Par Damien Caillard
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Il a créé et piloté des années durant Pecheur.com, aujourd’hui leader du e-commerce d’articles de pêche. Il a lancé ensuite AirSport, start-up clermontoise mettant en relations sportifs et entreprises. Et il reste très attaché au dynamisme et à la vitalité de notre écosystème d’innovation. Olivier Bernasson, graphiste de formation, pêcheur passionné, créateur intègre, se qualifie lui-même de « dinosaure », mais un dinosaure bienveillant et toujours en soutien des nouveaux projets.
Ta réputation s’est bâtie sur Pecheur.com. Mais c’était initialement un site communautaire, monté par un passionné de pêche …
Je n’ai pas d’exemple de communauté créée de manière artificielle, avec quelqu’un qui vient de l’extérieur. J’avais envie de faire quelque chose sur Internet. J’ai découvert le Net en 96 … tout de suite j’ai commencé à bidouiller des pages, et je me suis rendu compte qu’il y avait un territoire avec des choses à faire, et que ça rebrassait les cartes. Ça a été sur la pêche parce qu’à l’époque il n’y avait rien sur le sujet. [Le but premier,] c’était de créer un outil me plaisait. En tant que pêcheur, j’avais besoin de ce truc, et j’aimais y passer du temps. Et tu t’aperçois que de nombreux projets Internet qui arrivent à se développer, à un moment donné, ça répond aux besoins du créateur.
Tu bâtis une communauté parce qu’elle existe au départ. Tu lui donnes simplement le lieu où elle peut s’exprimer et trouver les outils qui l’intéresse. A l’époque où on a bâti ces forums [en 2001], il n’y avait pas beaucoup d’espaces comme ça, on était dans la préhistoire des outils. Et surtout, s’agissant d’une niche, on s’est aperçu qu’il fallait traiter la niche comme un ensemble de micro-niches, et c’est ça qui a permis au système de fonctionner : on avait un forum pour les pêcheurs de carpe, pour les pêcheurs de carnassiers, etc. Les mecs se retrouvaient dans leur tribu, et pas simplement dans une communauté pêche qui, en fait, n’existe pas. Si on ne prend pas la mesure de ça, forcément c’est compliqué.
Comment Pecheur.com est-il devenu le modèle de site e-commerce que l’on connaît aujourd’hui ?
Il faut se souvenir que, quand on a démarré Pecheur.com, il n’y avait pas de business model derrière. C’était un portail de rencontre, d’échange de compétences avec des guides, des journalistes, et des gens qui venaient partager leur passion. [Avec Pierre Ourliac, co-fondateur de Pecheur.com], on était une web agency. (…) on se servait de Pecheur.com pour tester des choses, des briques logicielles, et quand ça marchait on les mettait sur les sites de clients. Pecheur.com était un outil de recherche et de développement
En 2002, on s’est mis à faire du e-commerce pour financer ce que ça nous coûtait, car Pecheur.com brassait tellement de monde et nous prenait tellement d’énergie que moi, finalement, je ne bossais plus pour la boîte de com. Donc, à mi-2002, on met en place une place de marché. Parce qu’on n’est pas marchands d’articles de pêche non plus, on sait pas faire, on n’a pas le matériel, pas le contact avec les fabricants … Très vite, on a eu de la croissance. [Mais] on s’est aperçu que le modèle de la marketplace sur la pêche ne permettait pas, en partageant les marges entre le revendeur et nous, d’arriver à investir beaucoup.
On s’est dit qu’on devait se mettre en relation directe avec les fabricants, devenir nous les vendeurs. Même en bâtissant la logistique, on gagnerait mieux notre vie qu’avec une marketplace. Ensuite, partir à l’international, même si c’est plus une étape forte qu’un pivot. Il y a aussi eu une évolution entretemps de sortir de la pêche et de s’étaler en horizontal sur les loisirs nature: chasse, randonnée, animalerie … Et un pivot est en cours depuis quelques années : changer le modèle « zéro stock » en modèle avec du stock.
Pourquoi avoir été basé sur un modèle sans stock ?
Pendant longtemps, on était zéro stock avec un catalogue exhaustif. Significativement, un gros magasin de pêche a 3000 à 4000 références. Nous, très vite, on a eu 10 000 références … et aujourd’hui c’est plus de 220 000 en catalogue. Notre modèle a été celui d’Amazon en travaillant sur la longue traîne. On s’est dit : à partir du moment où on ne porte pas le stock, où on n’a pas à l’acheter, pourquoi on ne propose pas tout ce qui existe au monde entier ?
