La santé du futur se fera avec la blockchain et de l’IA, Sébastien Mourey, ScreenAct

La santé du futur se fera avec la blockchain et de l’IA, Sébastien Mourey, ScreenAct

Sébastien Mourey est le fondateur de ScreenAct, une startup qui travaille sur la création d’une plateforme de mise en relation entre des patients atteints de cancer et des essais cliniques proposés par des établissements français.
Cette entreprise est le fruit de sa longue expérience dans le domaine médical renforcée par le développement de compétences dans le domaine de l’Intelligence Artificielle. Grâce à la technologie blockchain, de nouvelles perspectives s’ouvrent pour l’entrepreneur de la MedTech. Rencontre avec un Bourbonnais passionné d’innovation.

Ce dossier spécial est sponsorisé par Le Village By CA Centre France. Le Village by CA Centre France apporte son soutien à la mise en lumière des acteurs locaux de l’innovation.

Vous êtes aujourd’hui à la tête de Screen Act. Ce projet mûrit dans votre esprit depuis déjà plusieurs années. Est-ce que vous pouvez nous raconter comment s’est construit ce projet ?

Sébastien Mourey : Je suis né à Montluçon. Après un bac S et un BTS de chimie, j’ai commencé à travailler dans l’industrie pharmaceutique. D’abord, au Mans chez Sanofi, puis de retour en Auvergne. C’est là que je suis “tombé amoureux”, si on peut dire, du métier de délégué médical. On va à la rencontre des médecins pour les informer du bon usage des médicaments du laboratoire auquel on est rattaché. Pour me perfectionner, j’ai intégré une licence à Clermont-Ferrand spécialisée dans la visite médicale.

J’ai travaillé pour de grands groupes, et petit à petit, on m’a proposé de nouvelles responsabilités. De la médecine généraliste, je me suis ensuite retrouvé en charge des maladies rares. Il y a 5 ans, j’ai intégré le laboratoire Bristol Myers Squibb (BMS) dans le domaine de l’oncologie. Mon rôle était de promouvoir les immunothérapies pour les patients atteints de certains types de cancer. Je prêche pour ma paroisse, mais ce procédé a été une vraie révolution dans la prise en charge des patients. Plutôt que d’opter pour des chimiothérapies invasives, on stimule le système immunitaire pour qu’il se batte lui-même contre le cancer.

On est encore loin de votre projet entrepreneurial ScreenAct…

En 2019, j’ai décidé de faire une formation à l’Institut Gustave Roussy de Paris, qui est le premier centre de lutte contre le cancer en Europe. Ensuite, j’ai fait un DU Santé et IA à Dijon. Pour mon mémoire, j’ai choisi de m’intéresser aux données de santé, et plus spécifiquement, à la place de l’Intelligence Artificielle dans le diagnostic médical et l’immuno-oncologie.

En effet, avec le développement de l’immunothérapie, on a découvert un obstacle à un plus large déploiement. Pour certains patients, l’immunothérapie permet de guérir définitivement des cancers qui étaient auparavant mortels. Pour autant, pour d’autres malades, elle s’est révélée inefficace, voire avec des effets secondaires très importants.

Je me suis dit qu’il était possible d’identifier quels types de patients pourraient être réceptifs si on parvenait à combiner des données de santé.

Et finalement, c’est là que tout commence pour Screen Act

Pas encore tout à fait. Mon sujet de mémoire a tellement plu à mon tuteur, qu’il m’a fait participer à une publication avec une médecin de Lyon. On est parti de l’idée que l’on pouvait agréger des caractéristiques sur les antécédents du patient, sur son parcours, sur ses biomarqueurs. Grâce à l’IA et l’analyse de données massives, si un profil patient correspond à 99% à d’autres dossiers de patients, on peut prédire qu’il va avoir le même parcours. In fine, cela nous permet d’identifier quels sont les patients qui pourraient répondre positivement à une immunothérapie. 

C’est à ce moment que vous faites évoluer le projet qui germe dans votre tête et que vous le dirigez plus largement vers les essais cliniques dans le domaine du cancer. 

Sébastien Mourey : Oui. J’ai identifié une problématique majeure dans les essais cliniques. D’un côté, vous avez environ 2000 essais cliniques ouverts en France qui recherchent des candidats, et de l’autre, beaucoup de patients qui passent à côté de cette opportunité.

En effet, ils sont suivis dans un établissement et il se peut qu’il n’y ait pas d’essai compatible avec leur situation. Pourtant, il existe une plateforme nationale, la NCT, la National Clinical Trial, qui centralise tous les essais cliniques. Néanmoins, son fonctionnement est tellement archaïque qu’il ne permet pas une identification des essais cliniques disponibles. 

Comme nous avions un incubateur interne a BMS, j’ai proposé mon idée qui a été retenue. J’ai bénéficié d’un accompagnement intensif pendant plusieurs mois.
J’ai présenté mon prototype sous la forme d’un tableau Excel au comité exécutif. Ils ont été bluffés, car ma solution “bricolée” proposait des résultats bien plus pertinents que celle qui allait être déployée par le groupe.

Vous n’avez pas encore expliqué concrètement ce que permet votre solution ScreenAct .

En France, lorsqu’un laboratoire ou un établissement veut proposer un essai clinique, il passe par différentes étapes. Il faut faire valider le protocole. Une fois que cela est fait, on peut ouvrir l’essai clinique. C’est là que les choses se compliquent. Les labos ou les établissements, doivent passer par un intermédiaire, qui est le médecin, pour proposer l’essai clinique et trouver des candidats. Ensuite, c’est au médecin de décider avec le patient d’y aller ou non. C’est très chronophage et peu efficace. Si un essai ne rassemble pas suffisamment de patients, il peut tout simplement être abandonné. Ce sont des chances en moins pour les malades.

