Jordan Lagarrigue est le directeur du cinéma Les Ambiances de Clermont-Ferrand. Alors que les Français désertent les salles obscures, on s’interroge sur la place du cinéma d’art et d’essai dans le paysage cinématographique. Faut-il le transformer, ou porte-il déjà en lui les graines du cinéma de demain ?
Vous avez un parcours assez atypique, avant d’interroger l’avenir du cinéma indépendant, parlez-nous un peu de vous.
Je suis né à Clermont. J’ai eu un parcours scolaire un peu compliqué et une orientation où j’ai été envoyé d’abord vers un BEP électronique, puis un bac électrotechnique. Ça ne m’intéressait pas du tout. J’ai décidé de poursuivre avec un BTS commerce sans grande conviction. Ce n’est qu’au moment de la licence que j’ai eu la chance de croiser une conseillère d’orientation qui m’a encouragé à poursuivre vers une voie qui me plaisait vraiment. J’ai donc choisi d’intégrer une licence Arts et Spectacles, même si on me mettait en garde contre le peu de débouchés de cette filière.
Pendant ces études, nous avons suivi un module autour du projet professionnel. On devait imaginer le métier de nos rêves et comment y arriver sur une période de dix ans. C’est là que j’ai écrit pour la première fois “directeur de cinéma”. J’ai découvert qu’il n’y avait pas forcément un parcours type pour y arriver et que c’était avant tout les expériences qui étaient valorisées.
Et vous avez eu la chance de mettre un premier pied dans le monde du cinéma grâce aux Ambiances
Oui, j’ai fait un stage aux Ambiances dans le cadre d’un festival du film d’horreur. A cette époque, le cinéma avait déjà été racheté par CGR. Ensuite, j’ai été embauché comme agent d’accueil. J’ai adoré cet univers et j’ai voulu poursuivre avec un master de directeur d’établissements culturels. Le Groupe CGR a une politique de promotion interne très forte. On m’a proposé une formation en interne de Directeur de cinéma. Aujourd’hui, tous ceux qui font partie de la direction au siège social ont commencé comme agent d’accueil ou projectionniste.
Racontez-nous un peu l’histoire de ce cinéma mythique à Clermont-Ferrand
Depuis les années 50, il y avait le cinéma le Paris qui proposait une programmation 100% VO. Lorsque Centre Jaude 2 a été construit, Eric Piera, le directeur a été expulsé. Il a racheté le lieu où se situe les Ambiances, qui avait été le cinéma l’Ambiance avec une salle, entre les années 50 et 80. Il l’a rebaptisé les Ambiances, puisque le nouveau cinéma proposait trois salles . Par ailleurs, CGR a ouvert le cinéma Paris quelques temps plus tard à son emplacement actuel. Finalement, l’histoire s’est bien terminée …
Le cinéma Les Ambiances est un cinéma d’art et d’essai. Qu’est-ce que cela signifie ? Qui constitue votre public ?
La définition d’une œuvre d’art et d’essai est assez évanescente. Elle se décrit comme suit :
- œuvre possédant d’incontestables qualités, mais n’ayant pas obtenu l’audience qu’elle méritait
- œuvre Recherche et Découverte, c’est à – dire ayant un caractère de recherche ou de nouveauté dans le domaine cinématographique
- œuvre reflétant la vie de pays dont la production cinématographique est assez peu diffusée en France
- œuvre de reprise présentant un intérêt artistique ou historique, et notamment considérée comme des «classiques de l’écran»
- œuvre de courte durée, tendant à renouveler l’art cinématographique
En France, le cinéma d’art et d’essai représente 20% des cinémas. Nous avons une clientèle complètement différente des autres cinémas et multiplexes. En moyenne, les Français se rendent au cinéma deux fois par an. Aux Ambiances, la moitié de notre public sont des habitués et majoritairement des seniors.
Est-ce que vous avez vu une évolution des comportements suite au Covid ?
Ce que je peux dire, c’est que nous faisons tourner les films plus rapidement. En 2019, nous avions eu 200 films à l’affiche, cette année, nous allons terminer à 300. Pour ce qui est de la fréquentation, nous avons subi une baisse notable.
