Ancien directeur Michelin de la Prospective et du Développement Durable, fondateur du Challenge Bibendum, devenu Movin’On, co-fondateur de PPMC (Paris Process on Mobility and Climate), Patrick Oliva est l’instigateur du projet Orbimob.
Retour sur le moteur et la vision de celui qui espère contribuer à faire de Clermont la capitale des mobilités territoriales.
Patrick Oliva Catalyseur d’écosystème
« Je n’ai pas d’autre « titre » qu’instigateur du projet Orbimob. Je sais que c’est difficile en France de ne pas se situer dans une structure précise, avec une mission définie … Mais justement, je ne voulais surtout pas créer une énième structure qui aurait compliqué les relations. Il faut dépasser ça, œuvrer sur une base non partisane et non inféodée, de partage d’expériences et d’expertises. »
Le ton est donné. Patrick Oliva est libre et motivé.
Dans un rôle d’ensemblier, il a patiemment convaincu toutes les parties prenantes liées à la thématique des mobilités,clermontoises et plus largement auvergnates, du capital à faire fructifier. Et de la nécessité de le faire ensemble, seul moyen selon lui, de franchir une étape significative.
Dans la marmite de l’énergie décarbonée
Je suis d’une génération d’ingénieurs diplômés vers la fin des années 70. Soit après les chocs pétrolier et surtout après le rapport du club de Rome (Cf Le Monde Diplo). Ce rapport, “ Les limites de la croissance” montraient qu’on s’acheminait vers des conséquences dramatiques avec une croissance économique et démographique forte.
J’ai toujours été passionné par ces sujets d’énergies alternatives, et notamment électriques. J’imaginais que le transport devait s’électrifier rapidement pour s’affranchir de la dépendance aux énergies fossiles. J’ai fait ma thèse au CNRS puis j’ai intégré SAFT, leader du secteur des batteries, avec l’envie de participer à cette transformation. J’ai contribué au premier livre blanc sur le véhicule électrique, tout début 80 : des solutions existaient déjà, sans doute pas au niveau de performance actuel mais vraiment intéressantes … et il ne s’est rien passé, ou presque, en 40 ans…
Avec Bibendum, élargir l’horizon
J’ai rejoint Michelin où j’ai occupé différents postes qui m’ont fait évoluer dans ma perception. Par exemple, j’ai lancé en 98 le challenge Bibendum (devenu Movin’On). De pays en pays, nous avons fait le tour de ce qui émergeait. Ou encore une expérience de collaboration avec un labo de recherche en Suisse sur la mobilité électrique…
La finalité était d’engager le changement, de dépasser les concepts anciens, de réfléchir à des options nouvelles.
Plus tard, j’ai été mandaté par l’ONU et la Présidence française pour représenter les acteurs non étatiques lors de la COP21. La France avait la volonté d’impliquer la société civile pour faciliter le consensus des gouvernements et montrer les réalités de terrains. Sur le triptyque transports-énergie-environnement, il est impératif de marier toutes les composantes de la société et pas seulement les instances gouvernementales ou les politiques publiques.
Même si la récente Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) a beaucoup apporté en France, ça ne peut pas suffire. C’est un outil pour accompagner des initiatives. Il faut donc qu’il y ait des initiatives. Et c’est pour cela qu’il faut impliquer l’ensemble des composantes. Aujourd’hui, c’est devenu une urgence, pour des raisons climatiques, mais aussi géostratégiques (dépendance), sanitaires (pollutions), économiques (déficit commercial) …
Sans transversalité point de salut
Il n’y a pas eu cette approche multidisciplinaire nécessaire. Raison pour laquelle il n’y a pas eu non plus de réelles évolutions en 40 ans. De fait, la mobilité est au croisement de nombreux sujets:
- techniques évidemment,
- fiscaux – en Suède, par exemple, la fiscalité du transport et de l’énergie a d’abord changé avant d’engager une stratégie de transformation-
- juridiques – la mobilité est très réglementée au niveau national, européen, par l’OMC,-
- sanitaires- on l’aborde le plus souvent sous le seul angle de la pollution atmosphérique dans les villes. 91% de la population mondiale vit dans un environnement où la qualité de l’air est catastrophique, d’après le référentiel OMS. C’est un enjeu grave et pourtant il n’y a pas d’actions réelles. Mais il y aussi la question de la sédentarité … qui peut être liée à l’usage de moyens non actifs de déplacements et qui montre l’importance et l’intérêt de revenir à des mobilités plus actives
- comportementales enfin : il faut créer un imaginaire positif. Il ne s’agit pas seulement de ‘corriger’ des effets négatifs mais aussi de passer dans un monde plus moderne qui encourage le partage, facilite l’intermodalité et l’accès de tous aux services. Un projet commun qui donne envie, en somme !