Mon approche part du patient. Je définis un formulaire qui permet d’intégrer toute une série de caractéristiques du patient. L’IA va ensuite faire “matcher” un profil de patients avec des essais cliniques où il est éligible. 

Finalement, c’est une histoire juridique qui vous fait sauter le pas et qui vous transforme en entrepreneur. 

Oui. BMS ne pouvait pas développer ma solution puisqu’en partant du patient, je présentais tous les essais cliniques, même ceux des concurrents. C’était problématique. J’ai alors profité d’un plan social en 2020 pour me mettre à 100 % sur le projet.

ScreenAct a été créée en février 2021. C’est une start-up dédiée à l’identification d’essais cliniques pour le patient, à destination des professionnels de santé. J’ai intégré le Bivouac, puis BUSI, où je suis encore actuellement. 
Clermont Auvergne Innovation propose depuis peu un nouveau programme d’accélération dans lequel je vais poursuivre le développement de mon projet.

Vous avez monté ScreenAct depuis un an, où en êtes-vous ? Avez-vous déjà testé votre solution ? 

Sébastien Mourey : Oui. Depuis peu, nous proposons une application en beta test à des médecins de la région. Il nous a fallu du temps pour passer du tableau Excel à une application fonctionnelle. Nous avons travaillé avec des développeurs de la Junior Entreprise de l’École Centrale de Lyon.

Le thème du mois est la blockchain. Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi cette technologie fait désormais partie du projet ? 

Elle a toujours fait partie du projet. Quand je me suis intéressé à l’IA dans le secteur de la santé, la blockchain est très rapidement arrivée sur la table. Compte-tenu de la masse d’informations à traiter et de leur degré de confidentialité, elle semble être une technologie efficace pour répondre aux besoins de ce secteur.

De nombreux programmes sont en cours pour structurer les données de santé. Néanmoins, celles-ci ne seront pas exploitables avant de nombreuses années. Il faut bien différencier les données numérisées des données structurées, il est plus facile pour une IA d’exploiter un fichier papier avec des cases cochées qu’un texte dans une cellule excel.

Je prends le parti de dire qu’il faut arrêter d’essayer de réparer la base de données existantes et de repartir de zéro. Il faut créer une base de données structurée des essais cliniques, et entrer les données de patients dans une blockchain. Grâce à cela, on pourra facilement identifier les patients qui peuvent être éligibles à des essais cliniques.

Comment gérez-vous la problématique de la confidentialité des données médicales ? 

Point important à préciser. On développe une blockchain hybride. Cela signifie que certaines informations sont publiques, et d’autres privées. La blockchain est interopérable avec n’importe quel système d’informations hospitalier. Elle est en temps réel et peut être interconnectée avec les établissements et les centres d’essais cliniques. Ceci est une différence majeure avec le système conventionnel.

Concernant le patient, bien entendu, il devra avoir accepté que ses données soient rentrées dans le système. L’établissement va pouvoir connaître le nombre de patients éligibles pour son essai, ensuite, il pourra prendre contact avec les médecins qui les suivent. En revanche, à aucun moment, il n’a accès aux données personnelles ou privées. Le patient reste propriétaire de ses données de santé.

Quelles sont les prochaines étapes pour ScreenAct ?

Nous sommes en train de tester l’application, la blockchain est une évolution du projet. J’ai toujours eu la volonté de créer de l’innovation dans le temps.
J’ai inventé quelque chose et maintenant, la blockchain permet d’imaginer un fonctionnement encore plus efficace et sécurisé. 

Début 2022, j’ai présenté la partie projet blockchain dans le cadre de l’appel à projet I-lab, mais nous avons été retoqué car nous ne sommes pas associés à un labo de recherche. C’est notre objectif pour cette année. Nous souhaitons construire un partenariat avec un établissement et représenter le projet dans le cadre d’I-Lab 2023.

À la rentrée, nous voulons aller plus loin dans l’automatisation de l’intégration des données. Je suis désormais intervenant dans le DU d’Intelligence Artificielle à Dijon. Nous allons organiser un datathon avec les étudiants pour trouver une méthode qui permet de reconnaître de manière non supervisée les informations qui se trouvent dans le NCT et qui serviront à alimenter la base de données. 

C’est l’instant carte blanche.

La blockchain et l’IA sont des sujets passionnants. Beaucoup de personnes ont un avis sur le sujet sans véritablement le comprendre. Personnellement, je trouve que ça ouvre des perspectives incroyables pour le domaine de la santé. 

Ce qui est frustrant, c’est qu’aujourd’hui, on sait que des technologies permettent de résoudre des problèmes, mais on ne trouve pas forcément les développeurs ou les professionnels pour réellement les mettre en œuvre de manière opérationnelle. 

Je suis intimement convaincu que la santé du futur ne pourra se passer de l’association de différentes technologies et innovations. D’un côté, des médicaments ou des traitements innovants, de l’autre l’intelligence artificielle pour traiter et exploiter la quantité gigantesque des données de santé. Enfin, pour que cela soit envisageable en termes de RGPD et de traçabilité, la technologie blockchain est indispensable pour y arriver. 

C’est ce que j’essaie de faire, à mon échelle, avec le projet ScreenAct.

Dans la tête de Sébastien Mourey de ScreenAct

Une belle idée de start-up : Connecter les profils de passionnés qui ne se connaissent pas forcément… 

La start-up qui monte : 360 Médics

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info : LinkedIn

Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : Les blockchains en 50 questions

Une recommandation pour rire (livre, podcast, magazine, série) : Kaamelott 

une femme qui t’inspire/experte : Emmanuelle Charpentier

L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : Pascal Lafourcade

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.