Georges Abikhattar a la passion du terroir et de celles et ceux qui oeuvrent chaque pour mettre en avant les productions et savoir-faire locaux. Dans cette période particulière, il partage avec nous sa passion pour l’image, son amour pour l’Auvergne et ses amitiés gourmandes. Connaisseur de ce monde durement touché par la crise, il nous livre sa vision pour le monde d’après.
Avant de parler de gastronomie et de produits du terroir, est-ce que tu peux te présenter en quelques mots pour celles et ceux qui ne te connaissent pas (encore)?
Je suis producteur et réalisateur. Ma société de production s’appelle 31 Bd Street et, c’est à travers celle-ci que je développe la série Les Gourmands Nés depuis maintenant trois ans. Je travaille principalement sur Clermont-Ferrand ainsi qu’en région Auvergne-Rhône-Alpes.
Depuis tout jeune, j’ai toujours été passionné par le cinéma et j’ai voulu en faire mon métier. J’ai fait une école de cinéma à Paris qui s’appelle l’ESEC et je me suis spécialisé dans le montage vidéo.
J’aime raconter des histoires et je suis amoureux de l’Auvergne, ma région d’origine. J’ai mis ma passion de l’image au service de mon territoire.
Ce mois-ci, on parle de tourisme de proximité, et dans le tourisme, il y a une belle part faite à la gastronomie et aux producteurs locaux. Les Gourmand Nés c’est un format assez original de mise en avant des métiers de bouche et des producteurs locaux. Pourquoi ce sujet plutôt qu’un autre ?
J’ai grandi dans une famille d’épicuriens. Lorsque je suis revenu de mes études parisiennes, j’ai retrouvé des amis restaurateurs, ceux de la rue de l’Ange et de la rue des Minimes pour ne citer qu’eux. Je me suis rendu compte qu’il y avait, d’une manière générale, beaucoup de passion, d’amitié et d’énergie dans les métiers de bouche. Une petite graine a commencé à germer dans mon esprit.
A l’époque, les émissions culinaires traditionnelles valorisaient la technique et la créativité, mais pas forcément l’humain. C’étaient soit des concepts d’émissions-jeux où chacun était en concurrence avec l’autre, soit des formats qui donnaient l’impression que finalement la cuisine, c’était facile…
C’est là que je me suis dit : il y a là peut-être quelque chose à imaginer. Penser un format où l’on retrouve cette ambiance familiale et conviviale, autour d’une table, avec des professionnels passionnés. En les réunissant, en leur laissant la parole, on leur permet de porter à l’image leurs valeurs et transmettre leurs savoirs. Ils n’ont pas forcément besoin d’un présentateur ou d’un animateur.
Pour résumer, la petite graine s’est transformée en un concept, celui de proposer une émission, valorisant les métiers de bouche sans passer par le prisme d’un présentateur-vedette.
Comment a débuté cette aventure, parce que tu n’es pas tout seul dans ce projet ?
La première émission a été tournée à l’Auberge de la Moreno. Huit personnalités des métiers de bouche de Clermont-Ferrand se sont retrouvées le temps d’un repas à partager. Certaines ne se connaissaient pas du tout et se rencontraient pour la première fois. J’ai pu voir des amitiés naître. Ce moment de convivialité a noué des liens forts, et le public a été au rendez-vous.
Quand j’ai décidé de réaliser cette émission, j’étais le petit nouveau; la restauration, ce n’était pas mon domaine d’expertise. Pourtant, dès le départ, j’ai eu le soutien notamment de Martial Esteve, le restaurateur de La Vache Qui Tète, Raphaël patron de l’Auberge de la Moreno, ou encore de Thierry Vacher avec Le Petit Gourmet. Ils ont été les premiers à me dire: “Allez, on y va !”.
Aujourd’hui Les Gourmands Nés ce sont entre quinze et vingt techniciens qui sont présents sur le plateau. C’est ce que l’on appelle l’équipe régie. Il y a une petite dizaine de caméras. Cette émission, c’est aussi des partenaires privés qui croient dans le concept.
Tu parlais d’amitié que tu as vu naître… Quelle est la plus belle histoire que tu as à nous raconter ?
C’est la dernière émission avec Fanny Agostini. Avec son mari, ils ont décidé de s’installer il y a peu de temps en Haute-Loire pour porter un projet de ferme et d’incubateur. Cette décision a été prise à la suite du tournage de l’émission Les Gourmands Nés. Il y a eu une rencontre assez forte entre la famille Marcon et Fanny Agostini.
Je pense qu’avec son mari, ils ont réalisé qu’ils n’allaient pas attendre leurs cinquante ans pour se reconnecter avec la nature et leurs valeurs.
Tu parles de reconnexion, de valorisation de l’humain. Quel est en une phrase le message que tu souhaites faire passer dans tes émissions ?
Il y a une belle phrase citée par Olivier Paupert de la société laitière de Laqueuille dans une de nos émissions qui me paraît fondamentale : “Nous avons tous des racines paysannes”. Pour moi, cette phrase symbolise bien le message que je souhaite faire passer. La reconnexion à la nature et à la terre est primordiale. Elle nous rappelle que nous devons faire preuve d’humilité et aussi, de l’importance de retrouver le goût des plaisirs simples.