En plus de cette baisse significative, on assiste à un changement des comportements. Il n’y a plus de règles. Avant, on savait quels jours étaient plutôt calmes et ceux plus propices aux sorties loisirs. Maintenant, ce n’est plus du tout le cas. Mais je crois que c’est la même chose dans de nombreux secteurs, comme celui de la restauration par exemple.
Les gens ont également pris conscience qu’il y avait des propositions de plus en plus qualitatives sur les plateformes comme Netflix ou autres. Parallèlement, les professionnels ont constaté une baisse de la qualité des productions cinématographiques. D’une manière générale, dans notre cas, je pourrais dire que si le film est bon, il va trouver son public. En revanche, si la qualité n’est pas au rendez-vous, il sera remplacé très rapidement faute d’entrées.
Quels sont les enjeux pour le cinéma ? Que disent les professionnels du secteur ?
Il faut comprendre le modèle économique des différents types de cinéma. Par exemple, les multiplex misent sur la confiserie pour développer leur chiffre d’affaires. En effet, avec ces achats plaisir, c’est 100% des revenus qui vont au cinéma. A l’inverse, sur le prix d’une place de cinéma, seulement 39% revient à l’exploitant.
Pour le cinéma d’art et d’essai, en France, nous avons un système unique au monde. C’est-à-dire que les gros financent les petits. 11% de revenus générés par les entrées dans les cinémas mixtes et les multiplex sont redistribués en subventions aux cinémas d’art et d’essai. Ce que je veux dire par là, c’est que la baisse de fréquentation généralisée des cinémas a un impact sur toute la filière cinématographique quel que soit le type de cinéma..
Et …. quelles sont les pistes pour relancer le secteur ?
Les multiplex ont l’air de miser sur le toujours plus pour proposer des expériences immersives, radicalement différentes de ce qui peut être proposé au domicile. On voit fleurir des salles 4DX, ScreenX et ICE etc…
Pour ce qui est du cinéma d’art et d’essai, même si les subventions dépendent du nombre d’entrées réalisées, nous n’avons pas les mêmes objectifs. Nous mettons de plus en plus en valeur, d’autres types d’expériences proposées dans notre programmation. Nos salles se modernisent pour rester confortables, mais on ne mise pas sur la technologie, mais plutôt sur l’humain et l’échange.
Par exemple, que proposez-vous de différent à votre public ?
Depuis toujours, les cinémas d’art et d’essai ont l’obligation de proposer des animations. Nous travaillons notamment avec les scolaires à travers les dispositifs comme l’école au cinéma , Collèges et cinéma, et Lycéens et Apprentis au cinéma. Aux Ambiances, nous tentons de développer des approches pédagogiques et ludiques.
Nous proposons des séances avec des experts qui apportent des éclairages supplémentaires sur un sujet ou une époque et des débats avec le public. Nous organisons également de nombreuses avant-première et des soirées spéciales à tarif réduit.
Pour autant, je ne pense pas nécessairement que l’on ait forcément besoin de tout changer. Le système actuel fonctionne très bien. Nous apportons notre plus-value dans le secteur du cinéma, en proposant une approche différente des cinémas à vocation 100% commerciale. Je pense qu’il est important de conserver cette exception culturelle.
Et on ne le dit peut-être pas assez mais les Clermontois sont vraiment chanceux. Ils sont dans un contexte assez unique en France. Il me semble que c’est la ville avec le plus de sièges de cinéma par habitant. 4 cinémas en centre-ville, 3 cinémas d’Art et d’Essai sans compter les multiplex en zones commerciales. Je ne connais pas d’autres villes de cette taille avec ce niveau d’infrastructures.
Quelque chose à ajouter, c’est l’instant carte blanche
Oui, il ne faut pas hésiter à aller regarder les programmations sur les sites internet des cinémas autour de chez vous. Il n’y a pas que les séances de cinéma. Il y a de plus en plus de propositions originales.
Par exemple aux Ambiances, avec les vacances de Noël qui approchent, il ne faut pas manquer l’avant-première d’Ernest et Célestine. Le 18 décembre, nous proposons un atelier Boule de Noël et film à 5 euros, avec un goûter pour les enfants.
Le 15 septembre, nous projetons Blade Runner en présence d’un professeur d’histoire-géographie qui nous apportera un éclairage sur l’époque où le film a été tourné. Enfin, pour marquer la fin de notre partenariat annuel avec la librairie Momie, nous allons diffuser en avant-première le film d’animation japonais, Goodbye