Le Damier organisait pour ses adhérents une journée de conférences et témoignages dans le cadre de sa programmation OBLIC (Observatoire et Laboratoire de l’innovation Culturelle). Chaque année, Le Damier propose un nouveau thème aux acteurs des ICC (Voir notre article sur l’édition 2023, les enjeux environnementaux). Cette année, le thème choisi était celui de l’incontournable IA. Incontournable parce que, force est de constater que depuis novembre 2022, date du lancement grand public de Chat GPT 3, le sujet anime les conversations les plus débridées, dans les médias, dans les établissements d’enseignement, dans les entreprises …
Le Damier interroge donc cette “innovation qui vient bouleverser les pratiques et les métiers des acteurs culturels (création, production, diffusion), et également questionner en profondeur les enjeux sociaux et environnementaux majeurs dans le secteur. Le but: donner des clés de compréhension aux professionnels pour qu’ils puissent en saisir les enjeux.
La petite histoire de l’IA
Pour démarrer la journée, c’est David Gal-Regniez, directeur technique de Minalogic (*) qui présentait un rapide rappel historique de ce que l’on appelle l’intelligence artificielle et que l’on devrait nommer au pluriel.
Pour David Gal Regniez, cette histoire démarre dès l’Antiquité, avec les trépieds d’Ephaïstos et des philosophes comme Aristote qui ont conceptualisé des formes primitives de logique automatisée. Puis au XXe siècle, Alan Turing pose les bases théoriques de l’IA avec son test de Turing, définissant une machine capable de simuler l’intelligence humaine. Les décennies suivantes verront des avancées notables suivies de coup d’arrêts, en raison de promesses non tenues notamment. Avec l’augmentation de la puissance de calcul et l’accès à de grandes quantités de données, les années 2000 marquent un renouveau spectaculaire, avec des progrès dans l’apprentissage profond et l’apprentissage automatique, révolutionnant des secteurs allant de la traduction automatique à la conduite autonome.
(*) Minalogic est le Pôle de Compétitivité des technologies numériques en Auvergne-Rhône-Alpes.
Petit récap visuel issu de la présentation de l’un des intervenants, Pierre Blaise Dionet de CityShake.
IA, créativité et environnement
Le débat de l’une des conférence portait d’une part sur la question des bénéfices et/ou des freins et de l’autre, sur celle des impacts environnementaux. Et donc, in fine, l’I.A booste-t-elle la créativité des professionnels au péril d’un modèle soutenable ?
Les échanges et témoignages relèvent que, d’un côté, la créativité propulsée par l’IA explose avec des artistes qui testent et interrogent les modèles, comme les réalisations ‘disruptives’ du collectif Obvious. Ce sont des œuvres conçues avec des réseaux antagonistes génératifs (GAN) qui ont non seulement bousculé les frontières de l’art traditionnel mais ont aussi posé de nouvelles questions sur la nature de la créativité et de l’auteur. Le rapport à la technologie comme outil, … Ce collectif explore comment les algorithmes peuvent être appliqués à l’art pour générer de nouvelles formes esthétiques, questionnant ainsi les rôles de l’artiste et de la machine dans le processus créatif. Ils participent activement à des discussions sur l’intersection de l’art et de la technologie, cherchant à pousser les limites de la créativité assistée par ordinateur.
De nouvelles frontières
A côté de cette nouvelle potentialité se pose la question opposée, celle du risque d’uniformisation. Tous les intervenants s’accordent pour admettre que l’on identifie aisément une création issue de Midjourney ou Dall.e. En effet, elle repose sur des jeux de données identiques. On sait par ailleurs qu’ils sont biaisés puisqu’ils sous représentent certaines catégories. Et de surcroit, qu’ils posent la question des droits d’auteur. Ainsi récemment interviewé à la radio, l’écrivain John Grisham revenait sur la grève des scénaristes d’Hollywood et plus largement, sur cet enjeu de protection de la création au travers de la manière dont les IA sont alimentées en utilisant les œuvres antérieures pour nourrir leur propre ‘créativité’ …
Pour Philippe Boisnard, artiste et chercheur, autre intervenant, il y a une vraie démarche de co création et de collaboration à nouer avec les algorithmes, à condition de les nourrir avec ses propres créations et de développer une intentionnalité artistique forte et unique. Constat partagé par Elise Astord, co présidente de Vidéoformes, le festival des arts numériques, qui a cette année exposé une œuvre réalisée par et avec une intelligence artificielle.
