Tania Rougier est responsable de l’antenne Clermontoise de Végépolys Valley, le nouveau pôle de Compétitivité national qui a intégré Céréales Vallée et Nutravita. Il couvre tout le cycle végétal, depuis la génétique des plantes, leurs conditions de culture, de stockage et de transformation pour différents usages, alimentaires comme non alimentaires.
Il se définit comme le “stimulateur et accompagnateur de la co-conception des innovations de l’amont à l’aval”. Pour notre dossier “L’Auvergne, une nouvelle philosophie de l’alimentation” elle nous explique comment cet outil relie les mondes de l’entreprise et de la recherche pour répondre aux grands enjeux d’avenir en matière d’alimentation.
Tania, pour rentrer directement dans le sujet, aujourd’hui, la tendance forte, c’est plutôt haro sur les aliments ultra transformés, qu’est ce que cela recouvre comme réalité, et qu’est ce que cela induit dans la chaîne de valeur du végétal ?
Quand on parle d’aliments transformés, il faut préciser de quoi on parle. Si on prend les céréales, les consommer crues est assez rares même s’il y a un mouvement “raw food” (aliments crus), ce n’est pas la majorité !
La transformation des céréales peut être assez longue, avec plusieurs étapes ….donc on pourrait l’assimiler à un process d’ultra transformation, ou en tout cas des transformations poussées de la matière végétale. C’est ce qui a motivé le Pôle à organiser une journée sur ce thème à destination de nos adhérents l’année dernière (voir le sommaire). L’objectif était de faire le point sur ce qui se dit dans les médias, qui n’est pas forcément faux, et l’état des lieux sur ce que la transformation peut apporter de positif ses possibilités de projet. L’idée était de faire dialoguer industriels et scientifiques. Anthony Fardet par exemple, défend l’idée que “plus c’est transformé moins c’est bon pour la santé”, (lire l’article « Les aliments ulta- transformés, notre poison« ) c’est parfois vrai. Mais pas toujours.
En fait, le mot effrayant, ce n’est pas transformation mais ultra transformation ?
Il y a des classifications scientifiques pour catégoriser les transformation (lire l’article dédié au sujet sur le site “Quoi dans mon assiette”). Prenons l’exemple de la pomme, qui est assez parlant:
Entre une pomme entière et une compote pasteurisée, il y a un monde. Plus on a d’unités de transformation et plus on va aller vers de l’ultra transformation.
Si l’on consomme une pomme entière avec peau, il n’y aucune transformation et on bénéficie de l’entiéreté des valeurs nutritionnelles. Avec une compote de pommes pasteurisée, il y a perte de la texture mais la composition chimique et nutritionnelle est identique. Pourtant l’apport pour la santé n’est pas le même. Pourquoi ? Parce qu’il faut considérer l’aliment dans sa totalité. La composition chimique décrit ce que l’on va absorber comme nutriments mais quand on perd la mastication, le corps réagit différemment et quand on pasteurise, il y a destruction des micro nutriments, les vitamines, les colorants naturels …
Maintenant, si on parle des céréales, c’est un peu différent. On est obligé de la sécher, de la moudre, de la transformer en farine, de la fermenter pour faire du pain, et de la cuire … Cela pourrait être considéré comme une ultra transformation et pourtant ce sont des étapes indispensables pour bénéficier des apports nutritionnels optimisés.
Notre position est qu’il faut raison garder. Le poison est dans l’excès.
Il n’est pas bon de ne manger que du cru, pas plus qu’il n’est bon de ne consommer que de l’ultra transformé. Il faut analyser le pour et le contre, identifier l’avantage de la transformation pour l’alimentation, pour le goût mais aussi pour la nutrition. Si on prend le cas de l’amidon, il est plus digestible cuit que cru…
Donc il y a des classements d’aliments transformés et il faut que les industriels, comme les consommateurs d’ailleurs, se débrouillent avec ça et ce n’est pas facile.
