Depuis toujours, science et nature entretiennent une relation profonde. En puisant dans l’immense réserve de connaissances que sont les écosystèmes végétaux, scientifiques et innovateurs cherchent des solutions durables pour la santé et l’environnement. Laetitia Delort de l’UFR Pharmacie de l’Université Clermont Auvergne partage les enjeux et les défis de ce secteur en plein développement.
L »Science, nature et botanique », le saviez-vous ?
- L’importance de la formation en botanique et mycologie. Savez-vous distinguer l’ail des ours du muguet? La formation des pharmaciens en botanique et mycologie est cruciale pour éviter les intoxications.
- L’essor des compléments alimentaires. Les compléments alimentaires gagnent du terrain. Mais comment s’assurer de leur efficacité et sécurité? La science joue un rôle clé pour éclairer nos choix.
- Le challenge de produire localement. Réduire notre dépendance aux importations grâce à la production locale de plantes médicinales, c’est le pari de l’industrie pharmaceutique française. Plus de traçabilité, plus de qualité.
- Changement climatique et biodiversité. Le réchauffement climatique affecte la biodiversité, mais offre aussi des pistes de recherche inédites pour la médecine de demain. Les plantes en climats difficiles développent des molécules uniques!
- Innovation en éducation : le sentier botanique numérique. Imaginez un jardin où chaque plante vous raconte son histoire via un QR code. Le sentier botanique numérique fait le pont entre nature et numérique pour une éducation interactive.
D’où venez-vous et pourriez-vous décrire votre parcours professionnel ?
Laetitia Delort : Bien sûr. Je suis originaire d’Auvergne, plus précisément de Saint-Flour dans le Cantal. Concernant mon parcours universitaire, j’ai obtenu une licence en biologie puis, j’ai intégré l’école d’ingénieur Polytech Clermont. C’est là que je me suis spécialisée en génie biologique. Ayant une forte inclination pour la recherche, j’ai souhaité poursuivre mes études en réalisant une thèse. Elle portait sur les facteurs de risque de cancer du sein au Centre anticancéreux Jean Perrin de Clermont-Ferrand.
J’ai ensuite été recrutée en tant que maître de conférences à l’UFR Pharmacie de l’Université Clermont Auvergne où je dispense des enseignements de botanique, mycologie et biologie végétale. En tant que chercheure, je suis rattachée à une équipe de recherche nommée ECREIN dirigée par le Pr Florence Caldefie-Chézet. Nous travaillons plus particulièrement sur l’identification de molécules d’origine végétale présentant des activités anticancéreuses ou qui pourraient avoir des effets bénéfiques en complément des thérapies conventionnelles.
Comment la communauté scientifique accueille-t-elle vos recherches ?
Laetitia Delort : De nombreux médicaments sont issus du végétal comme par exemple le Taxol qui est extrait de l’if. Il est donc crucial pour nous de continuer à identifier des molécules anticancéreuses innovantes afin de lutter contre les mécanismes de résistance aux traitements qui peuvent apparaître. De plus, beaucoup de personnes en traitement contre le cancer optent pour des compléments alimentaires. Il est essentiel de s’assurer que ces compléments n’interagissent pas défavorablement avec les traitements conventionnels. C’est pourquoi notre recherche vise également à trouver des molécules capables d’augmenter l’efficacité des traitements anticancéreux.
Vous avez annoncé le lancement du projet de sentier botanique numérique. Quel est le concept qui mêle science et nature ?
Laetitia Delort : L’apprentissage de la botanique passe nécessairement par la reconnaissance de plantes fraiches. Nous avons toujours souhaité compléter notre enseignement par la création d’un jardin botanique pédagogique au sein de la faculté. L’objectif est de permettre un apprentissage sur site.
Cette idée nous tenait à cœur depuis longtemps, mais nous nous heurtions au problème des financements. L’élément déclencheur a été un appel à projet du Pôle IPPA de l’université. Il vise à encourager les innovations dans le domaine de l’enseignement.
Avec ma collègue Florence Caldefie-Chézet, nous avons saisi cette opportunité pour concrétiser notre projet. Il a été fortement soutenu par le doyen de l’UFR de Pharmacie. Nous avons reçu des soutiens financiers de la part de l’UFR Pharmacie et de Médecine, l’institut SVSAE, la Fondation de l’UCA via la chaire mécénale ProNatS (Produits naturels de santé).
A quoi ressemblera ce sentier botanique numérique ?
Un véritable jardin botanique a ainsi été créé en 2023 à partir d’un terrain nu. Les premières plantations auront lieu prochainement. Les espèces végétales d’intérêt seront organisées en plates-bandes spécialisées. Nous trouverons des plantes médicinales, aromatiques, alimentaires et toxiques provenant de diverses parties du monde.
Chaque plante bénéficiera d’un QR code. Une fois scanné à l’aide d’un smartphone, il renverra sur une fiche descriptive de l’espèce en question disponible sur le site SmartJardin. Le projet Smartjardin a été développé par l’Université de Rouen et d’autres partenaires universitaires. Elle a permis de créer une base de données sur laquelle nous pouvons nous appuyer.