Tous les deux soulèvent le côté « boite noire » des outils d’intelligence artificielle générative aujourd’hui. Et donc la question à la fois de la prévisibilité des résultats et de la maîtrise de l’intention artistique.
Un coût énergétique énorme
De l’autre côté, il y a aussi l’enjeu d’éco-responsabilité à l’ère technologique. Dans un contexte où la crise climatique exige des réponses immédiates et efficaces, l’IA est souvent présentée comme une solution miracle, un outil “techno-solutionniste” capable de nous aider à optimiser nos ressources, à réduire notre empreinte carbone pour, en fin de compte, à sauver la planète.
Ou alors, comme le prédit plutôt Alex de Vries, thésard de l’université libre d’Amsterdam (relaté par Géo notamment), “En se basant sur les prévisions de production de nouveaux serveurs, d’ici 2027, la consommation mondiale d’électricité liée à l’IA pourrait augmenter de 85 à 134 TWh par an, soit l’équivalent de la consommation annuelle d’électricité de pays tels que les Pays-Bas, l’Argentine et la Suède.” Certes il pourrait y avoir amélioration mais selon le paradoxe de Jevons ou l’effet rebond, chaque amélioration de l’efficience énergétique génère aussi une croissance de l’usage … qui annule l’optimisation. Il conclut par « cette croissance potentielle montre que nous devons être très attentifs à l’utilisation que nous faisons de l’IA. Elle consomme beaucoup d’énergie, et nous ne voulons pas l’utiliser dans toutes sortes de choses dont nous n’avons pas réellement besoin. »
Une culture du ‘juste assez’ à renforcer
Pour Damien Mascheix, Data Scientist chez Michelin, il faudrait pouvoir mutualiser les travaux plutôt que de multiplier les initiatives. Cette phase de recherche est extrêmement consommatrice d’énergie. Pour autant, la phase d’exploration actuelle est très concurrentielle, il est donc difficile d’ouvrir largement la collaboration. Pour Isabelle Pons, de Sopra Steria, l’enjeu est d’activer la logique du « Good enough ». Elle relève notamment que, pour une fois, les contraintes budgétaires et environnementales suivent la même courbe et devraient contribuer à alimenter les décisions de nouveaux développements plus raisonnables.
A la recherche du point d’équilibre
On voit bien qu’il ne peut pas y avoir de jugement manichéen. On peut juste peser des arguments, élargir peut être un peu sa perception … L’IA a indéniablement ouvert de nouvelles avenues de créativité, permettant aux artistes, concepteurs, et créatifs de tous horizons d’explorer des territoires inédits. Par exemple, dans les arts visuels, l’IA peut générer des images uniques qui seraient difficiles, voire impossibles, à concevoir sans l’aide de ces technologies. De même, dans la musique, l’IA peut composer des pièces complexes, offrant de nouvelles inspirations aux compositeurs. Ces outils peuvent donc être vus comme des amplificateurs de créativité, en offrant de nouveaux outils et perspectives.
Mais d’autre part, il est légitime de craindre que l’IA ne contribue à une certaine uniformisation de la créativité. Il y a un risque que beaucoup d’œuvres générées par IA finissent par se ressembler, surtout si ces outils sont basés sur des ensembles de données similaires. Ceci dit, l’un des participants notaient que cette forme de consanguinité existait aussi dans les écoles d’Art où on peut reconnaitre la patte d’un prof !