C’est le rôle d’Orbimob: fédérer les énergies et engager le mouvement.
Think global act local
Jusqu’en 2005, la France était plus en avance qu’elle ne l’est aujourd’hui. Nous avons perdu notre avance. Depuis la COP 21, nous avons une bien meilleure connaissance de ce qu’est la dynamique internationale. Elle est nécessaire bien sûr mais pas miraculeuse. De la même façon, j’ai été chargé du pilotage de la commission “Mobilités plus propres : réduire notre empreinte environnementale”, en 2017, lors des Assises de la mobilité. En travaillant, même bien, avec tous les acteurs nationaux, on restait très éloignés d’une application très claire accompagnée d’une stratégie de transformation concrète avec les citoyens.
J’en ai acquis la conviction que le niveau international ou national ne sont pas les bonnes échelles pour être efficaces. Il faut des terrains ‘manageables’.
C’est pourquoi je suis convaincu qu’il y a une réelle opportunité pour Clermont et l’Auvergne – les deux ensemble- de devenir un pôle d’expertise sur les mobilités territoriales.
Mobilité & territoires : une position à préempter
Nous avons un territoire très spécifique, urbain – mais Clermont n’est pas une mégapole- et rural ou semi rural, en proximité. Et justement, en dehors des mégapoles, le monde est fait comme l’Auvergne: des habitats dispersés, une concentration urbaine avec les activités métropolitaines, des problématiques à résoudre de mobilité des personnes et des marchandises…
Si l’innovation sur la question des mobilités urbaines durables est très dynamique, elle ne l’est pas autant sur celle des mobilités territoriales.
C’est une place à prendre. Ambitieuse mais réaliste.
Personne n’identifie l’Auvergne comme territoire de référence aujourd’hui mais elle regorge de pépites.
L’Auvergne, la bonne maille
J’ai le sentiment que nous avons l’opportunité de préempter ce domaine, de l’enraciner sur un territoire qui a la bonne maille en taille et nombre d’habitants. L’Auvergne c’est, peu ou prou, la Slovénie.
C’est une maille pertinente, où l’on peut agir en commun et ce, même si les orientations politiques des différentes ‘couches’ institutionnelles sont différentes. Il y a une vraie capacité à dialoguer, une facilité à se rencontrer…
Un horizon à court terme est nécessaire, les échéances trop éloignées sont trop abstraites pour embarquer les gens. En 6 ans, on peut rapidement transformer beaucoup de choses. La reconnaissance internationale est accessible. Il faut juste capitaliser sur des éléments de réalisme. Les atouts sont réels mais méconnus. Ce que nous allons engager, nous devrons le porter au niveau international : expérimenter des transformations effectives de la mobilité des personnes et des biens, le faire savoir, en faire un socle de développement économique, exporter ces nouvelles solutions …
Vous avez tenu bon pour Orbimob. Malgré une accumulation de difficultés, la première édition a eu lieu. Comment évaluez vous cette première édition ?
Cette première édition ne ressemble pas forcément à tout ce que nous avions pu imaginer mais l’université a vraiment joué le jeu et énormément mobilisé. Il fallait entretenir ce début de dynamique et ne pas annuler. Il faut avancer et prendre position maintenant. Et préparer la prochaine édition.
Le domaine des mobilités territoriales n’est préempté par personne mais cela ne durera pas. Il n’y a pas de temps à perdre.
Quels seraient les 3 points d’appui principaux pour réussir ?
L’Université.
Elle dispose d’une offre multidisciplinaire, ce qui rend possible la transversalité.
Et des sites territoriaux, pour faire le lien avec les autres agglos et éviter de polariser sur Clermont. C’est ce qui donne de la crédibilité à l’ancrage territorial.
Et puis, au travers d’UC2A, on peut associer l’ESC Clermont, l’école d’art, l’école d’architecture, l’école des impôts…
Michelin.
Pour le rayonnement international qu’il apporte.
Et enfin, sans démagogie, la population auvergnate
Elle est variée et donc représentative de la population mondiale. Globalement, il y a en elle, beaucoup de dynamisme et en même temps, d’humilité, avec un penchant naturel pour la frugalité. L’Auvergne n’est pas une région riche, il y a une habitude de faire avec les moyens dont on dispose. Là encore, c’est une situation qui correspond aux territoires du monde entier qui rencontrent les mêmes problématiques de mobilité.
C’est un sujet qui concerne la vraie vie. Les solutions d’amélioration des conditions de vie doivent être accessibles à des moyens réduits, pour des territoires souvent vastes et peu peuplés. On parle de transporter du foin, de se déplacer pour aller travailler quand on est un peu éloigné. Il faut dépenser là où c’est utile.
