Par Damien Caillard
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D’abord, une mise au point : en principe, il ne faut pas écrire « TEDx » (comme on vient de le faire dans le titre) mais « TEDx« . En effet, le TEDx veut démultiplier l’impact des quelques conférences TED en permettant leur organisation au niveau local – une ville, le plus souvent. Une idée de génie qui a émergé en 2009 pour encore mieux diffuser des « idées qui méritent d’être partagées » : aujourd’hui, plus de 3600 conférences TEDx* ont lieu chaque année dans le monde. Comme avec le TEDxClermont qui a eu lieu le samedi 21 octobre, ces événements sont des opportunités uniques de visibilité et d’inspiration ; en même temps, ils doivent respecter un cahier des charges imposé par la licence TEDx, sur le contenu comme sur l’organisation.
Dans la capitale auvergnate, l’édition qui vient de se clôturer était la quatrième du nom : 10 conférenciers et 8 artistes sur scène devant plus de 600 personnes à l’Opéra et à l’ESC, soutenus par une quarantaine de partenaires (dont 12 en financement) et 120 bénévoles. Budget total : environ 76 000 € en cash et en échange marchandises. Impact sur l’image, la communauté et le territoire : maximal. Rémunération : aucune, puisque tout est porté par une association à but non lucratif. Quelques explications s’imposent.
Au commencement était la licence TEDx …
Les conférences TED (pour Technology, Entertainment, Design) existent depuis des décennies en Californie puis à Vancouver. Chaque année, durant 4 jours, elles voient s’exprimer sur des formats courts (moins de 18 minutes chacun) des speakers parlant avec passion de leurs initiatives, de leur découverte en recherche, de leurs expériences uniques. Le public est très varié, non spécialisé, avec pour point commun la curiosité de découvrir ces « idées qui méritent d’être partagées ».
Avec un tel succès, la licence TEDx – qui permet à un acteur local d’organiser, de manière indépendante, son « mini-TED » – n’allait pas être accordée à la légère. C’est le cas : elle impose une organisation à but non lucratif, sans promotion sur scène des partenaires, sans propos politiciens, pseudo-scientifiques ou à but de prosélytisme religieux. Ainsi qu’une captation vidéo en direct pour alimenter la chaîne TEDx mondiale sur YouTube.
Le but de ces contraintes est de mettre la priorité sur la sélection et surtout la diffusion des idées. Lionel Faucher** est, depuis 4 ans, le porteur de la licence et l’organisateur du TEDxClermont. Il insiste sur l’ambition à la fois locale et globale de chaque TEDx : « TEDxClermont cherche l’équilibre entre des sujets globaux à intervenants locaux, et des sujets locaux à fort impact. » « Il y a une vraie envie de dire que c’est un événement auvergnat et universel ! » complète Alexia Darve, responsable des partenariats au TEDxClermont. Cette ambition se traduit par une « expérience » complète, que l’on ressent sur scène, mais aussi dans toutes les activités connexes ( répétitions, brunch des partenaires, coulisses de la générale, after, lieu de retransmission …). La bienveillance et le partage doivent se ressentir à chaque instant, que cela soit sur l’accueil des speakers, des bénévoles, du public, ou dans le remerciement des partenaires.
« TEDxClermont cherche l’équilibre entre des sujets globaux à intervenants locaux, et des sujets locaux à fort impact » – Lionel Faucher, co-porteur de la licence TEDxClermont
C’est cette expérience très forte qui fait que chacun ressent « l’esprit TEDx » : « C’est une expérience qui m’a élevé » concède Loïc Dugay, responsable communication au TEDxClermont ; et, pour Philippe Métais, Délégué Communication et en charge de l’innovation à GRDF Centre, « il y a des moments bouleversants qui font avancer l’être humain« . La force d’un tel lien se voit chez de nombreux participants, à commencer par les partenaires.
