La face cachée de l’aventure entrepreneuriale

La face cachée de l’aventure entrepreneuriale

L’entrepreneuriat est souvent rêvé, idéalisé. Mais qu’en est-il réellement ? Dans ce témoignage, Sébastien Caux nous livre avec (une rare) sincérité les hauts et les bas de sa vie d’entrepreneur. De la genèse de son projet à la gestion des crises, en passant par les épreuves du redressement judiciaire, il raconte, sans filtre, les défis financiers, émotionnels et humains qu’il a dû affronter. Ce récit dévoile les coulisses de l’entrepreneuriat, loin des clichés de succès faciles. Il nous rappelle que derrière chaque réussite se cache souvent une série d’obstacles surmontés avec courage.

Dossier spécial en partenariat avec Fidal Centre

Comme je t’ai déjà interviewé, est-ce que l’on peut resserrer la question ? A quel moment, dans ton parcours, tu t’es dit : « Tiens, si je montais ma boîte » ?

J’ai rencontré Isabelle Mounier de BUSI sur un forum en 2017. À l’époque, je bricolais avec des petits robots qui bougeaient tout seuls sur une table. Pour moi, c’était juste un loisir amusant; je ne pensais pas du tout à monter une entreprise. De fil en aiguille, j’ai commencé à envisager l’idée d’en faire une boîte. Et après deux ans d’incubation, j’ai finalement créé l’entreprise. Mon frère est arrivé comme premier salarié une semaine après la création.

Après le lancement d’Uniswarm, que se passe-t-il ?

Dans ses débuts, l’entreprise n’a pas connu un succès fulgurant, mais ça fonctionnait quand même pas trop mal. Nous avons rapidement obtenu des financements… Enfin, quand je dis financements, je veux dire qu’on s’est endettés pour monter une usine avec une première ligne de production.

Le tout premier financement était un prêt d’honneur de 50 000 € avec T2i. Puis, en juillet, on a eu un deuxième financement de 150 000 €, ce qui nous a permis de déménager, d’acheter le matériel et d’ouvrir l’usine en octobre 2019. Fin 2019, nous étions quatre au sein d’Uniswarm.

En 2020, arrive la pandémie. Comment est ce que vous gérez cette période ?

Ça a été un moment de panique, on ne savait pas trop ce qui allait se passer. On n’était pas trop inquiets sur l’activité, parce qu’on avait peu de clients et donc pas beaucoup d’argent qui entrait ou sortait. J’ai retrouvé les chiffres, en 2019, on a fabriqué seulement 37 cartes électroniques. Ce qui était plus difficile pendant cette période, c’était de maintenir le moral de l’équipe. 

OK. Donc, vous n’étiez pas trop inquiets. A quel moment as-tu commencé à t’inquiéter ?

Déja, il y avait quelque chose que je n’avais pas anticipé, ce sont les délais de financement. Même une fois signés, les financements mettaient un temps fou à arriver. Par exemple, le prêt T2I : on l’a signé le 11 janvier 2020, et les fonds ne sont arrivés que trois mois plus tard. Déjà quelques semaines après la création, on a failli tout arrêter faute de financements. Et encore, trois mois, c’était considéré comme rapide. Notre trésorerie en a pris un coup.

Avec la pandémie, on s’endette un peu plus. En 2020 et 2021, on a enchaîné plusieurs PGE parce qu’on ne travaillait pas assez et qu’il fallait payer les salaires chaque mois. Du coup, on prenait de nouveaux prêts pour tenir. Bizarrement, à l’époque, je ne me rendais pas compte de l’ampleur du problème. On entend souvent dire que les start-ups « crament du cash« , et donc, je pensais que c’était normal. Pourtant, dans ma vie personnelle, je suis très à cheval sur la gestion de l’argent. Mais là, j’étais en mode : “Tout va bien, on perd de l’argent, mais c’est normal.”

