publics à la fois jeunes (sortie d’études) ou « intermédiaires » (quadra/quinqua bénéficiant d’une certaine expérience professionnelle) se sont développés. Enfin, les innovations basées sur les solutions numériques sont de plus en plus fréquentes ;
  • #RegardEcosystème/ Nicolas porte un regard assez positif sur l’écosystème de l’innovation clermontois, en particulier par rapport à d’autres écosystèmes – parfois plus grands – avec bien moins d’interaction entre les acteurs ;
  • #Tendances/ dans l’avenir proche, l’interaction public/privé devrait se développer, car il y a selon Nicolas une vraie volonté publique de faire travailler les agents économiques. Les problèmes peuvent néanmoins se poser sur les frontières et les périmètres, ce qui est normal dans un écosystème encore jeune. Une satisfaction toutefois : l’évolution de fond sur la notion d’échec et d’apprentissage ;
  • #PointVigilance/ la clé est de rester humble et méthodique dans l’accompagnement d’entreprise, assumer de ne pas tout savoir et pouvoir dire non quand il le faut. Le travail de Nicolas est avant tout de la mise en réseau, entre les personnes et entre un besoin et une solution, au sein d’un écosystème d’acteurs variés.

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.