Un soutien partenarial exceptionnel
Pour Alexia, la clé d’un partenariat réussi entre un acteur local et le TEDxClermont repose sur la cohérence : « d’abord, identifier ceux qui ont des valeurs similaires à celles du TEDx : partage des idées, bienveillance, mise en avant de l’humain …« . Les collectivités ou entreprises voulant s’impliquer sur le territoire sont naturellement favorites, comme pour Michelin qui a labellisé le TEDxClermont dans son programme IVL***. Ou encore pour Limagrain : « Soutenir le TEDxClermont est complètement en phase avec notre volonté de nous impliquer dans le développement de notre territoire » pour Agnès Servan, directrice adjointe communication groupe pour la coopérative céréalière. « On souhaite qu’Aubert et Duval continue à ‘irriguer’ le territoire, à échanger et à partager des idées, à développer ses réseaux » précise Jean-Jacques Bourdeau, en charge du développement et de l’accompagnement des équipes chez Eramet Alliages. Cette implication se traduit par de nombreux apports qui vont bien au-delà du financement. Comme le résume Lionel : »un partenaire n’est pas juste un sponsor. C’est particulier à l’Auvergne, et on en est très fier !«
La recherche – ou le renouvellement – de partenariats est une des premières tâches de l’équipe TEDxClermont à chaque saison. C’est Alexia qui est en charge de cette mission capitale : « Un événement pareil ne peut exister sans des moyens financiers« , explique-t-elle. « Il faut être accompagné d’entreprises clé de la région« . Les formules de sponsoring sont cependant très souples, s’adaptant aux plus grands comme aux plus petits. Christophe Burville a créé l’agence d’emplois Abalone (intérim, CDD, CDI) en juin 2017 : « l’antenne clermontoise était en démarrage, le TEDx représentait donc un vrai investissement. » explique-t-il. « Mais ils étaient ouverts, et ont adapté leurs propositions. Mon DG France, qui est clermontois, a apprécié. » D’autres partenaires ont apporté leurs innovations – comme la pause gourmande avec le soutien de Limagrain – ou ont aidé en termes d’organisation et de logistique. Sébastien Lepicard, responsable d’Accenture Clermont, décrit les premiers temps du TEDxClermont en 2014 : « on avait adoré l’idée, et on a notamment accompagné l’équipe en les accueillant pour les réunions. [Plus tard], on a encouragé TEDxClermont à aller voir le maire pour évoquer l’Opéra.«
« Plus qu’un soutien, c’est un engagement de Michelin, et des salariés qui mettent du temps et du coeur » – Alexis Offergeld, co-porteur de la licence TEDx et directeur de l’Open Lab Michelin
Un apport majeur des partenariats se concrétise par les participants, qu’ils soient bénévoles ou dans le public. C’est d’ailleurs là que se ressent le plus l’impact du TEDxClermont sur les personnes qui le vivent, de quel côté que ce soit de la scène. D’abord par l’ouverture d’esprit et la prise de recul : « soutenir un TEDx, c’est s’ouvrir à d’autres idées, qui vont au-delà de notre façon interne de travailler. » explique Philippe Métais de GRDF Centre. « Et il y a un côté gratifiant pour les collaborateurs invités, (…) notamment ceux qui proposent des idées pour faire grandir leurs collègues ! C’est [pour nous] une action de reconnaissance, qui va aussi les aider à avoir des idées. » Le TEDxClermont étant conçu comme un événement inspirant, il peut participer de nombreux dispositifs d’innovation en entreprise ou sur le territoire. Pour Jean-Jacques Bourdeau d’Eramet Alliages, « l’idée est de proposer à ses managers des temps de respiration, pour penser et agir autrement. C’est une des actions qui peut aider à la transformation de l’entreprise et des hommes. » Certaines vidéos, et même certains speakers peuvent ainsi être conviés à intervenir auprès des équipes de managers, comme avec Adrien Chalmin (speaker 2016) à GRDF Centre. Enfin, l’impact en termes d’image est considérable, en local comme à distance : « avec plus de 200 000 vues de nos vidéos en ligne, on participe à la promotion de la ville à l’extérieur. » insiste Lionel. Si la municipalité l’a bien compris et soutien TEDxClermont depuis son installation à l’Opéra, « l’objectif est aussi de placer Clermont sur la carte des TEDx et dans le monde de l’innovation.«
Le temps des bénévoles
Si le budget en cash s’élevait à 76 000 € en 2017, la valorisation totale était double en incluant le bénévolat. La centaine de participants non rémunérés – incluant l’équipe d’organisation, et de nombreux salariés des entreprises partenaires – est bien sûr une composante indispensable. Mais, comme pour les sponsors, le relationnel avec TEDxClermont est très particulier. Pour Loïc, dans l’aventure depuis 2016, « le cœur de bénévoles n’est pas présent parce que TEDx va leur apporter quelque chose, mais au contraire pour aider l’événement. L’altruisme est un principe commun. » La force des valeurs, la montée en puissance jusqu’au jour J et l’ampleur de la tâche mobilisent alors toutes les personnes concernées. « Tout le monde a mis sa vie entre parenthèses, même les free-lance bénévoles ! », se souvient Julia Coudert, community manager sur l’édition 2017. « C’est un engagement humain, une vraie cohésion entre les gens … chacun y met tout son cœur, et ça fonctionne.«
Norbert Faucher est le responsable logistique du TEDxClermont. Son but est de recruter, souvent tôt dans l’année, des bénévoles qui vont structurer des équipes de parfois 10 personnes en octobre. « Ces responsables d’équipe, je les connais parfois. Ils sont parfois dans l’événementiel. » précise-t-il. « Dans tous les cas, je vais les challenger pour voir s’ils peuvent prendre cette responsabilité et être autonomes. (…) Pour agir, le but est d’avoir des gens autour de moi et de pouvoir déléguer l’action. » L’engagement et le sens des responsabilités de chaque bénévole est capital, qu’il soit responsable d’un pôle, chef d’équipe, manutentionnaire ou chargé d’accueil. « Le TEDxClermont a une très grande exigence dans l’exécution » insiste Loïc. « Il faut donc des bénévoles qui vont accepter cette contrainte, en termes d’horaires comme de rendu. » Le pari étant de trouver, parfois en janvier, des personnes qui resteront impliquées pendant les dix mois à venir.