Végépolys Valley travaille sur l’ensemble des végétaux (fruits, légumes, céréales, légumineuses….) et essaye d’amener de la rationalisation objective à ses adhérents pour pouvoir mettre de l’innovation positive. Si on reprend l’exemple de la pomme, la transformation en compote allonge la conservation avec un rapport bénéfice risque satisfaisant : moins d’apports qu’une pomme crue mais quand même des fibres, des nutriments
Les aliments transformés ne sont qu’une part de l’alimentation et ils doivent rentrer dans une diversité et un équilibre global du régime.
Aujourd’hui, quels sont les grands enjeux à l’échelle territoriale, les principaux sujets d’innovation et leur cadre de contrainte ?
Il y a énormément de sujets dans le champs de Végépolys Valley. Il y a une forte demande du végétal, mais les végétaux sont cultivés par des producteurs qui doivent gérer les contraintes sanitaires, de qualité, organoleptiques notamment, de rendement, de retour économique, de protection de l’environnement… Tout est aussi important.
Sur ces sujets, il y a la montée en puissance du mouvement Clean Label. [NDLR Ce n’est pas un label officiel, dans le sens où il n’y a pas référentiel et pas de certification mais une tendance de fond dont l’objet est d’infléchir la formulation des produits transformés industriels]
C’est l’idée de nettoyer les étiquettes (et les produits) et de supprimer tout correcteur, additifs, etc non essentiels aux yeux des consommateurs.
Concrètement, cela amène à réduire sucre, sel, matière grasse, correcteurs,conservateurs, additifs … Si on réduit tout ça, il reste principalement le végétal. Il faut donc que ce végétal colle parfaitement aux attentes des consommateurs pour le transformer en aliment comestible, accessible et attractif. L’idée est donc de réfléchir à la production agricole nécessaire en amont pour une transformation minimale en aval, en préservant apports nutritionnels et qualités gustatives.Cela amène à repenser globalement la manière de produire, de stocker, de transformer…
Il faut donc que la “correction” intervienne en amont ?
Oui, et avec des paramètres supplémentaires. La culture des végétaux dépend de la qualité du sol, il faut donc protéger le sol, faire en sorte que soient présents tous les ingrédients nécessaires pour favoriser la pousse.Elle dépend aussi de la génétique du végétal, cela aussi peut être modifié. Mais également de l’environnement climatique, et là, on ne peut qu’accepter qu’il y ait de la variabilité non maîtrisable.
Tout cela ce sont les enjeux et les grandes questions de demain, …
- Comment nourrir et protéger les plantes en préservant et capitalisant sur les qualités du sol
- Comment anticiper et prévenir les maladies des plantes pour limiter et optimiser les traitements phytosanitaires,
- Comment adapter son végétal à l’usage auquel il est destiné, comment qualifier en amont sa meilleure destination, par exemple pour un blé choisir entre farine pour pain ou biscuit, sans avoir à ajouter d’additif…
Comment produire l’alimentation de demain dans un environnement qui évolue ?
L’Auvergne, l’été dernier, a connu un épisode de sécheresse sévère. Ce type d’événement impacte la production animale et végétale, questionne sur les espèces à semer pour avoir un rendement suffisant, sur la gestion de l’eau …
Tout est interconnecté, c’est l’intérêt de notre Pôle, travailler la génétique, la production, en intégrant les problématiques des cultivateurs et les consommateurs utilisateurs. On va faire de l’ingénierie reverse et essayer de mettre en avant les attentes des consommateurs et les problématiques des agriculteurs . Nous avons développé des living lab pour contribuer à alimenter ces réflexions sur plusieurs sujets.
Le Laboratoire d’Innovation Territoriale Grandes Cultures Auvergne [porté par VéGéPolys Valley jusqu’à la création de l’association en 2020], typiquement, est fait pour faire le lien entre l’utilisateur final et celui qui produit. A Angers par exemple, un autre Living lab Vegepolys Valley a pour objet d’analyser les comportements d’achats des plantes ornementales dans un magasin. A Lyon, au sein de l’Institut Bocuse, un living lab étudie la comensalité (le partage du repas), et observe l’impact des éléments visuels (dressage, lumière, platerie, …) sur l’alimentation.