Puis en 2021, c’est devenu vraiment très compliqué. On s’endettait de plus en plus avec des prêts, des dispositifs comme Startup&Go et un dernier PGE. C’était l’année la plus catastrophique, pire que notre première année. On a fait 30 000 euros de chiffre d’affaires pour plus de 30 000 euros de cash burn par mois.

Mais personne ne vous a alerté ? Un expert-comptable ou autre ?

Si, mais on était en processus de levée de fonds. On avait recruté un business developer à la demande des investisseurs. Au fil des mois, j’ai senti que cette levée de fonds avait de moins en moins de chance d’aboutir. Les investisseurs ne disaient pas non directement, mais repoussaient toujours à plus tard. Quand la BPI a vu que les investisseurs se désistaient, ils ont aussi retiré leur soutien.

Et là, en trois mois, tout s’est effondré. Tous les financements reposaient sur cette levée de fonds d’un million d’euros. J’ai appelé mon expert-comptable pour voir ce qu’on pouvait faire. La seule solution, c’était de licencier. Mais il m’a dit que c’était déjà trop tard. Parce que les licenciements économiques, ce sont des processus très longs. Donc, en février 2021, trois ans et une semaine après la création de la boîte, on se retrouve au tribunal de commerce en cessation de paiements.

Et là, est-ce que tu réalises ? Comment ça se passe dans ta tête ?

Déjà, tu vas au tribunal et tu te dis : « Mais j’ai rien fait. » C’est peut-être con, mais c’est la première chose qui te traverse l’esprit. J’ai suivi tout ce qu’on m’a dit de faire : financer la boîte comme ça, recruter comme ça… Et je me retrouve au tribunal. C’est un peu fou. C’est là que l’on a décidé de reprendre les choses en main avec mon frère en se disant. “Maintenant, on va gérer la boîte à notre manière, comme on aurait dû le faire depuis le début. On dépense ce qu’on gagne, et point final. »

Vous êtes placé en redressement judiciaire et vous présentez un plan de continuation ?

Oui. On a présenté un plan basé sur la recherche de nouveaux marchés. Mais, honnêtement, je ne comprenais rien au fonctionnement du tribunal ou au redressement judiciaire. Maintenant que j’y vois plus clair, je me demande même comment notre plan a été accepté. Une boîte qui fait 30 000 € de chiffre d’affaires par an et qui crame 300 000 € par an… Franchement, ça n’avait aucun sens. Aujourd’hui, on est sur un plan de continuation avec un étalement de la dette sur 10 ans.

Pourquoi n’as-tu pas liquidé ta boite pour en remonter une plus tard ?

J’ai vu beaucoup d’avocats et d’entrepreneurs qui m’ont conseillé de faire ça. J’avais 940 000 € de dette directe et indirecte, presque millionnaire…Il y a de la dette qui est attachée à la société, mais il y avait aussi des prêts d’honneur. Et ça, personne ne te prévient que les créanciers te poursuivront jusqu’à ce que tu aies remboursé intégralement. Peu importe si tu es au chômage ou que tu n’as pas de revenus. Aujourd’hui, je rembourse 833 € en personnel par mois.

Je n’ai pas liquidé parce que je me suis dit que les prêts que j’avais obtenus avec une certaine facilité avant le Covid, je n’aurais jamais pu les avoir après. L’accès aux financements était bien plus compliqué. Et même si c’est une SAS et que « la boîte, ce n’est pas moi », on reste fiché Banque de France pendant cinq ans, ce qui bloque toute possibilité d’emprunt. Donc, oui, j’aurais pu recréer une boîte, mais sans aucun capital. 

Tu dis que tu ne connaissais pas du tout le monde du tribunal…Dans ton parcours entrepreneurial, ces sujets n’ont jamais été abordés ?