Pourtant avec le confinement les métiers de bouche au sens large sont en danger. On ne sait pas encore l’ampleur de la crise. Est-ce que tu as pu échanger avec certains d’entre eux ?
Il y a beaucoup de restaurateurs du centre-ville de Clermont-Ferrand qui ont décidé de poursuivre leur activité à travers la livraison sur des plateformes comme UberEat ou Deliveroo, ainsi que la vente à emporter. Ils n’ont pas tout arrêté et ont réussi à s’adapter en un temps record.
Souvent, les restaurateurs ont des liens forts avec leurs clients et on peut le voir dans les messages de soutien sur les réseaux sociaux. Beaucoup n’ont pas hésité à partager les recettes qui font le succès de leur établissement. D’autres, ont choisi de donner un coup de pouce supplémentaire aux producteurs locaux pour qu’ils puissent écouler leurs marchandises.
Enfin, on voit les initiatives de chefs qui cuisinent pour le personnel médical avec le soutien de partenaires comme Métro, qui leur fournissent gracieusement les produits nécessaires.
Ça, c’est le côté positif, mais le revers de la médaille est moins lumineux et plein d’incertitudes…
Oui. Il y a des restaurateurs qui ont déjà, et vont continuer d’avoir de vraies difficultés pour parvenir à se relancer. La réorganisation nécessaire des lieux, avec l’espacement des tables, pour certains, c’est 50 % de baisse de chiffre d’affaires dans le meilleur des cas. L’impact sur les emplois va être aussi très important. On n’a pas les mêmes besoins en personnels à vingt, quarante ou soixante couverts.
Et n’oublions pas qu’un restaurant, ce n’est pas seulement un endroit où l’on se restaure. Le lien social, la convivialité, c’est la raison d’être des restaurants.
On entend beaucoup parler de la nécessité de soutenir l’économie locale dans les prochains mois. En modifiant nos comportements, nous, citoyens, pouvons avoir un impact réel… L’acte 1 de solidarité était de rester chez soi, l’acte 2 sera de remettre de la conscience dans l’acte d’achat….
Il ne faut peut-être pas limiter le sujet à la restauration. La question est de savoir comment demain collectivement et individuellement nous allons valoriser nos producteurs. J’ai beaucoup d’espoir dans l’éducation des nouvelles générations. Si on parvient à sensibiliser les enfants, dans les cantines, organiser des sorties scolaires pour rencontrer des producteurs et des restaurateurs, ils seront les meilleurs ambassadeurs du bien manger et du mieux consommer. Plus tard, ils regarderont le menu d’un restaurant différemment.
Il est vrai que les restaurateurs ne proposent pas tous du fait-maison et des produits locaux; certains clients recherchant le bas prix au détriment de la qualité. Oeuvrons pour sensibiliser chacun vers une démarche de circuits courts. D’ailleurs, les citoyens ont montré la voie pendant ces deux mois. On a vu une explosion des ventes en circuits courts. Il y a une vraie dynamique installée.
Comment faire perdurer ces bonnes résolutions pour la survie économique des territoires ? On voit les files interminables au drive des Mc Donalds, ça questionne sur notre capacité à modifier nos comportements…
Le confinement a bousculé nos habitudes avec la fermeture des lieux “sociaux”. Les apéros Skype ont déjà du plomb dans l’aile. Rien ne remplace le physique, le face-à-face de la rencontre. Le 100 % virtuel, ça ne fonctionne qu’un temps.
Pour le Mc Do, il faut se poser la question du “pourquoi quelqu’un est prêt à faire la queue deux heures pour un Big mac”. Le Mc do, dans certains quartiers, c’est un peu une madeleine de Proust. Ça reste un lieu de convivialité, ce sont des souvenirs, des moments partagés, et ça c’est important. Ça a un côté rassurant.
Il faudra du temps pour faire évoluer les mentalités. Nous devons avoir une démarche positive de sensibilisation au bien-manger en valorisant nos producteurs et nos restaurateurs locaux.
Un dernier mot ?
Oui, je voudrais terminer encore une fois avec le mot “reconnexion”. Nous devons nous reconnecter avec nos producteurs locaux, avec notre territoire, mais aussi nous reconnecter à l’autre. Les caissières, le personnel soignant, les éboueurs, toutes ces femmes et ces hommes qui sont en première ligne, qui étaient les invisibles avant la crise, il faut les remettre au centre, les reconnecter à notre quotidien, et mettre l’humain au coeur de nos actions et de nos choix.
Découvrez la dernière production de Gourmands Nés. Un portrait du chef, Adrien Descouls ( top chef 2018),propriétaire du restaurant Origines dans le Puy-de-Dôme. En 2020, il obtient une étoile au Guide Michelin. Un chef engagé avec ses équipes et ses producteurs. Très beau message d’espoir en conclusion de ce joli format.