Travail : sommes-nous devenus trop capricieux ?

Travail : sommes-nous devenus trop capricieux ?

Article rédigé par Pauline Riviere et Maël Aubert

Aujourd’hui, de nouvelles façons d’aborder le travail émergent. Les normes et valeurs se transforment. Le travail se voit de moins en moins comme une fin, mais comme un moyen d’atteindre des objectifs personnels. Plus de valeur-travail, mais des nouvelles dans le travail…

De nouvelles tendances dans la reconversion professionnelle

Christelle Chaudron, responsable de l’espace territorial « Transitions Pro » de Clermont-Ferrand, explique qu’elle voit passer de plus en plus de professionnels qui cherchent à exercer un métier qui leur plaît vraiment : « Il faut qu’on s’y sente bien et qu’il soit en phase avec ses valeurs. D’ailleurs, les jeunes qui débutent n’hésitent plus à se réorienter si leurs premières expériences ne sont pas satisfaisantes. »

Les conditions de travail sont devenues essentielles lors d’une recherche d’emploi, quitte à prendre le temps et ne pas tout accepter. « Que l’on puisse dire, non, cet emploi, je n’en veux pas, pas dans ces conditions, c’est plutôt une évolution positive de la société” pour Gérard Guièze, professeur de philosophie.

Christian Vabret, fondateur de l’École Française de Boulangerie-Pâtisserie Christian Vabret dans le Cantal, voit de plus en plus de cadres de 35 ans se reconvertir dans la boulangerie. Il y a une forte envie de se reconnecter à un métier manuel et utile socialement.

On cherche à multiplier les expériences de vie

Pour Christelle Chaudron, une partie des travailleurs n’accordent plus autant d’importance à l’évolution de carrière au sein d’une même entreprise, ils s’astreignent moins, et s’accordent la possibilité de changer. « Le salarié de demain changera plusieurs fois de métier au cours de sa carrière, soit par choix, soit contraint par des événements de la vie ».

« Il y a une aspiration sociétale autour de la valeur du travail », souligne Gérard Guièze. Aujourd’hui, on regarde une offre d’emploi par rapport à « ce qu’elle permet ou non d’obtenir » : un bon revenu, une reconnaissance sociale, un épanouissement personnel, ou encore une organisation qui permet d’exercer sa passion ou un loisir.

Christian Vabret ajoute que « les nouveaux boulangers qui passent par son école ne veulent plus se consacrer uniquement au métier de boulanger ». Ils veulent également avoir le temps de développer d’autres projets annexes, reliés ou non avec leur activité principale.

Un management qui doit évoluer

Pour une nouvelle vision du travail, il faut un management qui se renouvelle en parallèle. Dans cette optique, émerge le concept d’alter-management, développé notamment par Pierre Mathieu, enseignant-chercheur à l’UCA. Cet axe permet de développer une gestion moins « mainstream » que la gestion classique des ressources humaines. “On s’intéresse plutôt à comment se passent les choses dans le quotidien des personnes qui les vivent plutôt que comment elles devraient se passer.” On ne cherche pas à atteindre une situation idéale mais à comprendre ce qui peut dysfonctionner et comment y remédier.

Avec ce type de management, on s’attaque aux problématiques individuelles des salariés, « il y a un côté sur mesure qu’il faut intégrer ». Ce type d’approche peut se révéler compliqué pour un manager. Comment concilier liberté du salarié et encadrement efficace des équipes?

Une tendance qui ne touche pas tous les actifs

Alors, le travail a-t-il encore de la valeur ? De nombreuses études tendent à montrer que le travail a toujours de la valeur, mais que certains critères se renforcent quand d’autres s’amenuisent ou disparaissent. 

Dans le sondage d’OpinionWay pour Le Parisien Économie et Indeed, on découvre, qu’après le salaire, les jeunes recherchent plutôt un bon environnement de travail, de la flexibilité et un juste équilibre entre la vie professionnelle et personnelle.

