Rémi Bonin-Sur l’égalité: « A un moment, il faut renverser la table. »

Rémi Bonin-Sur l’égalité: « A un moment, il faut renverser la table. »

Sur Linkedin, Rémi Bonin se décrit comme consultant en production d’événements engagés et militants. Et, à y regarder de plus près, il a en effet une assez grosse expérience et de belles références aussi. Solidays et la Fête de l’Huma pour les parisiennes par exemple. Ici, avec Airbeone, il est engagé dans la Convention des Entreprises pour le Climat, l’Étonnant Festin, aux côtés du Valtom pour les Eco-Manif, LUX… Il est membre du conseil d’administration du Damier… Il a aussi une corde “label” à son arc et accompagne les organisateurs d’événements à s’engager vers une labellisation “Événement Eco Engagé” avec le référentiel du Réseau Eco Événement (le label Reeve). Et ce label, comme souvent les labels, est un vrai chemin pour sensibiliser à pas mal de thématiques.

Celui-ci comporte 8 piliers thématiques. Les critères environnementaux auxquels on pense en premier lieu, déchets, alimentation, mobilité, etc . Mais aussi  sociaux, avec notamment une rubrique dédiée à l’inclusivité. C’est de ce sujet dont nous avons parlé avec Rémi Bonin. Au mois de mars, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes,  comme un marronnier, reviennent les sujets liés à l’égalité femmes/hommes. Le Connecteur avait envie d’entendre aussi des voix d’hommes sur ce sujet. Et celle de Rémi Bonin sur le rôle des lieux festifs comme contributeurs au changement des mentalités.

Événementiel et égalité : un engagement nécessaire

En tant que producteur d’événements, et à fortiori engagé dans le label Reeve, vous avez une sensibilité et des obligations sur ces sujets d’égalité, parité, …

En effet, et je me souviens très bien d’une formation que j’ai suivie sur les VHSS (violences et harcèlements sexistes et sexuels) dans le cadre du Festival Solidays. J’avais déjà beaucoup travaillé sur les protocoles VSS du festival, plutôt sur les questions de  comportements à risque en milieu festif (liés à l’alcool, aux stupéfiants, aux discriminations, aux comportements déplacés déviants…). Quand tu accueilles 100000 personnes par jour, tu te dois d’avoir des protocoles de prise en charge bien calés. On vit une période de libération de la parole qui a vraiment secoué de nombreux milieux. On faisait sans doute tous l’autruche mais tout ça a été un énorme coup de projecteur et un électrochoc.

Il fallait vraiment qu’on prenne nos responsabilités en tant qu’organisateurs d’événements festifs pour lever le tabou et engager des mesures préventives solides. Les pouvoirs publics ont été très incitatifs et ont changé d’attitude. Par exemple, la Préfecture du 91 a déporté un commissariat sur la fête de l’Huma, pour mieux recevoir les plaintes et prendre en charge les agresseurs..

Au-delà du public, il faut aussi penser à la protection de tous ceux qui vont intervenir, pour travailler ou en tant que bénévoles. Il faut être en capacité de définir le cadre qui permet de recevoir les gens dans les meilleures conditions avec un enjeu de non discrimination, un enjeu de respect, un enjeu de bienveillance, un enjeu d’accessibilité, …  Donc la question qui se posait était d’aller au-delà des protocoles qu’on écrivait. Vérifier et organiser une prise en charge pertinente sur le plan juridique et aussi psychologique.

Se sentir légitime

J’ai suivi une formation dispensée par les Catherinettes. Ça a clairement changé ma vision des choses. Au début de cette formation, j’avais un problème de sentiment de légitimité.  Il y avait un peu une tension, l’animateur était un homme et parmi les participants, il y avait des militantes féministes. On a démarré comme ça, sur un ton hyper engagé féministe de lutte, contre le patriarcat  et presque contre les hommes.

Je me demandais si, en tant qu’homme, j’étais légitime pour parler de ces sujets.  Moi, je suis militant de plein de choses, mais c’est vrai que j’avais du mal à me sentir à ma place. Or, et c’est comme ça qu’a démarré la formation, il faut poser le contexte avec ce focus sur la place des femmes, à la fois juridique, réglementaire, historique et social, les comportements des hommes envers les femmes. Quand on fait cette lecture de manière factuelle, sans jugement, sans tabou, sans discrimination, on ne peut que constater qu’il y a un problème.