« Pour agir, le but est d’avoir des gens autour de moi et de pouvoir déléguer l’action » – Norbert Faucher, responsable logistique
L’équipe finit de s’étoffer dans les dernières semaines avant l’événement : c’est là que les « petites mains » rejoindront les organisateurs et les coordinateurs. La notoriété du TEDxClermont aidant – ainsi que le programme désormais dédié au TEDxESCClermont à l’Ecole de Commerce – les recrutements sont assez faciles. Mais l’équilibre des profils peut réserver des surprises. « [Quelques jours avant le 21 octobre], je manquais de manutentionnaires » concédait Norbert. A l’inverse, « j’avais pas mal de personnes qui se proposaient pour l’accueil. Et c’est plutôt prometteur, car il faut oser être au contact du public ! » Avec plusieurs points de vigilance cependant : « Quand on est en frontal, avec le polo TEDx, on représente l’événement, c’est important. »
C’est le jour J que cette organisation devra fonctionner à flux tendus. Avec à la fois un fort degré d’autonomie, et une transmission sans faille de l’information. « Mon but est d’être dans une tour de contrôle pour m’assurer que tout est fluide » précise Norbert. « C’est capital d’avoir une bonne circulation de l’information, notamment autour de Guylaine, la scripte, qui impose le rythme près de la scène. » La solution : un groupe WhatsApp mis en place pour l’occasion, relayé par plusieurs bornes wifi dédiées et permettant une communication montante ou descendante, à plusieurs niveaux. Malgré cela, des imprévus peuvent arriver, comme à l’ESC où seul la moitié des inscrits s’est présentés. Bombina de Angelis (Bina), la responsable du site pour le TEDx, a dû réorganiser en temps réel les équipes « pour que les bénévoles soient le moins déçus possible, l’événement étant moins intense. C’est surtout une gestion de l’humain ! »
Un événement sur plusieurs sites
Depuis 2015, le TEDxClermont se déroule dans l’Opéra-Théâtre de Clermont, place de Jaude. « C’est un très bel écrin pour ce genre de manifestations, en particulier pour les vidéos. » estime Lionel. « Tout en maintenant une proximité avec l’intervenant et entre les participants, ce qui est important. A 500 personnes, on peut encore parler avec son voisin. » Le lieu est prêté par la ville de Clermont chaque année, et la manifestation y a traditionnellement lieu autour des vacances de la Toussaint.
Un peu plus loin, de l’autre côté de la Butte centrale, l’ESC Clermont accueille d’autres spectateurs dans son grand amphithéâtre. Le TEDxClermont y est retransmis en direct, mais la magie de l’Opéra n’y est pas forcément … ce que regrette Jean-Jacques Bourdeau d’Eramet Alliages : « ce serait intéressant de regrouper tous les participants en un même lieu, pour créer une vraie belle dynamique, et éviter d’avoir un événement à deux vitesses. Mais c’est aussi la rançon du succès. » Pour pallier à cela, des animations spécifiques sont prévues dans le hall de l’ESC, cette année autour d’artistes régionaux et de l’association Recycl’Art Auvergne. « Le but est de rendre le lieu vivant, et de montrer des choses qu’il n’y a pas à l’Opéra. » précise Bina.
« Identifier ceux qui ont des valeurs similaires à celles du TEDx : partage des idées, bienveillance, mise en avant de l’humain … » – Alexia Darve, responsable des partenariats
Ces deux sites principaux, gérés par l’équipe TEDxClermont, sont complétés par des tiers-lieux : des sites régionaux qui prennent l’initiative de diffuser le contenu live du TEDx, en invitant leurs membres et en proposant parfois des animations originales (ainsi, l’espace de coworking Connecting Bourbon à Moulins). Pour desservir tous ces sites, tout en assurant une diffusion vidéo en direct sur le site web et sur Facebook, un flux vidéo à toute épreuve doit être garanti. C’est le travail de Gaëtan Dusser côté ESC, vers lequel pas moins de trois streams vidéo indépendants étaient émis en parallèle depuis l’Opéra. « C’est de la double redondance : si un flux lâche, on a une réactivité dans la seconde pour basculer sur un autre.« , précise-t-il.
