C’est une initiative plutôt rare en France. Le conseil départemental du Puy-de-Dôme alloue 2 millions d’euros à son second budget participatif éco-citoyen. Vous portez un projet d’intérêt général et qui répond aux enjeux de la transition écologique ? Déposez-le sur la plateforme dédiée avant le 30 juin.
Nous allons parler de la mise en œuvre de la seconde édition du budget éco-citoyen du conseil départemental du Puy-de-Dôme, le BEC. Avant cela, Sarah, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Ma formation dans le champ de l’écologie m’a donné des repères sur les enjeux dans une approche universitaire. Ensuite, j’ai eu la chance de faire mon stage de fin d’étude en Colombie et de rencontrer les Indiens Wayu et Kogi grâce à l’association Tchendukua. Ils nous invitent par le lien qu’ils ont avec la « terre-mère » à faire vivre et à imaginer un monde en alliance et non plus en opposition avec la nature.
Après mes études, j’ai commencé mon expérience professionnelle par le métier de formatrice. A Montpellier, j’ai eu la chance de travailler sur les premières assises de la transition écologique avec des chercheurs de la chaire Unesco Alimentation du monde, des écoles d’ingénieurs et des associations de paysans. J’ai donc été ravie de poursuivre dans cette voie avec le projet du Budget Écologique et Citoyen. J’exerce cette mission depuis maintenant 2 ans.
Pourquoi le département a-t-il mis en place ce dispositif démocratique ?
La réflexion était entamée bien avant mon arrivée. C’était un projet porté par le précédent Président du Conseil Départemental Jean-Yves Gouttebel qui souhaitait avancer sur la transition écologique de manière transversale. Il a travaillé avec Jean-François Caron, maire de Loos-en-Gohelle dans le Nord Pas De Calais, qui avait mis en place une démarche de transformation de sa commune par le prisme de la transition. L’objectif était d’appliquer la méthode à un échelon départemental.
Un énorme travail a été réalisé avec les agents du Département et a abouti à une feuille de route qui s’est appelée « master plan ». Elle est composée d’actions thématiques qui s’appliquent à toutes les compétences du Département. Un des axes de cette feuille de route était de « faire avec les citoyens ». C’est comme cela qu’est né le projet du Budget Écologique Citoyen.
Il faut noter qu’il y a une vraie originalité dans la démarche. À la différence des autres budgets participatifs, ici, il n’y a pas de maîtrise d’ouvrage publique. Ce n’est pas la collectivité qui met en œuvre le projet, mais le/la citoyen-ne, avec le financement apporté par le Département.
Ces outils de démocratie participative sont assez récents. Comment est-ce que l’on travaille lorsqu’il n’existe pas de méthodologie éprouvée sur le sujet ?
Nous sommes partis d’un objectif simple : tester la participation citoyenne sur un dispositif. Le prestataire que nous avons retenu pour nous accompagner a une double compétence d’animation de dispositifs de participation citoyenne et de connaissances des enjeux de la transition écologique.
Nous avons monté une équipe projet interne avec des profils qui venaient de différents services, avec le DGA en charge du Pôle « appui juridique et stratégique ». Dans la phase de démarrage, nous nous sommes réunis toutes les semaines pour réfléchir ensemble et partager nos idées. C’était une approche opérationnelle et itérative, chaque réflexion entraînait une action avec des ajustements permanents.
De plus, nous avons la chance d’avoir un très bon portage politique. Pour que cela fonctionne, les élus doivent accepter de laisser les citoyens décider et faire.
Il faut aussi souligner l’importance du portage managérial : bienveillant, ouvert et propice à l’innovation et à l’expérimentation. Laisser les équipes expérimenter avec les citoyens, c’est accepter aussi de faire avec l’inconnu. On apprend à lâcher prise, car on ne peut pas tout maîtriser et on accepte le risque de se tromper. L’essentiel est d’avoir des temps nombreux et réguliers pour apprendre de l’action et se réajuster en permanence.
Je compare volontiers notre démarche à l’apprentissage des langues. Soit on attend de maîtriser parfaitement la grammaire, le vocabulaire et on ne parle jamais, soit on se lance. Ça n’est pas parfait, mais on se fait comprendre, et ensuite, on progresse.
Par exemple, nous avons organisé 6 soirées de lancement. À la fin de chaque séance avec les citoyens, nous avons partagé nos impressions, recueilli les attentes qui s’étaient exprimées. On a également analysé à côté de quoi on avait pu passer pour proposer des réajustements. Ça a changé ma vision de la gestion de projet. Rien n’est jamais figé. Les citoyens sont une source de remise en question et d’enrichissement permanent.
