Sur une planète où l’eau semble abondante, les chiffres racontent une autre histoire : seuls 2,5 % de cette ressource sont de l’eau douce, et moins de 1 % est directement accessible pour les besoins humains. Dans le Cantal, un territoire de montagnes souvent perçu comme un paradis verdoyant, cette ressource devient pourtant une source de tensions.
Conflits d’usage, priorités divergentes et pressions climatiques : la gestion de l’eau cristallise un déséquilibre entre besoins humains, impératifs économiques et enjeux environnementaux.
“Face à une demande croissante et aux impacts du réchauffement climatique, comprendre et préserver le cycle de l’eau est essentiel”, alerte Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS et spécialiste des milieux aquatiques.
Quand l’eau abonde, mais manque : le paradoxe caché du Cantal
Avec ses 1 000 mm de précipitations annuelles, le Cantal semble baigner dans l’abondance. Mais un regard plus attentif révèle une réalité bien différente. “Le sous-sol volcanique du département est imperméable. On parle du Cantal comme d’un parapluie qui arrose ses voisins”, explique Guillaume Laloge-Neige, animateur du SAGE Dordogne Amont. Résultat : l’eau ruisselle rapidement des montagnes vers les rivières, sans avoir le temps de s’enfoncer dans les sols.
Ce phénomène, combiné aux fortes pentes, accentue les tensions. “Les sécheresses estivales deviennent plus fréquentes, et certaines communes, comme Montsalvy en 2022, ont dû acheminer de l’eau potable par camions-citernes”, confie Christophe Grèze du Conservatoire des Espaces Naturels d’Auvergne.
Les zones humides, remparts fragiles contre la sécheresse
Les marais et tourbières du Cantal, véritables éponges naturelles, absorbent les excès d’eau en période de pluie et les restituent lors des sécheresses. Mais ces zones humides sont menacées par l’urbanisation, l’agriculture intensive et l’aménagement du territoire.
“Préserver ces écosystèmes, c’est offrir au territoire une meilleure résilience face aux sécheresses et aux inondations”, insiste Christophe Grèze. Le Conservatoire des Espaces Naturels multiplie les actions pour protéger ces régulateurs naturels. Mais les tensions entre écologie et économie, comme dans le projet controversé de carrière à la Narse de Nouvialle, montrent combien cet équilibre reste fragile.
Les rivières, miroirs des choix humains
Les rivières cantaliennes, véritables artères du département, suivent un cycle naturel qui façonne les paysages et nourrit la biodiversité. “En tête de bassin, les rivières du Cantal alimentent les départements voisins”, explique Armand Delamaide, animateur en gestion de l’eau pour le bassin versant de la Cère. Mais les activités humaines perturbent cet équilibre. Les barrages hydroélectriques, par exemple, bien qu’essentiels pour produire de l’énergie, modifient les flux naturels et augmentent les risques d’inondations en aval.
“Les cours d’eau canalisés pour des raisons agricoles ou urbaines perdent leur capacité d’ajustement naturel, rendant le territoire plus vulnérable”, ajoute Guillaume Laloge-Neige.
De la source à nos robinets
Au-delà des rivières, le petit cycle de l’eau – du captage jusqu’à nos robinets – est un autre pilier de la gestion hydraulique. Dans le bassin d’Aurillac, la Communauté d’Agglomération (CABA) veille à fournir une eau potable de qualité à ses habitants.
“Nous sommes l’architecte invisible de l’eau consommée chaque jour”, explique Hubert Blanchard, responsable du grand cycle de l’eau à la CABA. Mais garantir cet approvisionnement est un défi. Entre périodes de sécheresse et risques de contamination, sécuriser la ressource exige des efforts constants.
Pour limiter les pertes, la modernisation des infrastructures est une priorité. Actuellement, jusqu’à 25 % de l’eau est perdue à cause de fuites dans les canalisations. La CABA investit dans des capteurs intelligents et des réseaux plus performants.
Cultiver autrement, construire durablement
Face à ces défis, des solutions émergent. L’agroécologie, par exemple, offre une alternative durable en réduisant l’usage de pesticides et d’engrais chimiques tout en préservant les sols. “Cette approche permet de protéger nos ressources en eau tout en maintenant la fertilité des terres agricoles”, souligne Christian Amblard.
Mais au-delà des pratiques agricoles, une gestion intégrée des ressources est indispensable. “Les grands cycles et petits cycles de l’eau sont indissociables”, rappelle Christian Amblard. “Seule une coordination entre agriculteurs, collectivités, citoyens et associations permettra de construire un modèle durable.”
D’ailleurs, fin 2023, la nouvelle sous-préfète du Cantal, Elodie Mareau a tranché « dans certaines communes où les infrastructures d’assainissement et d’eau potable sont jugées insuffisantes, plus aucun permis de construire ne sera accordé, tant que les investissements ne seront pas décidés ». C’est une mesure forte, qui peut être mal perçue par certains élus locaux. D’un côté, elle vise à garantir l’accès à l’eau potable pour les habitants actuels et futurs. De l’autre, elle soulève des défis dans un département en quête de croissance démographique.
L’eau et le Cantal : un enjeu global aux répercussions locales
Le Cantal, loin des grandes décisions nationales, se trouve pourtant au cœur d’un enjeu qui dépasse ses frontières. L’eau, ressource précieuse et fragile, révèle ici toutes les contradictions de notre époque : abondance apparente, mais gestion sous tension. Les défis de demain — changement climatique, pollutions invisibles, tensions entre usages — se jouent aujourd’hui, et à toutes les échelles.
“L’eau est un bien commun, indispensable à notre avenir. Agissons ensemble pour la protéger”, conclut Christian Amblard.