« Si on commence à faire le choix à la place de l’utilisateur, notre modèle se pervertit. »
Le pêcheur, quand il va dans son magasin de pêche, il ne voit jamais tout ce qu’il y a. Il voit le choix qu’a fait, pour lui, un détaillant d’articles de pêche de manière très arbitraire. [Or], on ne doit pas faire le choix à la place de l’utilisateur : oui, on a plus de marge sur ce produit, et alors ? C’est pas pour ça qu’on doit plus vendre sur ce produit. Si on commence à faire le choix à la place de l’utilisateur, notre modèle se pervertit.
Quel est alors l’impact potentiel de ce dernier pivot ?
Très clairement, il y a un risque là dessus parce que, forcément, dès que tu portes du stock, tu perds ta neutralité, tu as envie de te débarrasser de ton stock.[Aujourd’hui], dans l’offre globale, le délai est devenu un élément très très fort notamment à cause d’Amazon qui triche fiscalement et socialement mais qui est capable de te livrer dans des délais très courts. Pas forcément avec des bons prix d’ailleurs (…) pourtant, ils imposent le tempo.
C’est environ à ce moment qu’un rapprochement s’est opéré avec Décathlon. Comment l’as-tu vécu ?
Je le vis comme quelque chose d’enrichissant, car humainement ça s’est toujours bien passé avec les personnes avec lesquelles on a travaillé. (…) Après, la déception est qu’ils sont venus sur un projet ambitieux, avec des synergies à mettre en place, et, qu’en 3 ou 4 ans, leur stratégie a complètement changé.
[En fait,] les hommes qui avaient racheté Pecheur.com et d’autres marques autour sont partis. La nouvelle direction générale a décidé d’adopter une stratégie nouvelle et que positionner des marques, comme Pecheur.com, installées autour de Décathlon, n’était plus à l’ordre du jour. Au moment où on lançait l’expansion à l’international. Il a donc fallu assez vite réapprendre à considérer qu’on était seuls.
L’open innovation avec un grand groupe a tout de même des avantages ?
Quand on sent qu’on a un grand groupe derrière, on sait qu’on peut investir, on n’est pas tout seul isolé dans la campagne. On va voir un banquier et on dit que la maison mère c’est Décathlon, c’est pas tout à fait la même chose que Olivier Bernasson. Ça ouvre des possibilités.
« Quand on sent qu’on a un grand groupe derrière, on sait qu’on peut investir, on n’est pas tout seul isolé dans la campagne. »
Quand on fait une plateforme de développement international qui va nous porter plusieurs années, avec tous les coûts d’investissements, de recherche, de développement … ce modèle là, si on avait été tout seuls, on ne l’aurait pas porté comme ça. Car ça n’aurait pas été supportable par nos partenaires et nos fournisseurs. Là, personne n’a pris peur parce qu’on était soutenus par Décathlon
Après ton départ de Pecheur.com, tu as investi dans de nombreux projets
Depuis la première partie de la vente à Décathlon [vers 2011], j’ai investi dans des start-ups. En tant que business angel ou co-fondateur. je suis sur une ou deux plateformes comme AngelSquare ou SmartAngels sur lesquelles je reçois beaucoup de dossiers. Tout le reste arrive par le réseau, ou des projets qui m’arrivent directement. [Pour moi,] les critères les plus importants sont: que je comprenne le business, que je me dise « c’est un truc que j’aurais aimé faire », et que l’expérience humaine avec le fondateur ou l’équipe fonctionne. Après, ça n’empêche pas de se vautrer. (…) J’ai eu aussi de très belles réussites, Easyflyer par exemple.
Et maintenant, tu t’es relancé dans une nouvelle start-up, AirSport. Quel est son pitch ?
AirSport c’est né un peu de la même manière que Pecheur.com : de te dire « il y a ce besoin, quelque chose qui n’est pas traité ». Moi, entrepreneur, j’avais la sensation qu’utiliser un sportif pour promouvoir mes produits, mes services, mon entreprise, c’est un truc inaccessible. Alors que c’est complètement l’inverse, et qu’à partir de quelques centaines ou milliers d’euros tu peux déjà faire des tas de choses.
On a l’impression que tous les sportifs gagnent des millions, c’est faux. Pour preuve, sur la sélection des sportifs français au JO de Rio l’an dernier, près de la moitié vit avec 500 € par mois. C’est indigne !