Changer de prisme

Il faut vraiment changer les prismes sociologiques et philosophiques.  On finit par se dire « Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »  Si on veut changer les règles, si on veut  que la honte change de camp, il faut qu’on soit ensemble, hommes et femmes, pour agir. Pas à la place de mais avec. Il y a tellement d’ enjeux de transformation des mentalités, des pratiques, d’éducation de nos gosses… A partir du moment où il y a eu une vraie volonté de bosser ensemble, je me suis senti légitime. J’ai décidé de jouer mon rôle en trouvant des appuis sur des associations qualifiées type Consentis ou Les Catherinettes. 

Le cadre réglementaire aide bien aussi à remettre les choses dans la bonne case, sinon, c’est le poids de l’habitude et de la normalité issues du patriarcat qui prend le dessus. Les fameux “on a toujours fait comme ça”. On sait définir une agression et ses différents degrés. Et c’est pénalement condamnable. Mais il faut quand même avoir en tête que la majorité des agressions ne donnent pas lieu à une plainte (2% à 6%) et 14,7% des plaintes donnent lieu à une condamnation… Il faut donc vraiment prendre soin de l’accueil de la victime.

Le label REEVE, un levier pour l’inclusivité

Sortons du cadre de ‘victime’ pour revenir sur les sujets d’égalité. Comment la démarche REEVE accompagne cette réflexion ?

Pour moi, ce label est le meilleur outil pour entrer en transition. Il y a trois niveaux et on commence toujours par le plus bas, dans une démarche d’amélioration continue, sur les enjeux d’alimentation, de respect du site, de sobriété énergétique, de déplacements, de gestion des déchets, d’accessibilité, …Et dans ce cadre, il y a un segment qui est hyper important, ”un événement pour toutes et tous”.

Ça veut dire ce que ça veut dire: comment rend-on l’événement le plus inclusif possible et comment appréhender les enjeux de parité, dans tout. C’est-à-dire qu’on doit intégrer les notions de parité dans sa programmation. On doit intégrer ces notions de parité dans les prises de parole. On doit intégrer les notions de parité même au niveau des équipes de production et de bénévoles.

Des acteurs locaux engagés

Le festival du Court Métrage a affirmé – et tenu- un engagement 50/50 dans ses jurys par exemple. Il a également lancé la Brigade du kiff pour prévenir les situations de discriminations. Les Scouts et Guide de France pour leur Assemblée Générale il y a deux ans ont décidé d’aller plus loin aussi: tous les panels, tous les intervenants choisis, toutes les prises de parole et les temps, même les modérations étaient faites sur la base du 50/50″. C’est extraordinaire, c’est forcément le fruit d’une vraie réflexion en amont mais ça renvoie un signe hyper fort. Et d’ailleurs, ceux qui sont pionniers ont un rôle, et peut-être même un devoir, de porte-parole/ambassadeur dans leur propre milieu. Rien de tel que l’exemple.

Le label est un chemin

C’est un effort à produire, puisqu’on part d’une situation déséquilibrée. Souvent les équipes dirigeantes de festival sont masculines, comme le sont les prises de parole sur les conférences ou sur les programmations. Le label sert de chemin. Pour y aller, il faut cocher des cases, et c’est un moment pour réfléchir un peu: qui a-t-on autour de la table, qui compose nos équipes, qui compose notre programmation, … ?  Ce label permet d’ouvrir les yeux. Il faut aller plus loin  dans la gouvernance, dans la représentativité, dans les prises de parole,… 

A un moment, il faut renverser la table, il faut décider de faire autrement. Moi j’ai eu la chance de bosser pour des festivals avec des femmes dirigeantes comme Julie BOUGUYON directrice du VYV Festival ou Sofia BOUTRIH nouvelle Directrice de la Fête de l’Huma. Ça ne change rien bien sûr dans la façon de piloter un événement ou une structure, mais par contre, ça ouvre des voies, ça casse quelques barrières idéologiques.

(NDLR: on peut utiliser le site “Les expertes” une base de données unique de femmes chercheuses, cheffes d’entreprise, présidentes d’associations ou responsables d’institutions pour équilibrer ses conférences)

Le backlash et la nécessité de rester mobilisé

Est ce que vous ressentez le backlash en ce moment ? 