Toutefois, il faut rester prudent avec ces changements. La “grande démission”, le “quiet quitting”, ne touchent pas toute la population, même si ces termes sont largement repris dans les médias.
Ces aspirations concernent principalement les classes aisées et celles qui ont confiance en l’avenir. Une large partie de la population souhaite avant tout un travail stable qui leur permet de faire vivre décemment leur famille.
Le taux de chômage national en baisse est également trompeur. Les opportunités sont bien plus importantes dans les grandes villes et dans les métropoles que dans les zones rurales éloignées des bassins économiques. La valeur du travail évolue, c’est sans conteste une tendance de fond, mais elle n’est pas encore généralisée, et cela, nous avons parfois tendance à l’oublier.

Qu’en pensent les chefs d’entreprise de la région ?

Quels regards les chefs d’entreprises de la région portent-ils sur ces nouvelles tendances ? Pour Cédric Tessier, fondateur d’Effidence, il est vrai que certains profils, notamment chez les jeunes, cherchent un travail qui allie “confort” et “minimum de tracas”. Ce sont souvent des profils très recherchés et ils savent qu’ils peuvent facilement retrouver un emploi quand leur travail actuel ne leur convient plus. 

Cédric Tessier constate également qu’il y a moins d’attachement à l’entreprise. « En effet, les jeunes et nouveaux salariés sont principalement de passage. Ils restent au maximum cinq ans avant de partir. » Les carrières professionnelles sont de plus en plus vues comme une succession d’expériences professionnelles enrichissantes. 

Thierry Yalamas, PDG de Phimeca, est lui aussi conscient des nouvelles réalités du monde du travail. Il a entamé, il y a plus d’une année, une démarche pour transformer sa société en “entreprise à mission”. Il cherche à inscrire ses collaborateurs dans un esprit de groupe, enjeu de taille avec le développement du télétravail. 

Quant à la recherche de “sens” au travail, elle n’est pas un épiphénomène anecdotique. Pour Thierry Yalamas c’est « une évolution sociétale plus qu’une question de génération ! ». Évolution qu’il faut accepter et comprendre pour trouver des solutions afin de fidéliser et de recruter des collaborateurs.

Chez Effidence, quand un profil intéressant passe par l’entreprise, lors d’un stage par exemple, et qu’il a esprit « corporate », Cédric Tessier va garder contact et lui ouvrir son réseau. Il va le mettre en relation avec d’autres start-ups afin de faciliter la recherche de futurs stages ou pourquoi pas lui proposer d’intégrer Effidence après son cursus.  Pour le “confort” et les conditions de travail, Cédric Tessier mise sur la confiance dans ses salariés pour organiser leur temps de travail et le télétravail.

Ne plus être en mode défensif, mais chercher de nouvelles solutions

Les spécialistes de la question et les entreprises innovantes dans le domaine partagent un même constat. Il est inutile de vouloir résister à ce nouveau courant qui balaye l’organisation du travail. Il faut, au contraire, accompagner ces mutations en expérimentant de nouvelles solutions qui répondent aux aspirations des salariés tout en préservant l’efficacité et l’expertise au sein de l’entreprise. Plus on freine, plus on prend du retard. Certaines entreprises ont très bien compris que ces changements sont une opportunité pour renforcer leur marque employeur auprès de leurs salariés et partenaires.

À propos de Pauline Rivière

Pauline Rivière est journaliste et rédactrice en chef du média en ligne le Connecteur. Elle est en charge du choix des dossiers spéciaux mensuels. Elle développe également des outils de datavisualisation à destination de l'écosystème de l'innovation et s'intéresse à l'innovation éditoriale. Avec sa société SmartVideo Academy, elle anime différentes formations à la réalisation de vidéos (au smartphone notamment) et à l’écriture audiovisuelle. Elle intervient également dans l'Enseignement Supérieur dans le cadre de projets pédagogiques digitaux, mêlant techniques de communication et sujets d'innovation.