La question est donc: comment on peut faire pour que ces petits contrats, qui potentiellement sont très très nombreux, existent, et qu’on remplisse un rôle social de se dire « nos sportifs de haut niveau méritent d’avoir un niveau de vie décent, de pouvoir monétiser correctement leur image et en toute sécurité, pendant qu’ils le peuvent et après leur carrière », et comment faire en sorte d’aider les PME à associer leur marque aux valeurs d’un tel sportif ? Comment on peut créer cette relation, la sécuriser et l’industrialiser ? Et pour tout cela créer des petites campagnes de communication au niveau local, [par exemple] un opticien qui a envie d’utiliser la photo d’un sportif connu et reconnu avec des lunettes, etc. C’est la problématique à laquelle on essaye de répondre.
De Gannat avec Pecheur.com, tu t’es rapproché de Clermont avec AirSport. Participes-tu à l’écosystème d’innovation local ?
En 2007, on avait créé une sorte de petite structure informelle, qui fonctionne encore aujourd’hui mais de manière différente … on appelait ça les Auvergnautes. On faisait un repas informel tous les deux mois, il y avait Tristan Colombet [Prizee], Sébastien Pissavy [JeuxVideo.com], Franck Chapave [Brioude Internet], Julien Gouttenègre [Periscope] … petit à petit l’écosystème a changé, et aujourd’hui il ne reste plus grand monde sur son projet d’origine. Et sur le fond c’est tant mieux, ça signifie que l’écosystème vit !
« L’écosystème a changé … et c’est tant mieux, ça signifie qu’il vit ! »
On a traversé une époque où on a tout fait par nous-même, avec nos petites mains … et il n’y avait pas ce foisonnement d’outils. Je pense qu’à un moment, les « vieux », on peut être plus gênants qu’autre chose pour une structure comme le Bivouac qui travaille sur un écosystème jeune et foisonnant, qui doit s’inventer et trouver sa place. Les dinosaures, il faut qu’ils dégagent la piste. Je pense qu’on peut juste être là en appoint, pour aider. Après, je reçois énormément de demandes de start-uppeurs qui me demandent « pouvez-vous passer un peu de temps avec nous ? On a besoin d’avoir votre avis sur tel sujet », et je ne dirai jamais non. Ça me prend beaucoup de temps mais c’est toujours avec plaisir parce que ce sont des entrepreneurs, et comme c’est ça qui me fait vibrer.
Ce qui manque, ce sont une ou deux locomotives. Des projets de jeunes start-ups qui sortent, dont on parle nationalement, c’est aussi ça qui manque. Il y a plein de projets qui existent, mais il faut qu’il y en ait un ou deux qui donnent envie aux autres et qui leur dise « c’est possible ». A l’instar d’un bâtiment totem, il faut deux ou trois entreprises totem issues de cette nouvelle génération. Ça n’existe pas encore … mais ça va arriver !
Pour en savoir plus:
Le site de AirSport
AirSport est actuellement en phase bêta mais accepte les inscriptions.
Le site sera officiellement lancé en septembre 2017
Crédit photo: Joël Damase
Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)
- #communauté / Olivier Bernasson a d’abord créé Pecheur.com en tant que site communautaire. Les clés initiales de sa réussite étaient : réponse au besoin du fondateur (qui lui-même doit être un passionné), analyse de la communauté en micro-niches, sincérité dans l’approche (pas de but « business » derrière) … et plaisir à créer ;
- #pecheur / le site a rapidement évolué en marketplace puis en site e-commerce sans stock, grâce à l’expertise des fondateurs. Le dernier pivot concerne une bascule incluant du stock, qui présente des risques (la présence de stock pousse l’entreprise à « orienter » son offre) comme des opportunités (un stock minimal et fluide permet de réduire les délais, selon le « tempo » imposé par Amazon);
- #openinno / dès 2011, un rapprochement a été opéré avec Décathlon. S’il a pu consolider l’entreprise et initier sereinement un déploiement à l’international, il a pris fin de manière inopinée par un changement de direction chez Décathlon qui a remis en cause la stratégie générale d’acquisitions. Olivier a ensuite quitté Pecheur.com
- #investisseur / pendant toutes les années 2010, Olivier a investi ou co-fondé des start-ups. Il est très attaché à la compréhension du business, au lien spontané avec les porteurs du projet, et au fait qu’il aurait simplement bien aimé lancer ce projet lui-même;
- #airsport / Olivier est aujourd’hui co-fondateur d’AirSport, start-up clermontoise qui met en relation des sportifs et des entreprises (PME notamment) pour des opérations de promotion et de communication. Le lancement officiel est prévu en septembre;
- #écosystème / conscient de son statut d' »ancien », Olivier aide volontiers des start-ups qui souhaitent travailler sur une problématique, mais veille à ne pas imposer sa présence. Il aimerait néanmoins voir émerger des projets de start-ups leaders sur le territoire, pour dynamiser et entraîner l’écosystème.