Focus / Décollage immédiat pour les start-ups auvergnates

Focus / Décollage immédiat pour les start-ups auvergnates

Par Damien Caillard


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« Clewmont Fewan » essayaient de prononcer, non sans peine, les clients américains dans une vidéo de présentation Babymoov. Vu depuis San Francisco, Hong Kong ou même Londres, notre écosystème d’innovation paraît en effet bien petit … pourtant, il existe de nombreuses solutions sur notre territoire pour qu’une jeune start-up du numérique puisse partir à la conquête du monde. A condition d’en avoir les moyens, l’ambition et la conscience de ce que représente l’international.

L’international, c’est loin mais c’est beau

Une stratégie à l’export présente à la fois des opportunités indéniables et des risques réels. Côté pile, les start-ups du numérique développent par principe un service sur le web : ce dernier leur fournit immédiatement une visibilité globale et une capacité à toucher n’importe quelle cible, du moins en B2C*. Hervé Poher, directeur Auvergne communication et développement durable chez EDF, est également président du comité CCE Auvergne (Conseillers au Commerce Extérieur). Selon lui, les start-ups qui développent un service numérique grand public ont un énorme potentiel à l’international, dans la mesure où « ce sont des problématiques de l’on trouve dans de nombreux pays. Le numérique peut [même] créer des usages mondiaux » comme ce fut le cas avec les jeux sur mobile.

Côté face, la réalité est plus complexe. Le monde est composé de pays, d’usages et de réglementations très variées. Le niveau de risque est variable, selon le degré d’éloignement géographique ou culturel. Nathalie de Peufeilhoux est Chargée d’Affaires Entreprises au Pôle WAi (We Are Innovation, label de BNP Paribas pour l’accompagnement de l’innovation) pour la région Loire-Auvergne : « Parfois, quand on pense international, on imagine tout de suite un développement aux USA ou en Asie » résume-t-elle. « Or, travailler avec les pays limitrophes de la France, c’est déjà se projeter sur un autre marché en prenant moins de risques. ». Et de citer l’exemple de la Belgique, premier pays hors de nos frontières à accueillir 10 Pôles WAi sur le modèle français car il représente une « transition douce » en direction de l’international.

« Le numérique peut créer des usages mondiaux » – Hervé Poher

Mais, dans la conquête du marché mondial, la diversité des situations doit impérativement être prise en compte. « La première étape est vraiment de valider le potentiel du marché visé » estime Sylvain Mermillod, de BNP Paribas Trade Development, qui accompagne opérationnellement les sociétés innovantes clientes de la banque vers l’international, pour des missions de prospection commerciale ou d’assistance à l’implantation de filiales. « Souvent, en France, on peut avoir des produits qui sont très techniques, très innovants, et qui peuvent être en avance par rapport aux besoins spécifiques d’autres pays. » Exemple : un industriel innovant dans le transport frigorifique de vaccins, bien développé en Europe. Prospectant le marché chinois, il a réalisé- grâce à une étude menée par le cabinet partenaire de BNP Paribas Trade Development – que la règlementation locale y était moins exigeante.

Les start-uppeurs qui partent à l’international ne vont pas se faciliter la vie. « C’est clairement une difficulté en plus pour l’entreprise » souligne Hervé Poher, même si le jeu – bien préparé – en vaut la chandelle … et peut être vital à terme. Comment optimiser ses chances de succès dans ce cas ?

Quelques bonnes pratiques à l’international

Tout d’abord, adapter sa stratégie à son offre et au(x) marché(s) visé(s). Hervé Poher recommande d’user de la règle de Pareto : 20% des pays vont générer 80% des résultats. Encore faut-il les repérer, et optimiser son approche. Y aller éventuellement pas à pas, en commençant par nos voisins européens. Ou, au contraire, viser le marché américain, qui a l’inconvénient d’être difficile d’accès mais l’avantage d’être grand, riche et unifié (quand les réglementations européennes sont encore divergentes). Enfin, « la difficulté est d’apprécier (…) l’adaptation sociologique à réaliser » sur son offre et son approche, selon Hervé Poher : c’est l’exemple des questions qui se posent à 42tea, vis-à-vis de l’importance du thé en France, en Angleterre, en Chine, aux USA …

Le comité auvergnat des Conseillers au Commerce Extérieur organise notamment des événements comme ici le Trophée de la Performance Internationale, le 23 juin à l’ASM Expérience