Non, jamais.Il y a bien un entrepreneur qui avait monté sa boîte un peu avant moi, qui avait été dans une grosse galère et qui avait liquidé. On avait un peu échangé, mais ça reste très tabou. Une fois, à la porte du tribunal, des gens m’ont dit : « Ah, ça y est, toi, c’est fini ? » Je leur ai répondu : « Non, je suis en redressement. » Et là, ils ont fait : « Ah bon ? D’accord. » Tu te dis : super, merci pour le soutien… Les gens ne font pas la distinction entre redressement et liquidation, c’est fou. C’est pour ça que maintenant j’en parle.

Et un redressement judiciaire, ça a un coût ?

Oui, ça aussi, personne ne t’en parle. Beaucoup vendent ou liquident avant de passer par là. Mais si je fais les comptes, ça nous aura coûté quasiment 50 000 €.  Les mandataires, les avocats – pour la société, mais aussi pour le social, qui coûte très cher. Et puis, il y a l’AGS, qui avance les salaires impayés. Mais il faut les rembourser avant la fin du redressement judiciaire, ou au maximum sur un an. 

D’accord. Et maintenant, vous êtes deux chez Uniswarm. Comment ça se passe ? Comment te sens-tu ?

Depuis que l’on est deux, on a diversifié nos activités. Avant, on était très spécialisés dans la robotique, même si on faisait déjà un peu de prestations spécifiques pour des robots. Mais les investisseurs n’aimaient pas ça. Pour eux, ce n’était pas « scalable ». Ils voulaient qu’on se concentre sur un seul produit qui pouvait être vendu en volume. Donc, on était forcé de refuser des contrats. Aujourd’hui, on accepte des demandes très différentes : fabrication, logiciel, conception… On a vraiment changé notre manière de travailler.

Avec le recul, qu’as-tu appris de tout ce parcours ?

Que tout est compliqué tant que ce n’est pas fait. Beaucoup de gens ont des idées, mais tant qu’elles ne sont pas réalisées, elles ne valent rien. Si je regarde ma roadmap de départ, j’ai commencé par les pires produits en termes de complexité. Sur le papier, ça avait l’air facile. Aujourd’hui, je travaille sur des produits beaucoup plus simples, mais qui ont autant, voire plus de valeur. C’est cool.

Et tu arrives à vivre correctement maintenant ?

Je viens d’une famille qui ne roule pas sur l’or. Je n’ai jamais gagné beaucoup d’argent, mais j’ai une limite : je ne veux pas me retrouver sans rien. Si un jour je ne peux plus me payer, j’arrête et je prends un job salarié. J’ai eu des propositions de boîtes internationales à 7 000 ou 8 000 € nets. Mais même si je gagne quatre fois moins aujourd’hui, j’ai une liberté et une fierté que je ne troquerais pour rien.

Et le côté positif, c’est que la première année de redressement judiciaire, on a fait le même chiffre d’affaires que les trois dernières années cumulées, mais avec seulement deux personnes. Idem pour la deuxième année. On vient de boucler notre troisième année et on a réalisé deux fois notre meilleur chiffre d’affaires. 

C’est plutôt pas mal, mais, géré une boîte reste un ascenseur émotionnel. L’industrie est dans une crise grave. Cette année, je pense que l’on va perdre un tiers de nos clients. Des clients qui nous commandent chaque année plusieurs milliers de cartes m’ont dit : « Cette année, on ne commandera rien. » Comme on a été prudents, on a quasi un an de trésorerie, mais il ne faudrait pas que la crise s’éternise.

Si tu avais un mot de la fin pour conclure, ce serait quoi ?

Il y a de plus en plus de gens qui le disent dans l’entrepreneuriat : le facteur chance est énorme. Tous ces alignements de planètes, ces moments où tu crois que tout est fini et qu’un truc tombe et relance tout… Ce n’est pas juste une question de talent ou de travail acharné. Il y a aussi un élément de chance, ça, c’est clair et je peux en témoigner.

 

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.