Pour vous, quelles sont les étapes principales à réussir, les facteurs clés ?
Un plan à 6 ans est à établir avec tous les acteurs. D’une manière générale, il faut capitaliser sur ce qui existe déjà, lancer des activités nouvelles et progressivement se faire connaître.
Capitaliser sur ce qui existe, 3 exemples
Prenons l’exemple du CHU de Clermont: dans le cadre du challenge 3 du projet I SIte Cap 2025, il développe un axe fort de recherche sur les questions de mobilité et santé (Voir notre article sur l’intervention de Martine Duclos). L’enjeu est de faire de Clermont le Centre Européen de la mobilité (cf notre interview du Professeur Alain Eschalier). En termes de rayonnement, il n’y a pas d’équivalent en France ou en Europe. Le projet Charade aussi doit être prioritaire et soutenu par tous. Cela ne doit pas seulement être le projet du département. Il faut qu’il réussisse.
On a aussi besoin que l’Auvergne, avec Engie, EDF, … avec des fabricants de biogaz comme Chadasaygas etc se dote de ce que j’appelle les 3 « ceintures énergétiques » : l’hydrogène propre, le biogaz et de l’électricité propre. Les acteurs nécessaires sont sur place, il peut y avoir une vraie émulation et une crédibilité plus forte aussi pour les projets des uns et des autres.
Mais cela ne fonctionnera que s’il y a une véritable synergie.
Engager de nouvelles actions
En 2 ans, engager un corpus d’enseignement multidisciplinaires qui ira crescendo
Polytech a déjà mis en place un module “Polycompétences et mobilité” très rapidement dès cette rentrée (voir notre article). D’autres spécialités vont émerger ou se renforcer, des masters, des DU … La spécialisation est nécessaire pour émerger : Montluçon et la logistique, Vichy et la santé, Le Puy et le numérique, Aurillac et la cybersécurité… Il faut vraiment développer une culture commune “mobilité”, sous toutes ses facettes.
Il y a également une volonté de développer des activités de recherche et d’expérimentation, en lien avec la Métropole et les entreprises du territoire.
La création d’un campus des métiers et des qualifications Mobilité durable pour irriguer tous les niveaux de formation, sur toutes ses facettes. Là encore, il faut démarrer avec ceux qui seront les plus dynamiques ou les plus motivés. Et monter en puissance.
Enfin, Clermont doit se saisir de la ‘torche’ des villes qui assument leur volonté de transformer leur mobilité, en se dotant notamment
- d’une véritable Zone Faible Emission puis très faible émission, puis O émission qui recompose réellement un espace piétonnier,
- d’un plan cyclable ambitieux,
- d’une billetique multimodale…
Clermont, en tant que capitale du territoire, a un rôle de leader sur le territoire, elle doit engager des actions visibles et significatives.
Créer une dynamique inspirante
Il n’est pas nécessaire d’embarquer tout le monde dès le départ. La première édition d’Orbimob a reposé sur un petit nombre d’acteurs engagés. Mais ils avaient tous le ‘feu’, l’envie que ça bouge.
Souvent, on oppose le manque de moyens à la possibilité d’agir. Le plus souvent, c’est un faux problème. Il faut accepter de faire même si ce n’est pas parfait. Il faut amorcer. Démarrer petit, nous sommes petits aujourd’hui, et progressivement, nous ferons que les choses impossibles deviennent possibles.
Il y a aujourd’hui partout dans le monde des compétences qui ne demandent qu’à trouver de nouveaux terrains d’expérimentations, de nouvelles collaborations. Qui ont envie de contribuer à des projets ambitieux. Nous pouvons nous déclarer prêts à les accueillir. La dynamique et l’ambition sont des stimulants. Ils inspirent l’envie de participer, de s’intéresser et in fine, facilitent aussi l’accès aux financements.
A quels écueils faut-il être attentif pour éviter de se retrouver au même point dans 6 ans ?
Un unique écueil à éviter: la division !
Nous devons penser et agir avec notre ambition collective en ligne de mire. Il faut que nous soyons dynamiques et bienveillants les uns avec les autres. C’est fondamental.
Et un second finalement.
Ne pas oser nous déclarer.
Nous devons affirmer que nous voulons préempter le domaine des mobilités territoriales, à Paris, à Bruxelles. Attirer l’attention, susciter l’intérêt … Pour cela, nous devons trouver notre équation entre ambition forte déclarée et humilité si caractéristique des auvergnats.
Et rendez-vous l’année prochaine, pour une nouvelle édition d’Orbimob.