Pour vous, en quoi le budget éco-citoyen 63 est-il un dispositif intéressant de démocratie participative ?
Avec le “BEC”, on donne aux citoyens la capacité d’agir à leur niveau pour la transition écologique. C’est un outil complémentaire à l’action publique et cela permet le maillage sur le territoire des différents moyens d’action.
Un individu ou un collectif peut proposer son projet sur la plateforme. Ensuite, les habitants du Puy-de-Dôme peuvent voter pour leurs projets préférés. Nous avons également mis en place une commission citoyenne. C’est une instance qui permet d’assurer une gouvernance participative tout au long du projet.
Sur le BEC 2, les membres de la commission ont souhaité aller plus loin dans leur implication. Ils vont analyser les projets, partager leur point de vue avec les agents du Département. Nous sommes très heureux de cette évolution et des débats à venir.
Dès le début de notre échange, vous avez fait le lien entre formation et démocratie participative. La montée en compétences est un des éléments essentiels ?
La formation, c’est un peu le fil rouge de mon parcours professionnel, et j’y accorde une grande importance. Certains citoyens avaient de l’expertise dans leur collectif, d’autres ont eu besoin d’avoir un soutien par de la formation pour faire vivre leur projet. Beaucoup de projets du BEC ont été source d’apprentissage : fabriquer ensemble, réparer, construire, planter et aussi tout simplement organiser un collectif. La commission citoyenne du BEC est aussi un espace formatif où l’on apprend par le groupe.
L’autre dimension, c’est la confiance.
Avec la démocratie participative, ce sont les citoyens qui décident quels projets seront soutenus. Le rôle des équipes du Département est d’accompagner les porteurs de projet tout au long du processus. Elles doivent également vérifier que les réalisations sont conformes aux projets sur lesquels les gens ont voté.
D’ailleurs, les porteurs de projets nous ont dit “vous nous faites confiance, et nous voulons être dignes de votre confiance”. Je suis très impressionnée par la qualité des réalisations malgré les obstacles de la crise sanitaire. J’en profite pour leur dire bravo !
Il y a de nombreuses expériences de démocratie participative dans la sphère publique et privée. Comment éviter l’écueil trop souvent entendu du “on fait semblant d’écouter les gens, mais ensuite, on ne tient pas compte de leur parole » ?
Il faut être très clair sur le cadre qui est posé. D’une part, nous avons clairement indiqué ce qui était posé par les élus du Département et qui ne pouvait pas se discuter. D’autre part, nous avons présente l’espace de ce qui pouvait se construire avec les membres de la commission : sur le règlement et sur le référentiel de la transition.
L’autre clé de mobilisation des citoyens est que les lauréats du projet sont ensuite responsables de la réalisation du projet. C’est un engagement très fort qui leur est demandé. Et c’est un aspect qu’il faut bien peser quand on dépose un projet.
Qui peut candidater au budget éco-citoyen 63 ? Est-ce qu’il faut nécessairement avoir une structure juridique ?
Non. On peut être un particulier, un collectif ou une association. Lorsqu’un collectif informel est sélectionné, soit, il décide de verser le montant à une personne du groupe, soit il se constitue en association.
Ensuite, il faut que le projet soit d’intérêt général et qu’il s’inscrive dans une des 6 thématiques de la transition et qu’il soit techniquement faisable dans l’année.
En ce moment, on propose des ateliers pour les porteurs de projets. Vous pourrez toutes les dates sur le site internet.
La fiche projet est plus étoffée que l’année dernière, mais elle reste assez simple. On peut déposer un petit projet ou une initiative d’une plus grande envergure. Lors de la première édition, on a financé des actions entre 600 et 64 000 €.
Pour vous, quel est l’enjeu majeur de la démocratie participative ?
C’est de contrer le sentiment du “ce n’est pas pour moi” que peut ressentir une partie de la population. Le BEC s’adresse à qui veut s’en saisir. À celles et ceux qui ont des idées et veulent agir là où ils et elles sont. Il faut réussir à élargir le mouvement pour pouvoir atteindre tous les publics.
Par exemple, pour toucher plus de femmes, la ville de Clermont-Ferrand a mis en place un système de garde d’enfants. Pour avoir une idée de ce qui a été fait, on peut consulter la plateforme.
Pour le BEC, nous essayons de faire connaître le dispositif aux structures chargées de l’accompagnement de projets. Nous comptons également beaucoup sur les membres de la commission citoyenne et sur les porteurs de projets du BEC 1 pour être les porte-voix de la seconde édition et encourager de nouvelles candidatures.
Je crois beaucoup à l’échange et au bouche-à-oreille pour essaimer et toucher de nouveaux publics, en complément de la communication institutionnelle.