Une fois les pays ciblés, il faut déterminer sa tactique d’approche. « Parfois, vous n’avez pas le choix« , notamment aux Etats-Unis, précise Nathalie de Peufeilhoux. « Vous pouvez être obligé de créer une structure là-bas (…) sans quoi vous ne pourrez pas signer de contrats. » La solution peut être l’ouverture d’une filiale, à vocation commerciale/marketing ou simplement juridique. Dans certains cas, une joint-venture peut être la solution, si l’on trouve un acteur local qui connaît bien le marché et qui a déjà un réseau de contacts ou de distribution. A noter également la logique inverse adoptée par exemple par Jérôme Iavarone (basé à Epicentre) pour la e-commercialisation de produits de beauté : l’utilisation d’un réseau numérique mondialisé comme Facebook, permettant une approche simplifiée, normalisée et hyper-ciblée des clients, pour un coût très modeste et une capacité permanente de test and learn.

« La première étape est de valider le potentiel du marché visé » – Sylvain Mermillod

Dans tous les cas, dès que l’on se frotte aux marchés mondiaux – même par la simple présence à un salon international – une protection s’impose. « C’est vraiment important en amont de bien déposer sa marque » insiste Sylvain Mermillod. « Ce n’est pas très cher, et cela vous donne les armes pour vous défendre. » De nombreux experts pointent du doigt des acteurs chinois notamment qui sont à l’affût des innovations mises en avant dans des événements professionnels. Ils se présentent comme partenaires potentiels, se renseignent, mais déposent rapidement la marque sur leur marché. A ce moment, c’est trop tard pour la start-up française**

Ces démarches sont pourtant complexes et engageantes. Pour fonctionner, elles nécessitent prévision et financement. « Il faut l’inclure dès le début dans les projections à 5 ans » recommande Hervé Poher. « Nous avons fait le constat post-crise [de 2008] que les entreprises qui résistaient étaient celles qui innovaient et qui étaient tournées vers l’international » résume Nathalie de Peufeilhoux. Elle s’occupait alors à Grenoble du premier Pôle Innovation de BNP Paribas en France : « L’accès à un marché mondial est dans l’ADN de ces start-up innovantes, qui doivent trouver, dès leur création, un marché suffisamment large pour se développer. » se souvient-elle. « Cela va à l’encontre des idées reçues selon lesquelles il faudrait déjà atteindre un certain niveau de développement en France avant d’accéder à un marché mondial. » Précision importante : il est toutefois nécessaire de réaliser la preuve de concept en France, pour valider l’offre mais aussi pour obtenir les financements qui vont permettre l’internationalisation.

Des solutions sur le territoire auvergnat

Le long chemin jusqu’au bout du monde ne doit pas nécessairement se faire seul. De nombreux acteurs du financement ou du monde institutionnel ont compris l’intérêt de soutenir dès le début les start-ups prometteuses à l’international. C’est l’objectif du comité des Conseillers au Commerce Extérieur, instance nationale disposant d’une antenne auvergnate particulièrement active, avec 35 membres. Le principe : développer l’export à travers la compétence des gens qui sont déjà à l’international. Si l’action de ce comité est plutôt orientée PME, Hervé Poher – qui le préside depuis début 2016 – officie fréquemment au bénéfice des start-ups à potentiel (ainsi, la mobilisation de 3 relais au sein des CCE pour Kalkin en début d’année). Le livre blanc édité en juillet 2016 par le comité CCE Auvergne aborde notamment la question de l’appui pour les start-ups numériques à l’export.

« Travailler avec des pays limitrophes, c’est prendre moins de risques » – Nathalie de Peufeilhoux

Un autre modèle d’accompagnement dédié est celui du Pôle WAi de BNP Paribas, dont s’occupe Nathalie de Peufeilhoux. C’est un des 16 pôles d’expertise de la banque dans notre pays, spécialisés dans l’accompagnement des start-up. Ce dispositif a été complété en 2017 par une extension de 44 pôles WAi au sein du réseau d’agences sur tout l’Hexagone. Au niveau local, le pôle WAi Loire-Auvergne est rattaché au Centre d’Affaires Entreprises qui accompagne de manière plus classique les PME de plus de 7 millions d’euros de C.A., et familier des sujets de développement à l’international. L’offre consiste à accompagner les start-ups sur tous les besoins en lien avec le financement (fonds propres, crédits bancaires) et pour faciliter leur croissance à l’international. « Nous mettons à la disposition des start-ups, dès leur création, un réseau d’experts et notre connaissance approfondie des écosystèmes régionaux et nationaux de l’innovation pour les aider à devenir nos belles ETI de demain« , insiste Nathalie de Peufeilhoux.

