Tous·tes biaisé.e.s « La déconstruction est une forme de rééducation », Charline Gautier, Collectif Femmes de Mars

Tous·tes biaisé.e.s « La déconstruction est une forme de rééducation », Charline Gautier, Collectif Femmes de Mars

Femmes de Mars est un collectif intersectionnel étudiants basé à Clermont-Ferrand. A travers différents événements, le collectif aborde des sujets qui touchent les jeunes et les étudiants au quotidien.
Conscient des biais cognitifs ancrés dans nos schémas de pensées, Femmes de Mars mise sur la pédagogie autour de la déconstruction. Une phase qui doit permettre de remettre en cause ce que l’on a intégré de manière plus ou moins consciente depuis la petite enfance.
Ce mois-ci nous donnons la parole à des acteurs et actrices engagé.es sur les question d’égalité de genre. Chacun.e proposant sa vision des enjeux et des solutions à mettre en place pour une société plus inclusive. Entretien avec Charline Gautier, membre du collectif Femme de Mars.

Avant de parler d’égalité femmes-hommes, est-ce que tu peux nous raconter de ton parcours et ce qui t’a amené à t’impliquer dans Femme de Mars à Clermont-Ferrand ?

Charline Gautier, Collectif Femmes de Mars : Je suis née dans les Mauges, entre la Vendée, le Maine-et-Loire et la Loire-Atlantique. Je viens de la campagne, mon père est agriculteur et ma mère est veilleuse de nuit.
J’ai été confrontée aux questions de genre tôt dans ma scolarité. Après un bac L, où la classe était constituée aux deux tiers par des filles, j’ai poursuivi avec un DUT information communication. Sur soixante étudiants, il n’y avait que 5 garçons. C’est à cette période que j’ai commencé à m’intéresser à la transition écologique dans sa vision la plus large, celle qui intègre la dimension sociale.

Suite à mon DUT, j’ai ressenti le besoin de faire une pause. Je voulais prendre le temps d’approfondir mes connaissances sur les sujets qui me tenaient à cœur, à savoir, l’écologie et le féminisme.
J’ai passé un an dans un écovillage en Finlande dans le cadre d’un service civique européen. Pendant cette année, j’ai mûri l’idée de développer un tiers-lieu. J’imaginais avant tout une bibliothèque, le livre est pour moi un objet magique. Je rêvais également de restauration, de permaculture, de ruches…

En arrivant à Clermont-Ferrand pour une licence Pro, agent de développement durable, j’ai découvert LieU’topie, qui était finalement un projet très similaire à ce que j’avais imaginé. J’ai intégré l’équipe de bénévoles en axant mon implication autour de la programmation culturelle.

A quel moment tu décides de rejoindre le collectif Femme de Mars de Clermont-Ferrand ?

Au départ, mon projet principal, c’était l’organisation du “Cri du bourgeon”. C’est un tremplin musical étudiant, créé en lien avec la Maison des Artistes en Devenir et Radio Campus. Comme je suis également très sensible au sujet du féminisme, et que je ne sais pas choisir, j’ai rejoint Femmes de Mars en tant que bénévole. Je voulais développer l’égalithèque, une bibliothèque visant à rassembler un maximum d’ouvrages sur le féminisme intersectionnel, la mixité, et toutes les autres formes de discriminations et d’oppressions.

Ce sont les caféministes qui animent ce projet. Les caféministes sont des café-débats qui permettent de parler d’une thématique par le biais de livres.

Femmes de mars, qu’est-ce que c’est ?

C’est un collectif intersectionnel étudiants qui se bat contre le sexisme et toutes les formes d’oppression de manière générale. L’intersectionnalité a été théorisée par la militante Kimberlé Crenshaw. C’est une notion employée en sociologie pour désigner les personnes qui subissent plusieurs formes de discriminations de manière simultanée. Sexisme et handicap ou homosexualité et racisme, par exemple.

En revanche, nous avons choisi de ne pas prendre position sur certains sujets. Notre démarche est avant tout pédagogique. Nous souhaitons donner les clés de compréhension pour que chacun et chacune puissent se forger une opinion.

Tu parles de pédagogie. Comment est-ce que vous sensibilisez sur les questions d’égalité et de mixité ?

Notre approche est basée sur la déconstruction. Pour moi, la déconstruction, c’est une forme de rééducation. Nous avons toutes et tous reçu une éducation par l’école, par notre entourage, par les médias. C’est ce qui fait que l’on voit le monde d’une certaine manière. Une vision genrée, binaire, raciste, etc.

Se déconstruire, c’est remettre en question ce que l’on a appris, comprendre ce qui pose problème et chercher des solutions pour lutter. Comme c’est un processus, il est aussi très important d’accueillir les gens tels qu’ils sont et d’accepter les maladresses qui peuvent en découler.

Ces combats-là, on a l’impression qu’ils sont beaucoup portés par les jeunes. Pourquoi Femmes de Mars s’intéresse à ces sujets plutôt que d’autres ?

J’ai l’impression que l’on est plus sensible aux sujets qui nous touchent dans notre vie quotidienne. Nous ne sommes pas encore dans le monde du travail, le sujet de parité ou de plafond de verre nous touche moins. À l’inverse, le sexisme, le harcèlement de rue, et plus largement, les relations femmes-hommes font partie de notre quotidien. 

Je pense que l’on mène des combats additionnels. Par exemple, lorsque l’on parle de charge mentale, elle se traduit différemment en fonction de l’âge. A l’écran, par exemple, les femmes à 20 ans sont objectifiées, tandis qu’une fois qu’elles ont dépassé la cinquantaine, on ne les voit plus, elles sont invisibilisées. Finalement, on traite de la même chose, on parle du regard des hommes qui conditionne encore la place des femmes dans la société. 

