Par Damien Caillard
avec Cindy Pappalardo-Roy
Ancien PDG du journal les Echos, et créateur de l’événement Viva Technology avec Maurice Lévy de Publicis, Francis Morel revient pour le Connecteur sur la notion de proximité dans l’information économique, et sur les enjeux – avec le recul de 3 années réussies – du rendez-vous mondial des start-ups à Paris.
Comment analysez-vous la notion d’information “locale” aux Échos ?
Au journal Les Échos, on retrouve la dimension locale dans la proximité avec le client. Le digital permet surtout de cibler au plus près des besoins du client, localement ou sur une thématique. C’est la même démarche quand je veux cibler les PME de Clermont, les avocats d’affaires, les banquiers, etc. En termes éditoriaux, c’est la même chose : au lieu de parler d’une ville et d’un quartier, je parle d’une profession. C’est pour moi la même notion (…). Au delà du “local”, je préfère [donc] la notion de proximité, et c’est un des atouts fondamentaux du digital.
Qu’est-ce que cette notion de proximité change ?
Le but, c’est de connaître le client que l’on vise. (…) Avec ce que le numérique [apporte], compte tenu de la longue traîne et avec des coûts marginaux relativement faibles, je peux avoir une proximité très forte de ma cible. Au même titre que les start-ups. Cela dit, on a ouvert sur le papier, comme sur le site, un onglet “start-uppers” pour répondre à leurs problématiques. Et dans ces pages-là, on essaye d’être assez précis au niveau local. C’est comme nos pages “PME & Régions” : [c’est] un traitement [à part, sans doute] moins pertinent pour d’autres sujets.
Comment fonctionne cette approche locale à Paris ?
Il existe des difficultés spécifiques à Paris : qu’est-ce que le local, par exemple ? Les préoccupations des gens du 13ème sont complètement différentes de celles du 16ème ; ce sont comme des villes différentes sauf que la frontière n’est pas nette ! On a aussi une réflexion par départements. Mais, au niveau d’une région comme l’Ile-de-France, les départements sont quelque chose d’assez artificiel… Il faut donc repenser le rapport au local. Les logiques sont plus sociales que géographiques ou administratives. Ce qui peut nous faire évoluer, c’est la notion de Grand Paris : son découpage sera sous forme de secteurs, au sens géométrique du terme : ces “tranches” feront exploser le découpage administratif et c’est une opportunité pour nous.
Vous avez pourtant une approche un peu différente dans les Echos …
Oui. Sur les Échos, on n’a pas tenté de réflexion locale, le découpage étant socio-professionnel. On n’a pas tenté d’édition régionale, c’était compliqué à faire. En revanche, nous avons 11 correspondants locaux qui nous font remonter les problématiques [des territoires] – aucun journal national n’a ce nombre de correspondants ! Et je suis absolument persuadé que le redémarrage de l’économie française se fera par les régions. Aujourd’hui, Paris est plus un poids. Au-delà de la capitale, il y a une [vraie] dynamique, et c’est celle là qui fait avancer le pays. Que ce soit les grandes métropoles, les villes moyennes, certaines zones rurales… C’est une notion de dynamisme local, et c’est intéressant de [le] faire ressortir (…), éditorialement parlant.
Que pensez-vous des labels technologie et innovation ?
Je trouve que le label French Tech permet d’avoir un mouvement national qui [décloisonne] le côté parisien, même si je trouve qu’on reste un peu trop dans l’institutionnel. Je ne les connais pas très bien, [cependant] la collaboration avec Vivatech était intéressante. On a aussi depuis longtemps le Salon des Entrepreneurs (Paris, Lyon, Marseille…) qui met en avant la dynamique des [créateurs d’entreprises]; c’est un vrai succès, et on s’est demandé si on pouvait faire un “coin start-up” à l’intérieur de ce salon ; mais le mouvement digital était tellement important qu’il fallait faire un salon sur les développements digitaux en France.
Vous avez alors pensé à créer le salon Vivatech …
Ce qui existait, c’était le CES Las Vegas. Pouvait-on faire quelque chose d’une telle ampleur ? Car on voulait faire un Salon qui soit d’envergure internationale. J’ai rencontré Maurice Lévy en novembre 2015, qui venait participer à un débat avec des lecteurs ; j’ai discuté avec lui du projet, et à ce moment-là il préparait les 90 ans de Publicis, avec une énorme opération autour du digital pour les 90 prochaines années. Pourquoi ne pas faire ça ensemble ? C’est comme ça que le projet a démarré.
Qu’avez-vous retiré de la première édition ?
Ça a été un très gros succès, avec 80 000 personnes de toutes les régions et toutes les grosses sociétés internationales. Quand on voit les participants de 2018, on avait Microsoft avec Satya Nadella, Facebook avec Zuckerberg, Google avec Eric Schmidt, Uber… c’était un vrai événement start-up français, reconnu à l’international. [Grâce à] l’apport fondamental de Publicis et [aux] contacts internationaux de Maurice Lévy, qui connaît tous ces gens. Finalement, les Échos est un journal assez franco-français ! Nous ne sommes pas le Financial Times, même si nos journalistes ont des contacts dans le monde entier. Et, aujourd’hui, on peut dire qu’il y a deux gros événements dans le monde pour les start-ups : le CES et Vivatech.
Quelle expérience peut-on tirer de ce salon ?
La clé réside dans les keynotes, avec la participation physique sur les stands de toutes les grandes entreprises. L’évolution depuis trois ans s’est faite à la fois sur les régions et l’international, chacun se nourrissant de l’autre. Sur les visiteurs, on est passé de 40 000 à 80 000. Ce qui a fait le succès du salon, c’était la collaboration entre les grandes entreprises et les start-ups sur une thématique, qui les hébergeait et les faisait réfléchir sur les points qui constituaient leur métier. Il y a une collaboration dans les deux sens, typique de l’open innovation. C’était l’ambition de base : les faire travailler ensemble de sorte à ce que chacun profite de l’autre. D’ailleurs, quasiment toutes les sociétés présentes en année une étaient là en année trois, et c’est parce qu’elles ont énormément appris de ce travail en commun.
Quel est votre avis sur l’open innovation dans les régions en général, et à Clermont en particulier ?
Je pense que c’est absolument fondamental. Mais ce n’est pas aussi répandu qu’on le dit ; néanmoins, c’est essentiel d’en parler, de pousser pour que ça existe, par exemple par ce que fait le Connecteur. Je pense que le local a un rôle très important à jouer, la proximité physique parce qu’on peut se voir facilement… C’est une adaptation locale de l’affectio societatis : on se voit souvent, on a envie de travailler ensemble. Il y a là un dynamisme, une cross-fertilisation beaucoup plus grande qu’en région parisienne. Paris est trop grand ! À Clermont, on vit ensemble. Il y a une valeur aux initiatives [issues des villes] de taille moyenne, en local. Ça a du sens de le faire, mais ça doit venir des territoires.
Pour en savoir plus :
le site des Echos
le site de Viva Technology
Crédit photo : Damien Caillard pour le Connecteur