En vidéo
Prise de hauteur : retour du SXSW
Pierre Blaise Dionet est tout juste de retour du South by Southwest (SXSW) à Austin au Texas. Le SXSW contribue à brosser les grands traits de l’innovation. C’est à la fois un lieu de découverte des dernières technologies mais aussi, à travers de nombreuses conférences, ateliers et panels, un lieu de partage de connaissances et d’expériences sur les directions futures de l’innovation technologique et leur impact sociétal, environnemental, éthique, culturel…
Amy Webb, par exemple, connue pour être futurologue et fondatrice du Future Today Institute, est régulièrement une des voix les plus attendues à SXSW pour ses interventions sur les tendances technologiques émergentes, les « signaux faibles ». Ses analyses peuvent aborder des innovations spécifiques dans des domaines comme l’IA, la génomique ou la robotique, et comment elles pourraient remodeler des secteurs comme la santé, l’éducation, ou la finance dans les décennies à venir.
Amy Webb, paroles d’oracle – extrait de la synthèse réalisée par PB Dionet
La conférence SXSW 2024 d’Amy Webb s’est concentrée sur la convergence de l’intelligence artificielle (IA), des connectables (réseaux d’appareils interconnectés) et de la biotechnologie, qu’elle regroupe sous le terme de « super cycle technologique ». Elle souligne l’impact profond que ces technologies convergentes auront sur la société, l’économie et notre vie quotidienne. Amy Webb explique comment l’IA, désormais une technologie de base, continuera d’évoluer et de s’intégrer dans divers secteurs, stimulée par le besoin de données plus diverses et substantielles. Cette évolution verra l’émergence de grands modèles d’action (LAMs) et une explosion cambrienne d’appareils conçus pour collecter ces données, appelés « connectables ».
Plus de capacité de calcul
Amy Webb aborde également l’avenir de l’informatique, mettant en lumière le rôle de la biotechnologie dans le dépassement des systèmes basés sur le silicium grâce au développement de l’intelligence organoïde (OI) et des biocomputers. Ces avancées promettent un calcul plus efficace et puissant mais soulèvent également des préoccupations éthiques et pratiques concernant la source et les droits.
Plus de concentration aussi
La conférence tire la sonnette d’alarme sur la centralisation du pouvoir et de l’influence parmi un petit groupe de leaders technologiques, mettant en garde contre un avenir techno-autoritaire. A.Webb plaide pour une planification et un ajustement proactifs de la part des gouvernements, des entreprises et des individus afin de garantir que le super cycle technologique profite largement à l’humanité plutôt que de conduire à des résultats négatifs comme l’aggravation des fractures numériques, la perte de la vie privée et les dilemmes éthiques.
Des recommandations ‘opérationnelles’
Créer un Ministère de la Transition Technologique
Les gouvernements et les entreprises doivent adopter une planification stratégique à long terme pour anticiper les changements et les défis liés à la technologie.
Concevoir des Hospices de Business pour un atterrissage en douceur
Amortir l’impact de l’IA sur la main-d’oeuvre, investir dans l’éducation et la formation de transition et de reconversion.
Redéfinition du système de valeurs des entreprises
Réévaluer les relations et interdépendances qui génèrent de la valeur pour votre entreprise, y compris les partenaires, fournisseurs et clients. Cela implique d’innover et de s’adapter face aux évolutions technologiques et du marché pour aligner stratégiquement votre réseau avec les objectifs de l’entreprise, garantissant ainsi résilience et avantage concurrentiel.
Règlementation & éthique
Les gouvernements doivent renforcer la réglementation et la surveillance des technologies émergentes pour protéger les citoyens et maintenir l’ordre social.
En savoir plus
Elle propose des ressources, y compris un rapport complet sur les tendances technologiques et des ateliers sur la prévoyance stratégique, pour permettre aux participants de façonner activement un avenir positif au milieu du super cycle technologique.
Tous les liens du SXSW https://cityshake.com/sxsw