Le bon fonctionnement au sein et entre tous ces lieux – sans parler des sites utilisés avant ou après l’événement, comme l’hôtel Fontfreyde, la mairie ou l’Embassy – implique d’abord une forte anticipation. C’est ce que Norbert a amené à l’équipe TEDx, après avoir observé le fonctionnement en 2016 et le manque de coordination logistique. « C’est énormément de préparation pour que ça roule tout seul » le jour J, résume-t-il. Son expérience de chef de projet en informatique lui a beaucoup servi, pour prévoir le calendrier, les équipes de bénévoles et la logistique. Tout en prenant en compte l’évolution des contraintes : changement de responsables d’une année sur l’autre, indisponibilité de certains lieux la veille de l’événement, nettoyage et rangement accéléré, gestion de produits frais … il est pourtant impossible d’éviter les urgences. C’est pour cela que des rôles de « facilitateurs » ont été prévus, comme celui d’ange gardien, décrit ainsi par Laure Fradin : « s’assurer de la sérénité des speakers, les guider dans les étapes préalables à la scène et répondre à toutes leurs questions ou soucis matériels. Bref, en deux mots : les chouchouter !«
***
TEDxClermont est-il à la croisée des chemins ? Le 20 septembre dernier, il a fallu à peine 12 minutes pour écouler les 500 places disponibles à l’Opéra. Beaucoup ont été frustrés de ne pas pouvoir assister en direct à l’événement, et on émet l’hypothèse d’un nouveau lieu, la Maison de la Culture par exemple. Un problème cornélien pour Lionel qui estime que « [l’]on n’a pas les épaules assez grandes pour changer de site« . Et d’énumérer les impacts en termes de taille d’équipe, de logistique et surtout de coût (le TEDxClermont étant, à 30 € la place, l’un des moins chers de France). Pour demain, la priorité est plutôt à l’animation de la communauté TEDxClermont tout au long de l’année, avec la diffusion régulière de contenus en ligne (dont les vidéos), mais aussi avec l’organisation de plusieurs temps forts, comme les TEDxSalons (conférences de petits formats et plus légères) ou les Aventures TEDx (visites sur le « site » de travail du speaker).
Dans tous les cas, TEDxClermont compte sur une forte base de participants, tous soudés autour des valeurs de l’événement. Comme le résume Julia Derossis, responsable des partenariats média pour l’édition 2017 : « On est bienveillants les uns envers les autres. Cela concerne les bénévoles, le public, les partenaires, tout le monde !«
Pour en savoir plus:
le site du TEDxClermont
*le lecteur avisé aura compris qu’il s’agit bien du TEDx
**également co-fondateur du Connecteur (un peu comme quand on cite Xavier Niel dans un article du Monde …)
***Investissement pour la Vie Locale, permettant à des salariés d’accorder jusqu’à 40 heures par an à une initiative du territoire tout en étant payé normalement par son employeur.
Crédit photo de Une : Omar Dziri
Résumé/sommaire de l’article (cliquez sur les #liens pour accéder aux sections)
- #Licence / la licence TEDx est une formidable opportunité de notoriété, mais elle est aussi contraignante (pas de promo sur scène, non-lucrativité, vidéo obligatoire …). Elle se traduit à la fois par une exigence poussée et des valeurs fortes qui fédère tous les participants au TEDxClermont. Lionel Faucher et Alexis Offergeld sont co-porteurs de la licence TEDx à Clermont ;
- #Partenaires / les partenaires, pour la plupart locaux, sont absolument nécessaires au budget mais aussi au fonctionnement (salariés impliqués) et à l’impact du TEDxClermont. La clé consiste en l’alignement avec les valeurs du TEDx, ce qui est un objectif d’Alexia Darve, en charge des partenariats. Les structures partenaires apprécient la valorisation des invités, l’insertion dans une communauté de gens curieux et innovants, l’ouverture d’esprit et la prise de recul qu’apportent l’événement aux participants ;
- #Bénévoles / plus d’une centaine de bénévoles sont nécessaires pour assurer l’accueil, la manutention, la communication, etc. L’organisation logistique est assurée par Norbert Faucher, et la communication par Loïc Dugay. Un point capital est de « recruter » des chefs d’équipes fiables, autonomes et réactifs, parfois en début d’année pour un événement en octobre. ;
- #Sites/ le TEDxClermont est doublonné sur deux sites, l’Opéra et l’ESC Clermont. Mais la scène a bien lieu à l’Opéra, ce qui fait que l’ESC est moins valorisée, même si des animations spécifiques y ont lieu avec des artistes. La question du changement de lieu se pose, avec du pour (lieu unique, plus de place, facilités logistiques) et du moins (prestige potentiellement moindre). Le principal étant de maintenir l’esprit TEDx, qui valorise une expérience complète faite de bienveillance et d’enrichissement humain.