Dans quel but l’UFR Pharmacie intègre-t-elle la botanique et la mycologie à son programme de formation ?
Laetitia Delort : Nous formons principalement les pharmaciens d’officine à la botanique et à la mycologie. Nous nous devons de leur fournir les compétences nécessaires à la reconnaissance des plantes et des champignons. Cette formation joue un rôle essentiel en santé publique, notamment pour la prévention des intoxications.
Chaque année, de nombreuses intoxications sont recensées suite à la consommation et à la confusion de certains champignons ou végétaux. Par exemple, l’ail des ours et le muguet. Quant aux huiles essentielles, bien qu’elles soient “naturelles”, il est important de rappeler qu’elles doivent être utilisées avec précaution, notamment chez les enfants et les femmes enceintes.
Ces exemples soulignent l’importance d’avoir des professionnels de santé bien formés à ces sujets pour conseiller efficacement le public.
Comment évaluez-vous l’utilité et la précision des logiciels de reconnaissance de végétaux ou de champignons actuellement disponibles ?
Laetitia Delort : Concernant les applications disponibles en ligne et sur smartphone, il faut reconnaître que Plantnet est particulièrement efficace et identifie la bonne espèce dans presque 100% des cas. Toutes les photos qui alimentent l’application ont été validées par des botanistes, ce qui garantit une fiabilité quasi totale des résultats fournis.
Cependant, pour les champignons, la situation est très différente. Contrairement aux plantes, la reconnaissance des champignons exige d’examiner des critères spécifiques tels que la forme et la surface du pied, l’insertion des lames, la forme et texture du chapeau ou encore l’odeur! Ce qui rend leur identification via des applications digitales trop complexe et beaucoup moins fiable.
Quels domaines de formation et quels débouchés propose l’UFR Pharmacie dans les métiers autour de la science et de la nature ?
Laetitia Delort : L’UFR Pharmacie a pour principale mission de former des pharmaciens, des préparateurs en pharmacie, mais elle héberge également d’autres formations, tant au niveau Licence, avec des spécialisations telles que la nutrition et la pharmacologie, que des Masters.
Le grand public n’en a peut-être pas assez conscience, mais le métier de pharmacien est très varié. Il peut s’exercer en officine, dans l’industrie, à l’hôpital, et bien d’autres secteurs encore.
D’ailleurs, la pharmacie officinale est un secteur en constante évolution. La pharmacie d’officine a connu des changements considérables ces dernières années et ce sera encore le cas dans les prochaines années.
Dans le domaine de l’industrie, le développement et la commercialisation de compléments alimentaires suscitent un intérêt grandissant. Et il y a une demande importante de la part des industriels pour évaluer l’efficacité de molécules au travers d’études scientifiques. Cette tendance vers des produits issus du végétal et soutenus par la science crée de nouvelles opportunités et rend certains métiers particulièrement porteurs dans le secteur.
Quelles sont les principales problématiques associées à la production industrielle de plantes médicinales en France ?
Laetitia Delort : Les enjeux liés à la production industrielle de plantes médicinales en France sont significatifs, notamment en raison de la forte dépendance aux produits importés, (notamment de Chine). Pour certaines industries pharmaceutiques françaises, le développement de filières locales représente un enjeu majeur. Cela leur permettrait d’avoir un meilleur contrôle sur la qualité, l’extraction, et la récolte des plantes. Ceci permettrait de garantir une meilleure traçabilité et qualité des produits tout en réduisant la dépendance aux importations.
En quoi le changement climatique affecte-t-il la biodiversité et quelles conséquences cela peut-il avoir sur votre domaine de recherche ?
Laetitia Delort : Dans le domaine des champignons et des plantes, nous observons des évolutions significatives attribuables au réchauffement climatique.
Concernant les plantes, celles provenant de climats chauds renferment des molécules aux structures plus originales. Elles présentent potentiellement des propriétés plus intéressantes. Plus une plante se trouve dans un climat difficile, plus elle va s’adapter et développer des mécanismes de survie complexes. Cela pourrait s’avérer intéressant pour la recherche de nouvelles molécules à des fins thérapeutiques. Même si, bien entendu, je ne souhaite pas le réchauffement climatique.
C’est l’instant carte blanche. Avez-vous quelque chose à ajouter sur la thématique science et nature ?
Laetitia Delort : Oui, en effet. J’espère sincèrement que le projet de Sentier botanique numérique aboutira et que nous réussirons à créer un espace à la fois beau, utile et convivial. Le jardin s’étendra sur une superficie de 4300 mètres carrés. Nous avons l’intention d’y installer des bancs afin de transformer cet espace en un véritable lieu de vie et de savoir. La plantation est prévue pour courant mars. Mon souhait est que ce jardin devienne un endroit où les étudiants, les enseignants, et potentiellement le public, pourront se retrouver, échanger, et apprendre dans un cadre agréable et enrichissant.