Vous avez choisi de travailler certains axes pour l’année 2021-2022. Quels sont-ils et pourquoi ces choix ? 

Ce sont nos bénévoles et certains partenaires qui nous ont suggérés ces thématiques. Nous avons porté le sujet de l’écoféminisme avec le Planning Familial. Avec Concordia, nous allons traiter des modèles de masculinité, du patriarcat et quelle influence cela exerce sur nos vies.

Nous voulons également libérer la parole sur la sexualité et les formes de couples. Le sexisme et le patriarcat s’insinuent dans nos vies privées. Les tabous d’aujourd’hui sont les conséquences des méconnaissances d’hier. Lorsque je lis Aristote ou Freud, je suis atterrée par le niveau d’ignorance sur la sexualité des femmes, sur leur corps…

Concrètement, comment traitez- vous ces sujets dans vos événements ?

Pour nous, il est très important de créer des espaces de paroles pour lever le voile sur certains sujets. Nous avons les rencontres #PayeTonCycle. Ce sont des cercles de paroles en mixité ou en mixité choisie. C’est l’occasion d’aborder des sujets autour du corps, notamment des femmes.
Pour la première édition, nous avons parlé des règles et de l’endométriose. Le second traitait de la masturbation, avec l’angle plaisir et isolement, dû au confinement. Finalement, ça a rapidement dévié sur le couple et le fait d’habiter ensemble. C’est ça qui est intéressant, la forme choisie est un prétexte, ce qui compte, c’est de libérer la parole. Le dernier traitait des violences gynécologiques. Ça a permis à certains et certaines de partager leurs histoires.

Au bout du compte, rien d’innovant là-dedans. Pourtant, ces moments rencontrent un certain succès, ce qui nous montre qu’il n’existe pas assez d’espaces de paroles bienveillants.

Est-ce que vous avez des formats innovants ? Différenciants ?

Pour sensibiliser plus largement, nous essayons de faire des ponts avec d’autres projets portés par les bénévoles de LieU’topie. En ce moment, nous accueillons un stage d’écriture rap avec la chanteuse clermontoise Illustre, très engagée sur l’identité de genre. 

Nous avons également développé des cadres plus festifs pour débattre ensemble. Par exemple, pour la soirée de rentrée Femmes de Mars, nous avons accueilli des drag-queens qui nous ont encouragés à sortir de notre zone de confort et à jouer avec les codes du genre. Ensuite, on a poursuivi avec un Karaoqueer.

L’année prochaine, nous allons organiser un atelier céramique pour fabriquer son propre gode. Finalement, on utilise un atelier créatif pour parler d’un sujet sérieux. C’est ce que l’on fait également avec les caféministes. On utilise les livres pour aborder un thème spécifique.

Est-ce que tu as un rêve de militante ?

Je suis une “bébé militante” et je rêve peut-être un peu naïvement que l’on puisse plus facilement co-construire avec d’autres collectifs et associations féministes. J’aimerais que l’on s’attarde moins sur nos différences et que l’on s’aligne sur ce qui nous rassemble. 

On le fait déjà avec certains acteurs, mais on pourrait encore aller plus loin. 

Quels sont les prochains rendez-vous de Femmes de Mars sur Clermont-Ferrand ? 

Le prochain, c’est un café-couture en partenariat avec le Planning Familial, le Café Flax et la Fédération contre la Précarité Menstruelle. Il est déjà complet et il va permettre à des personnes de fabriquer leurs propres produits périodiques.

Le 7 décembre, c’est le prochain caféministe. La thématique est celle de la déconstruction des stéréotypes de genres par la réécriture d’œuvres écrites, cinématographiques ou musicales.

Certaines personnes se sont attelées à réécrire les contes de fées par exemple, pour modifier la place et le rôle de la femme. Pendant mon DUT, nous avions mené un projet autour de la Petite fille aux allumettes. Dans la version originale, elle mendie dans la rue, se fait battre par son père et meurt. Dans notre version, la petite fille s’appelle Pélé, le nom d’une divinité hawaïenne du feu et des volcans. Elle est fascinée par les flammes et elle finit par mettre le feu à sa maison, avec le père violent à l’intérieur. Au lieu de subir, elle prend le pouvoir et se défait d’une situation où elle est oppressée.

C’est la magie des histoires, on peut les réécrire et les mettre à notre sauce.

C’est l’instant « carte blanche », quelque chose à ajouter ? 

La programmation de Femmes de Mars est animée par le collectif. Si des personnes souhaitent participer pour la rendre plus inclusive, elles sont les bienvenues, elles n’ont qu’à me contacter.

Dans la tête de Charline

Ta définition de l’innovation : Créer le changement pour moins d’injustices et pas seulement inventer quelque chose de nouveau

Une belle idée de start-up : je n’ai pas d’exemple précis en tête, mais une start-up qui dépollue les océans et recycle/upcycle les déchets collectés en quelque chose d’utile

La start-up qui monte : une association clermontoise, Raboule

Où est-ce que tu vas à la pêche à l’info : la Relève et la peste

Une recommandation pour s’instruire (livre, podcast, magazine, série) : Le coeur sur la table, podcast de Victoire Tuaillon

Une recommandation pour rire (livre, podcast, magazine, série) : Je ne suis pas un homme facile, mais ça fait réfléchir un peu aussi 😉

une femme qui t’inspire/experte : Vandana Shiva

L’Auvergnat.e d’ici ou d’ailleurs avec qui tu aimerais bien boire un coup : mes camarades de master, ça fait trop longtemps pour certaine.e.s qu’on repousse ce verre !

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.