Ce sont des champs d’innovation infinis ?
En effet. Il y a 7 axes d’innovation au sein de Végépolys Valley,
3 en amont
- L’innovation variétale
- La santé du végétal
- Les systèmes de productions
- Ici, on trouve par exemple les systèmes de co-culture. Des légumineuses et des céréales cultivées au même endroit en même temps, c’est bon pour les sols et c’est une diversification de culture, nécessaire pour les agriculteurs, notamment pour faire face à des accidents climatiques. Mais, ce faisant, il faut aussi diversifier les matières premières qui entrent dans la production des aliments et créer des débouchés pour ces cultivateurs. Tout est lié, l‘un ne peut pas fonctionner sans l’autre.
Et 4 en aval,
- le végétal pour l’alimentation, Procédés de transformation: quelles caractéristiques internes pour un produit particulier
- Nutrition : quelle valeur ajoutée doit il y avoir pour prévenir l’apparition d’une maladie
- Usages non alimentaires : bioplastiques, bio matériaux, …
- Usages en zones urbaines: produire et aménager
Sur la nutrition, la recherche auvergnate nutrition-prévention-santé s’adresse principalement à l’homme sain (voir l’article à paraître sur le Centre de Recherche en Nutrition Humaine CRNH-Auvergne).
(Nota Ne pas confondre la diététique, qui est le choix d’un mode d’alimentation et la nutrition, la régénération de l’organisme, une alimentation à long terme)
Lorsque l’on parle de l’alimentation de l’homme sain, on cherche à adopter les bons réflexes pour prévenir des maladies dégénératives liées au vieillissement, des maladies chroniques, … ou corriger des risques détectés.
A Clermont, il y a deux maladies chroniques spécifiquement ciblées par la recherche: la dégénérescence musculaire liée à l’âge (la sarcopénie) et la dégénérescence osseuse (l’ostéoporose)
C’est ce que l’on retrouve dans le projet Cap 20-25 ?
Tout à fait, il y a un une recherche académique solide et un écosystème économique qui s’est structuré autour de ces axes.
Cela se traduit par exemple par des études cliniques ou pré-cliniques pour identifier les nutriments qui peuvent agir pour prévenir l’apparition de ces deux maladies. Une fois que ces molécules actives sont identifiées, elles peuvent devenir des compléments alimentaires ciblés ou alimenter les préconisations de régimes nutritionnels ciblées sur les besoins de populations spécifiques (personnes âgées, enfants, sportifs …)
C’est une collaboration recherche-entreprises qui donne ensuite lieu à une mise en marché.
Par exemple, Clinic’n’Cell, est une spin off de l’INRAE montée par Yohann Wittrant et Fabien Wauquier (en cours de création). Elle met en place un système de validation rapide du bénéfice santé d’un nutriment grâce à une approche clinique innovante combinant métabolisme humain et biologie cellulaire. Cette approche qui s’effectue sans avoir recours à l’expérimentation animale est désormais validée par 3 études cliniques et sa robustesse attestée par 3 publications récentes.**
Quel est le rôle du Pôle sur ce type de projets ?
Un pôle de compétitivité intervient, principalement pour ses adhérents, en actionnant trois types de leviers:
- Soit en stimulant les idées et donc proposant des journées d’idéation autour de thèmes intéressants à travailler à plusieurs. C’est notre valeur ajoutée de faire émerger des projets collaboratifs.
- Soit en accompagnement d’une idée existante, qui va demander des collaborations, une entrée dans un réseau qualifié, le montage de consortium
- Soit en accompagnant un groupe déjà bien structuré pour la recherche de financement en apportant une expertise extérieure, du marché, du secteur,et jusqu’à la valorisation des résultats.
Les expertises “piliers” sont-elles réparties sur tout le territoire ou a-t-on conservé les colorations antérieures liées aux anciens clusters ?