Alors, j’ai sans doute la chance d’évoluer dans un milieu où il n’y a pas de recul. Au contraire, les changements sont engagés et s’accélèrent. Il y a une forme de militantisme, la culture a toujours été une forme de contre pouvoir et surtout de dénonciateur. Pour l’instant je ne le ressens pas. J’ai fait récemment les évaluations de deux événements ici, les Nuées Ardentes au comité Label du REEVE et le Festival du Court Métrage en tant qu’évaluateur expert. Le Damier avec l’édition 2 de LUX en décembre prochain visera le niveau 3. Il y a sur le territoire des acteurs qui sont profondément engagés sur les questions écologiques, sociales d’inclusivité, de représentativité, d’accessibilité pour toutes et tous et aussi contre les discriminations. Ça fait du bien, ça donne de l’élan et  de la motivation pour les enjeux de coopérations territoriales.

Ne pas baisser la garde

Avec la vague Trump, on voit la marche arrière s’enclencher, et certains combats gagnés sont en train de reculer.  Les gens sont de plus en plus désinhibés quand même.  C’est vrai qu’il faut réagir. Oui, ça pose problème de raconter des blagues graveleuses sexistes ou même racistes.  Et même si moi, dans mon univers, je ne ressens pas de backlash, je ressens ce que vit notre société. Je pense qu’il y a vraiment un problème. Repartir de l’histoire, du contexte sociologique,de l’histoire … c’est important. 

Le rôle des hommes et l’importance de l’éducation

Je pense que c’est notre rôle aussi de garçon – et de père- de le rappeler et de le porter dans l’éducation de nos propres enfants. En partageant équitablement les tâches, celles liées aux enfants notamment. Moi, j’amène ma fille à l’école ou chez le médecin, je fais les devoirs, etc Je pense qu’on partage la charge mentale à 50/50.

Dans une société, il y a des hommes et des femmes, il faut qu’ils aient les mêmes droits et les mêmes devoirs. On compose la société et on a besoin des uns comme des autres : il ne peut pas y avoir de discrimination ou de supériorité. Ça me semble logique, tu as de la richesse partout, des compétences dans tous les domaines, dans tous les niveaux et quel que soit le sexe.  J’ai été élevé, entre autre, par une mère avec un fort engagement féministe. J’ai eu aussi cette chance là d’avoir très tôt cette forme de vigilance, d’ouverture d’esprit, d’éveil de ma conscience.

Eduquer nos garçons … et nos filles

L’éducation des enfants, et des petits garçons, c’ est le terreau avec lequel ils vont grandir. J’ai relu récemment “Les choses humaines” (*) et je me suis projeté sur l’effet que cela me ferait si c’était mon gamin: ce serait clairement un échec pour moi. Notre rôle de père, et de parents, c’est de bien expliquer les choses simples et basiques: les filles ont les mêmes droits que les garçons, il y a pas de supériorité, il n’y a pas de rôles prédéfinis, etc. Le sujet n’est pas clos donc. Il faut continuer de revendiquer cette égalité, il faut la porter haut et ne pas baisser la garde. En fait, il faut avoir la volonté de réfléchir au sujet et d’agir en conséquence.

Je pense qu’on a tous un rôle à jouer. Et c’est pas en opposant qu’on qu’on va trouver les solutions. Sinon on crée des chapelles ou on marginalise. Le propos,c’est qu’est ce qu’on fait, comment on le fait ensemble et surtout comment on fait bien. C’est important que chacun ait sa place mais ce qui compte, c’est qu’il y ait les bonnes personnes pour que les décisions soient pertinentes.

(*)Les choses humaines –  Karine Tuil – GallimardPrix InterAllié et Prix Goncourt des lycéens 2019

Karine Tuil

Les Farel forment un couple de pouvoir. Jean est un célèbre journaliste politique français; son épouse Claire est connue pour ses engagements féministes. Ensemble, ils ont un fils, étudiant dans une prestigieuse université américaine. Tout semble leur réussir. Mais une accusation de viol va faire vaciller cette parfaite construction sociale. Le sexe et la tentation du saccage, le sexe et son impulsion sauvage sont au cœur de ce roman puissant dans lequel Karine Tuil interroge le monde contemporain, démonte la mécanique impitoyable de la machine judiciaire et nous confronte à nos propres peurs. Car qui est à l’abri de se retrouver un jour pris dans cet engrenage ?

À propos de Véronique Jal

Ma ligne guide depuis 15 ans, c'est le management de projets collectifs à fort "sens ajouté" : les fromages AOP, les hébergements touristiques, la démarche d'attractivité d'une région... et aujourd'hui l'innovation territoriale via un média associatif Toulousaine d'origine, j'ai découvert et choisi l'Auvergne que mon parcours pro m'a amenée à connaître sous plein de facettes. J'adore cette activité qui nous permet d'être en situation permanente de découverte.