Les Pôles WAi de BNP Paribas sont présents sur toute la France et bien sûr à l’étranger

Les Pôles WAi mettent ainsi en avant une « approche pays par pays ». Une expertise si fine ne se trouvant pas forcément à Clermont, c’est le rôle de BNP Paribas Trade Development animé par Sylvain Mermillod pour l’Auvergne-Rhône-Alpes. « Notre démarche (…), c’est de trouver les meilleurs experts qui me paraissent les plus solides, les mieux introduits, dans toutes les situations à travers le monde. » résume-t-il. « L’avantage est de mettre en relation avec des acteurs qui traitent aussi des start-ups, et qui peuvent alerter sur des difficultés [déjà rencontrées]. » Ainsi, dans l’histoire chinoise de l’acteur du transport frigorifique de vaccins, le service Trade Development a pu réorienter et accompagner l’activité vers le Japon puis vers les Etats-Unis. D’autres sujets plus techniques, comme le risque d’impayés ou encore la connaissance des systèmes de distribution, font partie du panel maîtrisé par ces experts.

***

Le mot de la fin commence en forme de constat quelque peu amer : « en France, c’est assez rare que l’on voie dès le départ une vision du produit vers un marché international » regrette Hervé Poher. Membre du comité AT2I+ depuis 20 ans (qu’il préside aujourd’hui), il a vu de nombreux projets auvergnats basés sur de très bonnes idées « mais avec des volontés de s’agrandir [à l’international] qui n’étaient pas à la hauteur de la capacité du produit. » D’où la nécessité de toujours sensibiliser et soutenir les forts potentiels à l’export. C’est aussi le credo de Nathalie de Peufeilhoux, qui insiste sur l’implantation des Pôles WAi dans des écosystèmes de taille intermédiaire, comme celui de Clermont : « [ici], la start-up peut être mieux accompagnée parce que plus visible (…). L’accompagnement y est beaucoup plus personnalisé. En plus, les écosystèmes restreints ont la vertu d’accélérer et de pouvoir favoriser les échanges. C’est une chance pour les porteurs de projets, et cela contribuera au rayonnement local.« 

 

*même si la logique peut aussi fonctionner pour du B2B ou des marchés de niche, comme avec la start-up Hearwear Project portée par Guillaume Allermoz.
**à moins qu’elle ait suivi les conseils de cabinets experts locaux comme Laetamark qui avait animé un FlashCamp sur ce point au Bivouac.

Crédits photo : Office de tourisme de Clermont, Hervé Poher


Pour en savoir plus:

le site de l’antenne auvergnate des Conseillers au Commerce Extérieur
le site de We Are Innovation par BNP Paribas
notre entretien avec Jérôme Iavarone sur l’utilisation de Facebook en e-commerce mondial
  notre entretien avec Guillaume Allermoz sur la stratégie internationale B2B d’une start-up locale
notre compte-rendu sur le FlashCamp du 17/1/17 sur la protection des marques à l’international



Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)

  • #RisquesEtOpportunités / l’attrait de l’international est naturel notamment pour les start-ups du numérique, qui s’adressent à un marché mondial. Mais les risques sont réels, notamment liés à la complexité et à la diversité. Commencer par des pays limitrophes peut être une solution. Dans tous les cas, il faut jauger le « décalage » économique mais aussi culturel avant de se lancer à la conquête d’un pays en particulier. Et s’attendre clairement à ce que cela soit une difficulté en plus pour l’entreprise ;
  • #BonnesPratiques / il peut être nécessaire d’envisager une implantation dans le pays visé, sous forme de filiale ou de joint-venture. C’est même parfois une obligation juridique. A l’inverse, certaines start-ups peuvent avoir une approche très agile en privilégiant les réseaux numériques déjà mondialisés comme Facebook, et de simples relais locaux. Attention aussi à la protection de la marque. Dernier conseil : prévoir l’internationalisation dans les projections financières, basées sur une preuve de concept réalisée en France ;
  • #SolutionsLocales / plusieurs acteurs peuvent vous aider dans l’internationalisation sur Clermont. Par exemple, le comité des Conseillers au Commerce Extérieur, qui permet de se baser sur la compétence d’entreprises locales déjà à l’international. Une autre solution est celle du pôle WAi (We Are Innovation) de BNP Paribas qui accompagne les start-ups dans leur financement, en vue de faciliter la croissance hors de nos frontières, et via un réseau d’experts et le relais de plusieurs dizaines de pôles homologues ;
  • #Ecosystème/ culturellement, l’ambition internationale n’est pas toujours dans les gènes des start-ups nationales. Pourtant, les écosystèmes de taille intermédiaire comme le nôtre accompagnent mieux les projets, les rendent plus visibles, et bénéficient en retour de l’internationalisation de leurs start-ups.

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.