Tous les piliers sont présents sur tout le territoire, mais les experts sont plutôt géolocalisés. Céréales Vallée était spécialisé sur les céréales, amont et tout ce qui était alimentaire et non alimentaire. Le non alimentaire est pour l’instant principalement travaillé ici avec Plastipolis [Pôle de compétitivité de la Plasturgie et composites] et c’est l’un des territoires où ce thème s’est le plus développé. Pour tout ce qui est amont, c’est réparti sur tout le territoire principalement parce que ces thématique étaient partagées avec VégéPolys bien que sur des végétaux différents. Il y a beaucoup de passerelles en matière de recherche: quand on travaille sur le biocontrôle, que ce soit pour une tomate ou une céréale, c’est le même principe. De la même manière, les nouvelles technologies liées à l’agriculture (capteurs, robots, analyse d’image, …) sont tout à fait transposables, de même que la méthodologie génétique.
C’est ce qui justifie la fusion, ce n’est pas juste des questions de rationalisation, il y a une vraie cohérence à travailler ensemble sur toutes les filières végétales.
Y a t il des projets emblématiques qui incarnent l’apport de la recherche et de l’innovation pour ré inventer l’alimentation de demain?
On peut prendre l’exemple du projet “Oat Gam”. Le porteur du projet Celnat est très bien implanté pour les flocons d’avoine Bio. Dans les flocons d’avoine, il y a du Bêta Glucane. C’est une fibre alimentaire connue et reconnue par l’EFSA, comme étant un ingrédient favorable à la prévention des maladies cardio vasculaires. L’un des objectifs du projet a été d’étudier les moyens de cultiver des avoines en Haute Loire qui permettent d’avoir la dose nécessaire à une prévention effective dans une portion d’avoine. L’idée pour VégéPolys Valley va être de mettre autour de Celnat les bons interlocuteurs: des sélectionneurs d’avoine, des structures qui savent extraire et enrichir les molécules, d’autres qui sachent qualifier le bétaglucane, qui vont pouvoir conseiller sur le meilleur procédé de transformation pour ne pas altérer ses propriétés physiologiques …
C’est aussi le cas pour un des projets du Parc Naturopôle de St Bonnet de Rochefort (article à paraitre) : pour un usage donné de la plante active, le projet est de chercher à maîtriser la production de plantes avec la bonne molécule active et si possible, le plus de molécules actives possible, pour l’élaboration de compléments alimentaires. L’ambition est de maîtriser toute la chaîne.
On peut aussi parler de Granoflakes: , l’objet était d’identifier la meilleure variété de maïs pour un cornflakes de qualité, en termes organoleptique et nutritionnel. L’enjeu est de produire en local, transformé en local et sans additif.
Autre sujet intéressant le Gluten !
Une maladie s’est développée, c’est l’hypersensibilité au gluten non coeliaque, dont les symptômes s’estompent quand on arrête la consommation de e gluten, ou le blé, ce n’est pas encore clairement défini. Notre approche n’est pas de développer le sans gluten, puisque nos adhérents sont producteurs de gluten avec le blé , l’orge, le seigle… mais de comprendre quel est le problème avec cet aliment qui est la base de notre alimentation. Si il faut changer les céréales, ou les façons de les transformer, il faut le savoir. Il y a beaucoup de projets sur ce sujet. Il s’avère que sur la génétique liée à la production de la protéine de gluten, les experts sont à Clermont à l’INRAE, à l’UMR GDEC (Unité Mixte de Recherche Génétique Diversité Ecophysiologie des Céréales) et au CHU, avec une gastro entérologue, Corinne Bouteloup, qui travaille beaucoup sur ce sujet.
Nous avons un écosystème local notamment qui est très actif sur l’étude du gluten, ses réactions, sur un digesteur artificiel, sur le microbiote … pour bien comprendre ce phénomène et réagir. Nous avons édité un book sur l’état de l’art en la matière: https://www.weezevent.com/book-gluten
** Références Q1 – indexées Pubmed 2019). (1) Wauquier et al. Nutrients May 2019; (2) Kleinnijenhuis et al. ABC Dec 2019; (3) Wauquier et al. Nutrients Dec 2019